ACTA: Entre les mailles du droit de l'Union européenne : Différence entre versions

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Next week, negotiating countries will meet for another round of talks on the infamous [ACTA|http://www.laquadrature.net/fr/acta], which among other things aims at tackling the unauthorized sharing of cultural works over the Internet. *In the past days, members of the European Commission sought to soothe parlementarians, public-interest groups and citizens by saying that the agreement would not go further than existing EU law.*
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Traduction de CP
  
Neelie Kroes, soon-to-be Commissioner for the Digital Agenda, commented the ACTA negotiations during her confirmation hearing on January 14st, saying that there will be no "_harmonization by the back door_". She also seemed to rule out any further harmonization of Intellectual Property Rights" (IPR) enforcement in Europe, and told reporters after the hearing that the "mere conduit" principle[1|#footnote1_9qmwwn4] - a principle essential to Net neutrality and guaranteed by the e-Commerce directive - will be maintained.
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La semaine prochaine, les pays en négociation se rencontreront pour un nouvelle série de discussions sur le tristement célèbre [http://www.laquadrature.net/fr/acta ACTA], qui entre autres choses vise à lutter contre la diffusion non-autorisée d'œuvres culturelles sur Internet. '''Ces derniers jours, les membres de la Commission européenne se sont efforcés d'apaiser les parlementaires, les groupes d'intérêt public et les citoyens en disant que l'accord n'irait pas plus loin que la législation européenne existante.'''
  
But, as recent developements make clear, *ACTA could severely impact Net neutrality and other founding principles of the Internet that ensure the proper exercise of fundamental rights and freedoms on the Internet, even without any change to EU law.*\\\\
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Neelie Kroes, qui sera prochainement promue commissaire au programme numérique, a commenté les négociations de l'ACTA au cours de son audition de confirmation le 14 janvier, affirmant qu'il n'y aura pas de « ''d'harmonisation par une ''porte dérobée'' ». Elle a également semblé exclure une nouvelle harmonisation des droits de propriété intellectuelle (DPI) en Europe, et a déclaré aux journalistes après l'audience que le principe de « simple transport »
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Le simple transport est garanti par l'article 12 de la [http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32000L0031:FR:HTML directive du commerce électronique] de 2002. Ce principe établit un régime  spéciale de responsabilité des opérateurs de réseaux stipulant qu'ils n'ont aucune responsabilité juridique pour les données transmises par l'intermédiaire de leurs réseaux
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– un principe essentiel à la neutralité du réseau et garanti par la directive du commerce électronique – sera maintenu.
  
h3. Telecoms Package: A "convenient" circumvention of users' rights
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Mais comme le montrent clairement les récents développements, '''''l'ACTA pourrait sérieusement impacter la neutralité du réseau et les autres principes fondateurs sur lesquels repose l'Internet et qui assurent le bon exercice des droits et libertés fondamentaux sur Internet, même sans aucune modification de la législation de l'UE.
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=== Le Paquet Télécom: Un contournement des droits des usagers bien « pratique » ===
  
In November 2009, the Council of the EU and the Parliament agreed on a [compromise|http://www.laquadrature.net/wiki/Telecoms_Package_Amendment138_compromise_20091105] to replace [amendment 138|http://www.laquadrature.net/wiki/Amendment138], which was adopted twice by an 88% majority of the Parliament. Amendment 138 was a very clear and groundbreaking statement on the part of the representatives of European citizens that on the Internet too, fundamental rights and freedoms apply. It read that "_no restriction may be imposed on the fundamental rights and freedoms of [Internet] end-users, without a prior ruling by the judicial authorities_". The scope of amendement 138 was sufficiently broad to cover all kinds of infringements on people's access to a free and open Internet.
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En novembre 2009, le Conseil de l'UE et le Parlement se sont entendus sur un [http://www.laquadrature.net/wiki/Telecoms_Package_Amendment138_compromise_20091105 compromis] pour remplacer l'[http://www.laquadrature.net/wiki/Amendment138 amendement 138] , qui a été adopté à deux reprises par une majorité de 88% du Parlement. L'amendement 138 a été une déclaration très claire – et sans précédent de la part des représentants des citoyens européens – que sur l'Internet aussi, les droits et libertés fondamentaux s'appliquent. On y lisait que « '''aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux [d'Internet], sans décision préalable des autorités judiciaires''' », le champ d'application de l'amendement 138 étant suffisamment large pour couvrir tous types d'infractions sur l'accès de la population à un Internet libre et ouvert.
  
