Debats Hadopi 090512 1
Compte rendu initial
M. Patrick Bloche
Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, notre groupe votera contre ce texte pour trois raisons majeures. C’est un texte perdant-perdant : perdant pour les artistes, perdant pour les internautes et même perdant pour un cadre dirigeant de TF1. C’est un texte inefficace, dépassé et inapplicable. C’est enfin un texte qui, telle la ligne Maginot, retarde stérilement l’indispensable adaptation du droit d’auteur à l’ère numérique.
C’est d’abord un texte perdant pour les artistes. Nous le rappelons avec force, en cette fin de débat : il n’apportera pas un euro de plus à la création.
D’ailleurs, le monde culturel a bougé, et nombreux sont les auteurs et les artistes qui, ayant compris qu’on les leurrait, manifestent leur opposition grandissante à HADOPI : artistes interprètes de musique et de danse ; acteurs, réalisateurs et producteurs de cinéma ; acteurs du monde de la science-fiction ; exploitants de salles de cinéma indépendantes ; producteurs de musique indépendants. La liste s’allonge chaque jour.
Après le coup de tonnerre du 9 avril, cette nouvelle lecture aura eu l’immense avantage de montrer qu’il existe une solution alternative. Avec la contribution créative, notre groupe a défendu une nouvelle rémunération du droit d’auteur pouvant atteindre plusieurs centaines de millions d’euros et adaptée aux réalités de l’Internet. C’est en fait la seule solution – oui, la seule – qui, tout en prenant en compte les usages de nos concitoyens, permette de rassembler les créateurs et les internautes, c’est-à-dire les artistes et leur public.
C’est ce que vous auriez dû rechercher en priorité, madame la ministre, plutôt que de créer un Meccano hasardeux et inutile qui constitue, de plus, une épée de Damoclès au-dessus de la tête de nos concitoyens. Car ce texte est aussi perdant pour les internautes sur lesquels pèsera désormais une présomption de culpabilité. Le caractère manifestement disproportionné de la sanction qu’ils encourent est aggravé par le fait qu’ils ne pourront pas bénéficier des garanties procédurales habituelles. L’absence de procédure contradictoire, la non-prise en compte de la présomption d’innocence, le non-respect du principe de l’imputabilité et la mise en place d’une surveillance généralisée du Net sont autant d’éléments que nous jugeons contraires à la Constitution.
À cet égard, nous considérons comme une provocation le rétablissement en seconde lecture de la triple peine – sanction pénale, sanction administrative et sanction financière – avec obligation pour l’internaute de continuer à payer son abonnement après la coupure de son accès à internet. Et que dire de la suppression de l’amnistie, pourtant votée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée, des sanctions prises à l’encontre des internautes en vertu des dispositions de la loi DADVSI de 2006 ?
Ces derniers jours, nous avons assisté à un durcissement du projet de loi comparable à celui qui avait en partie expliqué le rejet du texte issu de la CMP, il y a plus d’un mois, par une majorité de députés allant au-delà de la seule opposition. Mais il est vrai que, désormais, le seul objectif du Gouvernement et de sa majorité est d’en finir au plus vite. M. Copé l’a écrit dans la lettre qu’il a adressée aux membres de son groupe : « Ce n’est désormais plus la teneur de ce texte qui est en cause. » Permettez à notre groupe de rester, quant à lui, attaché au fond du projet de loi.
Cette nouvelle lecture nous aura permis de constater la soudaine discrétion de Mme Albanel quant au rendement attendu de la HADOPI, qui se traduira chaque jour par 10 000 courriels d’avertissement, 3 000 lettres recommandées et 1 000 coupures de l’accès à internet. Mme la ministre nous a expliqué in fine que cette loi avait pour seul but de créer « un cadre psychologique », avouant ainsi que, une fois votée et sous réserve de la censure du Conseil constitutionnel, elle n’avait pas pour but d’être appliquée.
Il est vrai qu’au moment même où nous débattions, autre utilité de cette nouvelle lecture, le Parlement européen a rendu ce texte caduc, par un vote acquis à une écrasante majorité, en rappelant que toute coupure de l’accès à internet ne pouvait se faire sans la décision préalable d’un juge. Tout au long de notre débat, les artistes auront donc été doublement trompés. Non seulement le texte ne rapportera pas un euro de plus à la création, mais il risque en outre de ne jamais être mis en œuvre.
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste, radical et citoyen votera contre cette loi d’exception et d’intimidation.
