LOPPSI Best Of 09 fevrier seance 2
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Contents
Ouverture de la discussion[edit]
Brice Hortefeux - LCEN / Accès aux citoyens / Non droit / Pédopornographie / Usurpation identité[edit]
M. Brice Hortefeux, Ministre de l'Intérieur.
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"Notre troisième priorité est la lutte contre la cybercriminalité : c’est un thème qui fera, je pense, l’objet d’un large consensus. Il n’est pas question de bouleverser l’équilibre d’ensemble établi par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, qui a établi le droit de l’internet. Et il n’est pas plus question de restreindre l’accès des citoyens à l’internet. Cependant, grand espace de liberté, l’internet ne peut devenir un espace de non-droit.
Or, comme vous le savez, un nombre croissant d’infractions sont commises par le biais d’internet ; cela concerne notamment la pédopornographie. Il faut adapter la réponse de l’État à cette nouvelle forme de violence.
Le défi à relever est d’ailleurs assez simple à définir. En 2009, la plate-forme de signalement du ministère de l’intérieur a enregistré 10 900 signalements à caractère pédopornographique. Cela signifie que 10 900 internautes ont visionné involontairement – je dis bien involontairement – de telles images, et ont décidé de les signaler aux autorités. Ces signalements portaient très souvent sur des sites hébergés à l’étranger et gérés par des trafiquants de l’Internet.
L’article 4 vise à protéger les internautes contre l’accès fortuit à des sites pédopornographiques ; concrètement, il organise une procédure permettant d’établir une protection que les fournisseurs d’accès devront mettre en œuvre pour que les internautes ne puissent, même fortuitement, accéder à des sites pédopornographiques mis en ligne depuis l’étranger. J’ajoute au passage que la coopération internationale doit progresser dans ce domaine ; il y a, là aussi, un effort européen à accomplir.
L’internet, c’est aussi le problème de l’usurpation d’identité. J’ai compris le souhait, émis en particulier par Mme Catherine Vautrin, de revoir le régime d’ensemble des sanctions de l’utilisation frauduleuse de l’identité d’autrui. J’indique d’ores et déjà que le Gouvernement sera attentif à ces propositions."
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Eric Ciotti - Blocage[edit]
M. Éric Ciotti, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
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Quatrième cible : la cybercriminalité, avec de nouvelles formes de criminalité, contre lesquelles les moyens juridiques et techniques à la disposition des enquêteurs doivent être adaptés et modernisés. Le projet de loi comporte donc des dispositions tendant à permettre de mieux lutter contre les utilisations illégales des nouvelles technologies, et notamment contre la pédopornographie, par le blocage des sites et contenus à caractère pédopornographique.
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Motion de renvoi en commission[edit]
Noël Mamère - Perquisition numérique / surblocage / inefficacité[edit]
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Pour terminer, je vais évoquer le volet internet du projet.
Le texte va faciliter les captations à distance des données numériques se trouvant dans un ordinateur – perquisition numérique – ou transitant par lui – approche radar. On nous dit que cela permettra, par exemple, la captation de données au moment où elles s’affichent sur l’écran d’un pédophile ou d’un terroriste. Le projet de loi va donc autoriser l’introduction d’un cheval de Troie dans les ordinateurs, évidemment sans le consentement de l’intéressé, mais avec l’aval d’un juge. Il sera alors possible d’accéder aux données, de les collecter, de les enregistrer, de les conserver, de les transmettre, d’écouter les frappes au clavier, etc.
Ce sujet pose plusieurs problèmes épineux – l’Allemagne vient d’ailleurs, il y a deux jours, de renoncer au filtrage du Net – : quel sera le degré d’implication des éditeurs de solutions antivirus ? En cas de collaboration active, comment feront les autorités pour s’accorder avec l’éditeur d’un pays étranger sans liaison particulière avec la France, c’est-à-dire en l’absence de traité ou d’accord international ?