However, some *Member States - France and the United Kingdom especially - did not want the full protection granted by amendment 138 and therefore forced the Parliament to drop it*. At the time, many Members of the Parliament led by [Catherine Trautmann|http://www.laquadrature.net/wiki/CatherineTrautmann] presented the substitute for amendment 138 as a sufficient protection, while public-interest groups [bemoaned|http://www.laquadrature.net/en/Europe-only-goes-half-way-in-protecting-internet-rights] that *the scope of the compromise was substantially narrower than the general principle proclaimed by amendment 138*. More specifically, the compromise only offers Internet users protection against "measures taken by Member states" when amendment 138 applied to "any restriction". It thus allows for the implementation of anti-Net neutrality practices by Internet Service Providers (ISPs) and other restrictions imposed by private parties. Moreover, the reference to the judicial authorities, which are normally the sole guarantors of fundamental freedoms in countries respecting the rule of Law, was deleted.\\\\
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Toutefois, certains '''États membres - la France et le Royaume-Uni en particulier - ne veulent pas de la protection complète accordée par l'amendement 138 et, par conséquent ont contraint le Parlement à l'abandonner'''. À l'époque, de nombreux députés du Parlement menés par [http://www.laquadrature.net/wiki/CatherineTrautmann Catherine Trautmann] ont présenté le substitut de l'amendement 138 comme une protection suffisante, tandis que les groupes d'intérêt public [http://www.laquadrature.net/en/Europe-only-goes-half-way-in-protecting-internet-rights déploraient] que '''le champ d'application du compromis était significativement plus réduit que le principe général proclamé par l'amendement 138'''. Plus précisément, le compromis ne protège les utilisateurs d'Internet que contre « les mesures prises par les États membres » alors que l'amendement 138 s'appliquait à « toute restriction ». Il permet donc la mise en œuvre de pratiques anti-neutralité du réseau par les Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI) et d'autres restrictions imposées par des entités privées. En outre, la référence aux autorités judiciaires, qui sont normalement les seuls garants des libertés fondamentales dans les pays respectant la primauté du droit, a été supprimée.
  
h3. The EU Commission has called for "voluntary agreements" between ISPs and rights holders
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===La Commission européenne a appelé à des « accords volontaires » entre les FAI et les ayants droit===
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Le passage de l'amendement 138 à un substitut a ouvert la voie à une stratégie « d'autorégulation » visant à lutter contre le partage de fichiers. Quelques semaines seulement avant l'adoption finale du paquet télécoms, en septembre 2009, la Commission a publié un [http://ec.europa.eu/internal_market/iprenforcement/docs/ip-09-1313/communication_en.pdf communication] relative à l'exécution des Droits de Propriété Intellectuelle (DPI). Dans cette communication préparée par la direction générale du marché intérieur, la Commission écrivait ce qui suit:
  