M. Philippe Gosselin
Après plus de quarante deux heures de débats en première lecture, plus de vingt heures en deuxième lecture, après le coup du rideau du 9 avril dernier à propos duquel je note au passage que, lors de la séance de jeudi dernier après-midi, il ne restait qu’un seul député socialiste dans l’hémicycle nous voilà sur le point d’adopter ce projet de loi.
Que n’avons-nous pas entendu depuis des semaines ! Que le Gouvernement et la majorité n’avaient rien compris à internet, et donc à la modernité ! Qu’ils n’avaient rien compris à la jeunesse, rien compris aux libertés, rien compris, pour tout dire, à la culture, j’en passe et des meilleures. Il est vrai qu’il est difficile d’aller expliquer à ses électeurs qu’à l’automne, au Sénat, on était unanimement pour et qu’aujourd’hui on est divisés et finalement opposés. Peut-être faut-il leur dire, comme M. Bloche le faisait il y a quelques jours, que le PS était trop occupé à la préparation du congrès de Reims. Cela fait sérieux. Il est curieux par ailleurs de voir l’opposition, d’ordinaire si prompte à tout réguler, défendre la loi de la jungle sur internet. La vérité, c’est que ce texte dérange, car il n’est pas tombé du ciel. Il est le fruit d’un véritable accord, celui de l’Elysée, auquel ont souscrit, à la suite du rapport Olivennes, quarante-sept organisations, entreprises, fournisseurs d’accès à internet qui représentent la totalité du monde de la culture et des communications électroniques. De plus, le texte est soutenu par la quasi-totalité des milieux artistiques et des auteurs, des compositeurs, des artistes, des producteurs, des réalisateurs. Il l’est même – après tout, j’aurais peut-être dû laisser Jack Lang défendre ce projet – par d’éminents ministres de la culture, comme lui-même et Catherine Tasca.
Que proposons-nous ? Une méthode pédagogique et préventive. Aujourd’hui, c’est la loi contre la contrefaçon qui s’applique. Ses dispositions sont lourdes et peu appropriées : trois ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Il faut faire plus simple. Il faut faire comprendre que le téléchargement illégal ne saurait être la règle. La propriété intellectuelle, fût-elle immatérielle, doit être respectée. Internet est un merveilleux espace de liberté. Mais il ne peut y avoir de liberté sans responsabilité. On ne peut mettre en avant l’exception culturelle française et ne rien faire, comme le voudrait la gauche. On ne peut se contenter d’explications alambiquées. Vous mettez en avant le jeu des majors, les chiffres d’affaires, les profits. La réalité, c’est que les ventes de DVD ont chuté de 35 % depuis cinq ans, le chiffre d’affaires des activités musicales de 55 % et que le piratage représente 1 milliard d’euros par an de produits non vendus. La riposte graduée, qui est pédagogique, permettra de mieux faire comprendre ces éléments.
Par ailleurs, la Haute autorité offre toutes les garanties nécessaires. Il s’agit d’une autorité indépendante, composée en partie de magistrats, et parfaitement au clair avec la convention européenne des droits de l’homme. Ses procédures sont contradictoires et respectent parfaitement les droits de la défense. C’est ce qui a été appliqué pour la CNIL, et ce le sera pour la HADOPI.
Enfin, c’est un texte parfaitement en phase avec le droit européen. Quoi qu’ait pu voter le Parlement européen,quand bien même l’accès à internet deviendrait un droit fondamental – et pourquoi pas, du reste ? – il devra toujours se concilier avec d’autres droits fondamentaux, et le respect de la propriété en est un. La Cour de justice des communautés européennes et le Conseil constitutionnel n’ont jamais dit autre chose.
Nul n’a la prétention d’avoir gravé une loi définitivement dans le marbre. Les techniques évoluent et, dans ce domaine également sans doute, les modèles économiques doivent parfois s’adapter. L’offre légale elle-même doit être étoffée, les catalogues doivent se diversifier et offrir des produits moins chers. Insistons aussi sur ce point, sur lequel nous serons jugés. Mais, si nous voulons continuer à diffuser et encourager la culture française, pouvoir encore nous prévaloir dans quelques années de notre exception culturelle, alors oui, cette loi est la bonne. C’est celle qu’il nous faut ici et maintenant. Voilà pourquoi le groupe UMP la votera.
Mme Martine Billard
Monsieur le président, madame et monsieur les ministres, mes chers collègues, je commence par remercier tous nos concitoyens qui, pendant notre discussion, nous ont apporté leur aide technique, ainsi que ceux qui ont pu être présents dans les tribunes réservées au public. Il n’est pas si courant que des artistes de renom suivent nos débats. J’espère qu’ils auront pu appréhender les différentes facettes du texte.