De même, le filtrage des sites pédopornographiques tel qu’il est proposé par l’article 4 du chapitre II, déjà mis en place par un certain nombre de pays, ne va pas sans soulever plusieurs interrogations. Voyons par exemple ce qui s’est passé en Australie. En mars 2009, la liste secrète des sites censurés par l’autorité australienne des communications et des médias fait l’objet d’une fuite : il apparaît qu’une bonne moitié n’ont rien à voir avec la pédopornographie ! On y trouve des sites pornographiques traditionnels mais aussi, curieusement, des sites de poker, de vidéos – YouTube –, des pages Wikipédia, des sites gays, des sites sur l’euthanasie, des sites satanistes, des sites anti-avortement et même… celui d’un cabinet dentaire de la province du Queensland. Que dire de la Finlande, dont la liste secrète comprend carrément le site des opposants à la loi en question ? En obligeant les FAI à bloquer l’accès aux sites incriminés, la loi favorisera le recours aux serveurs privés et cryptés et contribuera à l’impunité totale des auteurs des infractions visées. C’est pourquoi le gouvernement australien a renoncé à un tel dispositif : 32 % des sites filtrés étaient des contenus à caractère pédopornographique, mais les 68 % restant comprenaient notamment des sites anti-filtrage et anti-censure...
Je crains que les bonnes intentions ne conduisent finalement dans cette affaire à de graves dérapages, et que, s’agissant la pédopornographie, les effets ne soient totalement contreproductifs. Un véritable réseau parallèle, isolé de l’internet que nous connaissons, constitué de milliers de machines relais toutes louées sous de fausses identités et parfaitement résilientes à toute attaque – tout comme le réseau internet auquel il emprunte bon nombre de technologies –, sert à distribuer des contenus pédopornographiques depuis déjà de nombreuses années. Des sites éphémères, dont la durée de vie se compte en heures, servent de passerelles vers ce réseau parallèle et disparaissent avant que tout filtrage puisse être effectif.
La succession des lois DADVSI, HADOPI et LOPPSI donne donc l’impression d'une volonté vaine, et dangereuse par ailleurs, de contrôle de la toile.
Cette impression naît en partie de l'imprécision du texte. Par exemple, l'article 2 créé un nouveau délit, celui d'utilisation de l'identité d'un tiers sur internet, en vue de troubler sa tranquillité. Puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende, il est calqué sur le délit de harcèlement téléphonique décrit à l'article 222-16 du code pénal. Cependant, son champ est beaucoup plus large puisque n'importe quelle utilisation de l'identité d'un tiers sur internet fait encourir à son auteur une peine de prison.
Cette disposition pourrait donner lieu à des décisions similaires à celle qui a été rendue au Maroc : un Marocain a été emprisonné pendant plusieurs mois pour avoir créé un profil sur Facebook se contentant de reprendre l'identité du souverain. En effet, pour que le délit soit constitué, il suffit que la tranquillité du plaignant soit troublée, ce qui, vous en conviendrez, est très « englobant », pour reprendre une expression utilisée dans votre texte.
Ce texte présente donc, chers collègues, de véritables risques pour nos libertés, et les bonnes intentions contiennent des effets pervers lourds de conséquences.
C'est un projet fourre-tout où domine le tout sécuritaire. La société que nous propose le ministre de l’intérieur est celle de la surveillance tous azimuts. C'est une société où chacun est invité à participer à une grande entreprise de surveillance.
Outre des retraités de la police, des volontaires de nationalité française, âgés de 18 à 65 ans, sans casier judiciaire, pourront devenir des « collaborateurs occasionnels » de la police, dans la limite de 90 jours par an. Ces « collaborateurs occasionnels » – l'expression est effrayante – ressemblent aux réseaux d'informateurs de régimes qu'on ne peut qualifier de démocratiques…
Chers collègues, lorsqu'il est question des libertés, il convient de prendre le temps de la réflexion pour atteindre un consensus, car il s'agit finalement des règles de notre vie commune.
C'est pourquoi il nous paraît nécessaire de renvoyer ce texte en commission.
Sources[edit]
Compte-rendu intégral de l'Assemblée nationale
Vidéo de la séance (flash)