The change from amendment 138 to a subtitute has opened the way for "self regulation" strategy aimed at tackling filesharing. Just weeks before the final adoption of the Telecoms Package, in September 2009, the Commission released a [communication|http://ec.europa.eu/internal_market/iprenforcement/docs/ip-09-1313/communication_en.pdf] on the enforcement of IPR. In the communication, the Commission's Internal Market Directorate General wrote that:
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<div class="citation">''L'accent mis sur les intérêts communs devrait permettre '''d'encourager les arrangements volontaires entre les parties prenantes''' et donc d'aboutir à des solutions concrètes. Des arrangements volontaires pour combattre la contrefaçon et le piratage''' ''
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Comme on peut clairement le constater ici, l'approche de nombreux politiques sur le partage de fichiers est caractérisée par une dangereuse confusion entre la contrefaçon et le piratage.
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'' sur le terrain peuvent donner aux parties prenantes la souplesse nécessaire pour s'adapter rapidement aux nouvelles évolutions technologiques. En outre, cette approche permet aux intervenants eux-mêmes d''''élaborer des mesures optimales, en particulier des solutions technologiques'''. Les accords volontaires peuvent également être plus facilement '''étendus au-delà de l'Union européenne''' et devenir une fondation pour une meilleure pratique dans la lutte contre la contrefaçon et le piratage au niveau mondial.''
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_The focus on common interests should allow *voluntary arrangements to be fostered between stakeholders* and thus practical solutions to be found. Voluntary arrangements to combat counterfeiting and piracy[2|#footnote2_dzsw25t] on the ground can give stakeholders the flexibility to adapt quickly to new technological developments. Moreover, this approach empowers stakeholders themselves to *work out optimal measures, particularly technological solutions*. Voluntary agreements can also be more easily *extended beyond the European Union* and become a foundation for best practice in the fight against counterfeiting and piracy at global level._
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Ces derniers mois, il y a eu une opposition forte entre les FAI et les ayants droit, ces derniers voulant transférer aux premiers des coûts associés à la répression de partage de fichiers. Bien qu'il ne puisse en être ainsi, '''les titulaires de droits se figurent qu'altérer l'ouverture qui constitue le principe même de l'architecture de communication''', à savoir mettre un terme à la neutralité du réseau en mettant en œuvre des pratiques de filtrage visant à empêcher la transmission non autorisée d'œuvres protégées sur le réseau, est le seul moyen efficace pour dissuader le partage de fichiers.
  
In the past months, there has been a strong opposition between ISPs and rights holders, the latter wanting to transfer to the former some of the costs associated with the repression of file-sharing. Although it needs not be that way, *rights holders feel like by altering the very openness of the communicational architecture*, i.e putting an end to Net neutrality by implementing filtering practices aimed at preventing unauthorized transmissions of copyrighted works over the network, is the only efficient way to deter file-sharing.
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Le commissaire chargé de la direction générale du marché intérieur a été attentif aux cris des industries du divertissement. Dans les semaines qui ont précédé la publication de la communication sur l'application des DPI (sortie début septembre 2009), un ensemble de [http://www.europeanvoice.com/article/imported/commission-looks-to-pull-the-plug-on-illegal-downloading/65531.aspx  réunions ont eu lieu] avec les représentants de l'industrie, afin de tenir compte des spécificités des accords volontaires. Les FAI ont été contraints de s'y joindre  sous la menace d'une intervention législative.
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Une telle menace est toujours en suspens: le communiqué renvoi à la législation en avertissant que « la Commission suivra attentivement le développement et le fonctionnement des mécanismes volontaires et demeure prête à envisager d'autres approches, si nécessaire dans l'avenir » (p. 10).
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The European Commission' Internal Market Directorate General has been responsive to the cries of entertainment industries. In the weeks leading up to the release of the communication on IPR enforcement (released early-September 2009), a set of [meetings took place|http://www.europeanvoice.com/article/imported/commission-looks-to-pull-the-plug-on-illegal-downloading/65531.aspx] between industry representatives in order to consider the specifics of voluntary agreements. ISPs were compelled to join in under the threat of legislation[3|#footnote3_lzfelx3].
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===ACTA: mettre fin au « simple transport » à travers l'autorégulation===
  