En l’occurrence, il ne s’agit pas d’opposer ceux qui défendent les droits d’auteur aux méchants internautes qui ne pensent qu’à piller films et morceaux de musique.
Les artistes qui soutiennent cette loi devraient se demander pourquoi tous les acteurs de l’informatique sans exclusive critiquent sévèrement ses dispositions techniques.
Il s’agit en fait d’un débat transversal entre ceux qui s’arc-boutent sur un modèle dépassé et ceux qui essaient de trouver des solutions au respect du droit d’auteur, dans le cadre d’un nouveau modèle numérique. En effet, on ne peut plaquer sur un support dématérialisé des solutions imaginées pour des supports physiques. Puisque internet est un outil fantastique de diffusion, de création et d’accès à la culture, nous devons repenser les droits d’auteur dans ce nouveau contexte.
S’il est juste que ceux-ci soient respectés, vous ne pouvez vous désintéresser, madame la ministre, des dispositions de cette loi attentatoire aux libertés. Vous ne pouvez ignorer qu’il n’existe aucune méthode fiable pour relier le titulaire de l’abonnement à internet à l’adresse IP qui aura été relevée par les sociétés d’ayants droit. Vous ne pouvez admettre sereinement que 30 à 40 % des abonnés puissent être mis en cause sans s’être rendus coupables d’aucune atteinte aux droits d’auteur. Vous ne pouvez accepter que des internautes se voient couper leur connexion à internet, désormais indispensable dans la vie courante, sans décision d’un juge et sans suspension du paiement de l’abonnement. Ce point ouvre la porte à tous les arbitraires, puisque, en fonction de leur situation professionnelle, les uns verront leur abonnement suspendu et pas les autres.
Au final, cette loi n’apportera pas un centime aux artistes, puisque le maintien du paiement des abonnements suspendus ne profitera ni à la création culturelle ni aux auteurs, mais aux fournisseurs d’accès, comme les revenus supplémentaires dégagés par la baisse des coûts de production et de diffusion consécutive au passage au support numérique ont été intégralement empochés par les majors.
Beaucoup de ceux qui critiquent aujourd’hui la gauche avaient de même approuvé aveuglément la loi DADVSI. Mais le temps a montré que nos évaluations étaient justes : votre obstination à vouloir protéger les parts de marché de quelques sociétés n’a pas incité les consommateurs à utiliser les plateformes de téléchargement. Aujourd’hui, on nous propose une nouvelle solution miracle, tout aussi absurde techniquement, technologiquement dépassée et inutilement coûteuse.
Cette loi ne sanctionne pas le téléchargement, mais le défaut de sécurisation par l’abonné de sa connexion internet. Elle impose aux simples particuliers et aux petits entrepreneurs comme les artisans de maîtriser leur système informatique, alors même que les administrations ou les entreprises disposant d’un service informatique n’en sont pas toujours capables. Il faudra donc installer un mouchard, dont la désactivation pourra être sanctionnée, sur chaque ordinateur connecté ou sur chaque box utilisée par les fournisseurs d’accès à internet. Ceci, ajouté à la volonté de faire labelliser par une autorité administrative des sites proposant des œuvres musicales ou cinématographiques, met gravement en danger la neutralité de l’internet.
Le fantasme de contrôle du réseau conduit à étendre l’application de dispositions destinées à lutter contre le terrorisme à la défense d’un droit de propriété. Les sanctions proposées sont tout à fait démesurées et s’apparentent à des sanctions collectives, puisque c’est l’abonné qui sera sanctionné et non l’auteur de l’infraction. « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère », disait le loup à l’agneau. Les poursuites pour contrefaçon et celles pour défaut de sécurisation de la connexion pourront se cumuler. Ces sanctions permettent, sans contrôle du juge, non seulement une suppression de l’accès à internet, mais aussi à la messagerie. Madame la ministre, vous persistez à refuser l’intervention de l’institution judiciaire, alors même que le Parlement européen a réaffirmé une nouvelle fois à une large majorité de 407 voix contre 57 qu’aucune restriction ne peut être imposée aux droits fondamentaux des utilisateurs finaux sans décision préalable de l’autorité judiciaire.
Votre défense des droits d’auteur est fluctuante, puisque, lorsqu’il s’agit des journalistes, à la demande de certains patrons de presse, vous ne respectez pas les engagements pris, y compris par le Président de la République, et vous imposez le droit de ne plus rémunérer les articles reproduits sur divers supports.
Cette loi est donc tout sauf une réponse satisfaisante pour les droits d’auteur. Elle a déjà fait une victime, en la personne du journaliste de TF1 licencié suite à une dénonciation par un membre de votre cabinet ministériel, certes mis à pied, mais seulement pour une durée d’un mois, alors que le journaliste, lui, se retrouve au chômage. Cet épisode montre que votre ministère n’a rien à refuser à TF1.