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Favoriser les « accords volontaires » entre les FAI et les titulaires de droits est exactement ce que l'ACTA propose. Bien que cet accord multilatéral traite un large éventail de questions concernant l'application civile et pénale des droits de propriété intellectuelle, un chapitre entier est consacré à l'Internet. En novembre 2009, la proposition états-unienne de ce chapitre a été discutée entre les pays participant aux négociations. Un [http://www.laquadrature.net/wiki/ACTA_Draft_Internet_Chapter résumé] de la proposition de la Commission européenne a été envoyé aux États membres et divulgué. Il a confirmé les craintes de nombreux activistes des droits civils. Selon le document, la proposition prévoit que:
  
h3. ACTA: Ending "mere conduit" through self regulation
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'' '''Pour bénéficier de la dérogation<ref>La dérogation se réfèrent au principe de simple transport (« Mere conduit »).</ref>, les FAI doivent mettre en place des politiques visant à dissuader le stockage et la transmission non autorisée de contenus soumis à propriété intellectuelle''' (ex : des clauses dans les contrats clients qui permettrait, entre autres, une riposte graduée). D'après ce que nous avons compris, les États-Unis ne demanderont pas à ce que que les autorités créent de tels systèmes. À la place, ils '''exigent une certaine auto-régulation par les FAI'''.''</div>
  
Fostering "voluntary agreements" between ISPs and rights holders is exactly what ACTA does. Although this multilateral agreement deals with a wide variety of issues concerning the civil and criminal enforcement of IPR, a whole chapter is dedicated to the Internet. In November 2009, the US proposal for this chapter was discussed between negotiating countries. A [summary|http://www.laquadrature.net/wiki/ACTA_Draft_Internet_Chapter] of the proposal by the EU Commission was sent to Member States and leaked. It confirmed the fears of many civil rights avocates. According to the document, the proposal provides that:
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Ainsi, il apparaît maintenant que le substitut à l'amendement 138, qui refuse d'accorder aux utilisateurs d'Internet une protection contre les abus potentiels de la part des fournisseurs de services Internet, a créé un vide '''important qui est exploitée par des voies non démocratiques'''.
  
_*To benefit from safe-harbours[4|#footnote4_kj540m6], ISPs need to put in place policies to deter unauthorised storage and transmission of IP infringing content* (ex: clauses in customers' contracts allowing, inter alia, a graduated response). From what we understood, the US will not propose that authorities need to create such systems. Instead they *require some self-regulation by ISPs*._
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===Que faire?===
  
Hence, it now appears that the substitute to amendment 138, by refusing to grant Internet users protection against potential malpractices on the part of ISPs, created an *important loophole that is being exploited through undemocratic channels*.
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Malgré les paroles rassurantes de la commissaire Reding et de la commissaire Kroes au cours de leurs auditions respectives, la commission et les États membres doivent, comme demandé par une coalition mondiale de groupes de société civile dans une [http://www.laquadrature.net/en/acta-a-global-threat-to-freedoms-open-letter lettre ouverte], '''établir une transparence''' dans le processus de négociation et '''refuser toute proposition qui porterait atteinte aux droits et libertés des citoyens'''. En particulier, conformément à la  [[EP_Resolution_on_ACTA|résolution]] votée en 2008 par le Parlement européen, '''l'infraction au droit d'auteur dans un cadre non-commercial devrait être exclue des négociations'''
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Selon le Parlement: « ''la Commission devrait tenir compte de certaines critiques fortes contre l'ACTA dans les négociations en cours, à savoir qu'elle pourrait permettre aux titulaires de marques et copyright de s'ingérer dans la vie privée de personnes qui selon elles enfreignent leurs monopoles, sans procédure légale, ou encore qu'elle pourrait criminaliser l'infraction au droit d'auteur  et aux droits de marques dans un cadre non-commercial, qu'elle pourrait renforcer la gestion des droits numériques (GDN) en sacrifiant les droits « d'utilisation dans un cadre familial », qu'elle pourrait mettre en place une procédure de règlement des différends en dehors des structures existantes de l'OMC et, enfin, qu'elle pourrait obliger tous les signataires à couvrir les coûts de l'application du droit d'auteur et des infractions aux marques.'' »
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</ref>.
  
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== Notes et références ==
  
h3. What to do?
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<references />
  
Despite the reassuring words of Commissioners Reding and Commissioner Kroes during their respective hearings, the Commission and Member States need to come clean on this fundamental issue.
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[[ACTA:Lettre_ouverteES|Autre traduction : la lettre ouverte en espagnol]]
  
As requested by a worldwide coalition of civil society groups in an [open letter|http://www.laquadrature.net/en/acta-a-global-threat-to-freedoms-open-letter], they need to *establish transparency* in the negotiation process and *refuse any proposal that would undermine citizens' rights and freedoms*. In particular, consistent with the [resolution|http://www.laquadrature.net/wiki/EP_Resolution_on_ACTA] voted in 2008 by the European Parliament, *non-commercial copyright infringement should be excluded from the negotiations*[5|#footnote5_n2cmip9].
+
[[Category:ACTA fr]]
 
 
# [1.|#footnoteref1_9qmwwn4] Mere conduit is guaranteed by article 1Z of the 2002 [e-Commerce directive|http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:32000L0031:EN:HTML"]. This principle sets a special liability regime for network operators by which they have no legal liability for the data transmitted via their networks
 
# [2.|#footnoteref2_dzsw25t] As made clear here, many policy-makers' approach to filesharing is characterized by a dangerous confusion between counterfeiting and piracy
 
# [3.|#footnoteref3_lzfelx3] Such a threat is still pending: the communication refers to legislation by warning that “the Commission will carefully monitor the development and functioning of voluntary arrangements and remains ready to consider alternative approaches, if needed in the future” (p. 10).
 
# [4.|#footnoteref4_kj540m6] "Safe-harbours" refer to the "mere conduit" principle.
 
# [5.|#footnoteref5_n2cmip9] According to the Parliament: "_the Commission should take into account certain strong criticism of ACTA in its ongoing negotiations, namely that it could allow trademark and copyright holders to intrude on the privacy of alleged infringers without due legal process, that it could further criminalize non commercial copyright and trademark infringements, that it could reinforce Digital Rights Management (DRM) technologies at the cost of 'fair use' rights, that it could establish a dispute settlement procedure outside existing WTO structures and lastly that it could force all signatories to cover the cost of enforcement of copyright and trademark infringements._"__
 

Version actuelle datée du 5 août 2011 à 00:06

Traduction de CP

La semaine prochaine, les pays en négociation se rencontreront pour un nouvelle série de discussions sur le tristement célèbre ACTA, qui entre autres choses vise à lutter contre la diffusion non-autorisée d'œuvres culturelles sur Internet. Ces derniers jours, les membres de la Commission européenne se sont efforcés d'apaiser les parlementaires, les groupes d'intérêt public et les citoyens en disant que l'accord n'irait pas plus loin que la législation européenne existante.

Neelie Kroes, qui sera prochainement promue commissaire au programme numérique, a commenté les négociations de l'ACTA au cours de son audition de confirmation le 14 janvier, affirmant qu'il n'y aura pas de « d'harmonisation par une porte dérobée ». Elle a également semblé exclure une nouvelle harmonisation des droits de propriété intellectuelle (DPI) en Europe, et a déclaré aux journalistes après l'audience que le principe de « simple transport » [1] – un principe essentiel à la neutralité du réseau et garanti par la directive du commerce électronique – sera maintenu.

Mais comme le montrent clairement les récents développements, l'ACTA pourrait sérieusement impacter la neutralité du réseau et les autres principes fondateurs sur lesquels repose l'Internet et qui assurent le bon exercice des droits et libertés fondamentaux sur Internet, même sans aucune modification de la législation de l'UE.