Pour notre part, nous soutenons la démarche des assises de la création et de l’internet annoncées pour l’automne afin d’associer à la réflexion nécessaire sur les droits d’auteur l’ensemble des parties, artistes, consommateurs et internautes : c’est la démarche inverse de celle des accords de l’Élysée. Vous aurez compris que les députés Verts, communistes, ultramarins et du parti de gauche du groupe GDR voteront contre cette loi.
M. François Sauvadet
Onze mars, 12 mai : nous voici enfin parvenus au terme de la discussion du projet de loi sur la diffusion et la protection de la création sur internet, après deux mois de débats, ce qui est assez rare, et après un retour du texte devant l’Assemblée assez inattendu. Je ne reviens pas sur les circonstances du vote du 9 avril dernier, qui nous a conduits à revoir ce texte en nouvelle lecture. Il nous a fait perdre un temps précieux, alors que de nombreuses réformes prioritaires pour les Français attendent d’être examinées. Je tiens à le dire alors que nous allons entamer la réforme de notre règlement, le fonctionnement de notre assemblée mérite mieux que des coups de dernière minute qui font plaisir à leurs auteurs mais desservent l’objectif, que nous devons partager, d’organiser nos travaux de façon démocratique.
Sur ce projet, nous avons eu des débats engagés et légitimes. Mais la question qui nous est posée aujourd’hui est la suivante : voulons-nous protéger la création face au téléchargement illégal ? Tel est bien le vrai sujet, et si la mobilisation des artistes a été si forte en faveur de ce texte, c’est que les conséquences de la piraterie sont lourdes. Elle fait peser une menace sur la création et sur l’emploi des 130 000 Français qui travaillent dans le secteur de l’audiovisuel et du spectacle vivant. De ce fait, selon nous, il fallait bien légiférer.
Le débat s’est concentré sur la nature de la sanction et sur la faisabilité de sa mise en œuvre. On ne saurait le balayer d’un revers de main, et nous y avons d’ailleurs participé sur tous les bancs. À cet égard, je salue l’engagement de Jean Dionis du Séjour qui s’est battu tout au long des débats avec une réelle conviction pour tenter de faire évoluer le texte.
Mais il est un point sur lequel nous devrions nous retrouver : il fallait en finir avec la sanction pénale pour les internautes qui téléchargent illégalement. Rappelons en effet qu’un adolescent qui téléchargeait un film encourait trois ans de prison et 300 000 euros d’amende. Et nous devrions également nous accorder sur le fait qu’il y avait urgence à substituer à cette sanction pénale une sanction graduée propre à responsabiliser les contrevenants.
Je rappelle simplement, mais fermement, que la piraterie numérique est illégale et que l’on s’expose à des sanctions en téléchargeant illégalement : tel est le message adressé aux internautes par ce projet de loi. C’est le droit des artistes qui est en jeu, le respect de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur. Certes, l’accès à la culture doit être reconnu et réaffirmé. Mais le formidable espace de diffusion culturelle qu’est devenu internet n’est pas et ne doit pas devenir une zone de non-droit. C’est un espace public comme les autres et à ce titre, il ne peut échapper à toute régulation.
Bien sûr, ce texte aurait pu aller plus loin pour développer durablement l’offre légale en ligne comme le réclamaient certains. Oui, ce projet de loi aurait pu privilégier le recours à l’amende, comme le demandait Jean Dionis du Séjour, plutôt que la suspension de l’accès à internet. Et sans doute faudra-t-il trouver une solution européenne, compte tenu de l’ampleur internationale du téléchargement illégal.
Mais, au-delà de ces réserves légitimes, l’essentiel est d’envoyer aujourd’hui un signal fort aux internautes pour leur dire qu’ils doivent renoncer à télécharger illégalement. Par attachement à la création artistique française, conscients des difficultés d’application que je viens d’évoquer et qu’a soulignées Jean Dionis du Séjour, conscients aussi de leurs responsabilités, les députés du groupe du Nouveau Centre voteront majoritairement en faveur de ce texte. Il faudra ensuite l’évaluer et, sans aucun doute, poursuivre ce travail, en nous efforçant de trouver des modèles économiques de demain qui permettront d’assurer le bon équilibre entre l’accès à la culture sur internet, qui est un formidable outil de démocratisation culturelle, sans doute le plus puissant jamais conçu, et une juste rémunération de la création. Il y va de l’avenir de l’exception culturelle française.