Le Paquet Télécom: Un contournement des droits des usagers bien « pratique »[modifier]

En novembre 2009, le Conseil de l'UE et le Parlement se sont entendus sur un compromis pour remplacer l'amendement 138 , qui a été adopté à deux reprises par une majorité de 88% du Parlement. L'amendement 138 a été une déclaration très claire – et sans précédent de la part des représentants des citoyens européens – que sur l'Internet aussi, les droits et libertés fondamentaux s'appliquent. On y lisait que « aucune restriction ne peut être imposée aux droits et libertés fondamentaux des utilisateurs finaux [d'Internet], sans décision préalable des autorités judiciaires », le champ d'application de l'amendement 138 étant suffisamment large pour couvrir tous types d'infractions sur l'accès de la population à un Internet libre et ouvert.

Toutefois, certains États membres - la France et le Royaume-Uni en particulier - ne veulent pas de la protection complète accordée par l'amendement 138 et, par conséquent ont contraint le Parlement à l'abandonner. À l'époque, de nombreux députés du Parlement menés par Catherine Trautmann ont présenté le substitut de l'amendement 138 comme une protection suffisante, tandis que les groupes d'intérêt public déploraient que le champ d'application du compromis était significativement plus réduit que le principe général proclamé par l'amendement 138. Plus précisément, le compromis ne protège les utilisateurs d'Internet que contre « les mesures prises par les États membres » alors que l'amendement 138 s'appliquait à « toute restriction ». Il permet donc la mise en œuvre de pratiques anti-neutralité du réseau par les Fournisseurs d'Accès à Internet (FAI) et d'autres restrictions imposées par des entités privées. En outre, la référence aux autorités judiciaires, qui sont normalement les seuls garants des libertés fondamentales dans les pays respectant la primauté du droit, a été supprimée.

La Commission européenne a appelé à des « accords volontaires » entre les FAI et les ayants droit[modifier]

Le passage de l'amendement 138 à un substitut a ouvert la voie à une stratégie « d'autorégulation » visant à lutter contre le partage de fichiers. Quelques semaines seulement avant l'adoption finale du paquet télécoms, en septembre 2009, la Commission a publié un communication relative à l'exécution des Droits de Propriété Intellectuelle (DPI). Dans cette communication préparée par la direction générale du marché intérieur, la Commission écrivait ce qui suit:

L'accent mis sur les intérêts communs devrait permettre d'encourager les arrangements volontaires entre les parties prenantes et donc d'aboutir à des solutions concrètes. Des arrangements volontaires pour combattre la contrefaçon et le piratage

[2] sur le terrain peuvent donner aux parties prenantes la souplesse nécessaire pour s'adapter rapidement aux nouvelles évolutions technologiques. En outre, cette approche permet aux intervenants eux-mêmes d'élaborer des mesures optimales, en particulier des solutions technologiques. Les accords volontaires peuvent également être plus facilement étendus au-delà de l'Union européenne et devenir une fondation pour une meilleure pratique dans la lutte contre la contrefaçon et le piratage au niveau mondial.

Ces derniers mois, il y a eu une opposition forte entre les FAI et les ayants droit, ces derniers voulant transférer aux premiers des coûts associés à la répression de partage de fichiers. Bien qu'il ne puisse en être ainsi, les titulaires de droits se figurent qu'altérer l'ouverture qui constitue le principe même de l'architecture de communication, à savoir mettre un terme à la neutralité du réseau en mettant en œuvre des pratiques de filtrage visant à empêcher la transmission non autorisée d'œuvres protégées sur le réseau, est le seul moyen efficace pour dissuader le partage de fichiers.

Le commissaire chargé de la direction générale du marché intérieur a été attentif aux cris des industries du divertissement. Dans les semaines qui ont précédé la publication de la communication sur l'application des DPI (sortie début septembre 2009), un ensemble de réunions ont eu lieu avec les représentants de l'industrie, afin de tenir compte des spécificités des accords volontaires. Les FAI ont été contraints de s'y joindre sous la menace d'une intervention législative. [3] .

ACTA: mettre fin au « simple transport » à travers l'autorégulation[modifier]

Favoriser les « accords volontaires » entre les FAI et les titulaires de droits est exactement ce que l'ACTA propose. Bien que cet accord multilatéral traite un large éventail de questions concernant l'application civile et pénale des droits de propriété intellectuelle, un chapitre entier est consacré à l'Internet. En novembre 2009, la proposition états-unienne de ce chapitre a été discutée entre les pays participant aux négociations. Un résumé de la proposition de la Commission européenne a été envoyé aux États membres et divulgué. Il a confirmé les craintes de nombreux activistes des droits civils. Selon le document, la proposition prévoit que:

Pour bénéficier de la dérogation[4], les FAI doivent mettre en place des politiques visant à dissuader le stockage et la transmission non autorisée de contenus soumis à propriété intellectuelle (ex : des clauses dans les contrats clients qui permettrait, entre autres, une riposte graduée). D'après ce que nous avons compris, les États-Unis ne demanderont pas à ce que que les autorités créent de tels systèmes. À la place, ils exigent une certaine auto-régulation par les FAI.

Ainsi, il apparaît maintenant que le substitut à l'amendement 138, qui refuse d'accorder aux utilisateurs d'Internet une protection contre les abus potentiels de la part des fournisseurs de services Internet, a créé un vide important qui est exploitée par des voies non démocratiques.

Que faire?[modifier]

Malgré les paroles rassurantes de la commissaire Reding et de la commissaire Kroes au cours de leurs auditions respectives, la commission et les États membres doivent, comme demandé par une coalition mondiale de groupes de société civile dans une lettre ouverte, établir une transparence dans le processus de négociation et refuser toute proposition qui porterait atteinte aux droits et libertés des citoyens. En particulier, conformément à la résolution votée en 2008 par le Parlement européen, l'infraction au droit d'auteur dans un cadre non-commercial devrait être exclue des négociations [5].

Notes et références[modifier]

  1. Le simple transport est garanti par l'article 12 de la directive du commerce électronique de 2002. Ce principe établit un régime spéciale de responsabilité des opérateurs de réseaux stipulant qu'ils n'ont aucune responsabilité juridique pour les données transmises par l'intermédiaire de leurs réseaux
  2. Comme on peut clairement le constater ici, l'approche de nombreux politiques sur le partage de fichiers est caractérisée par une dangereuse confusion entre la contrefaçon et le piratage.
  3. Une telle menace est toujours en suspens: le communiqué renvoi à la législation en avertissant que « la Commission suivra attentivement le développement et le fonctionnement des mécanismes volontaires et demeure prête à envisager d'autres approches, si nécessaire dans l'avenir » (p. 10).
  4. La dérogation se réfèrent au principe de simple transport (« Mere conduit »).
  5. Selon le Parlement: « la Commission devrait tenir compte de certaines critiques fortes contre l'ACTA dans les négociations en cours, à savoir qu'elle pourrait permettre aux titulaires de marques et copyright de s'ingérer dans la vie privée de personnes qui selon elles enfreignent leurs monopoles, sans procédure légale, ou encore qu'elle pourrait criminaliser l'infraction au droit d'auteur et aux droits de marques dans un cadre non-commercial, qu'elle pourrait renforcer la gestion des droits numériques (GDN) en sacrifiant les droits « d'utilisation dans un cadre familial », qu'elle pourrait mettre en place une procédure de règlement des différends en dehors des structures existantes de l'OMC et, enfin, qu'elle pourrait obliger tous les signataires à couvrir les coûts de l'application du droit d'auteur et des infractions aux marques. »

Autre traduction : la lettre ouverte en espagnol