Debats Hadopi 090429 1
Compte rendu initial
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Mme Marietta Karamanli
Ce texte est dénoncé, depuis longtemps, par les députés socialistes et par une part croissante de l'opinion, pour au moins trois raisons qui nous conduisent à refuser de délibérer en l'état.
Tout d'abord, ce projet de loi est répressif et contraire aux garanties fondamentales qui doivent être accordées à toute personne sanctionnée. Il est répressif puisque la loi ne punira pas à titre principal le piratage mais l'absence de diligence à ne pas lutter contre une utilisation abusive de son accès à Internet, le délit de contrefaçon, qui réprime le piratage, existant déjà.
Ce projet de loi est, de plus, bureaucratique, puisqu'il crée une nouvelle autorité administrative indépendante à laquelle est donné le pouvoir de sanctionner un nouveau délit. Elle s'appuiera dans la pratique sur les capacités de suivi et de contrôle des majors du disque et du film, qui ne défendront que les droits dont elles font commerce ou pour lesquels elles ont un intérêt commercial. Tant pis pour les labels indépendants et les créateurs qui ne sont pas connus ou le sont peu. Le projet de loi provoquera donc une rupture d'égalité.
Pour masquer le caractère massivement répressif de l'opération HADOPI, le projet de loi prévoit que des labels seront proposés sur les offres considérées comme légales, ce qui conduira l'État à promouvoir les mêmes majors du disque et du film, lesquelles seront, dès lors, considérées comme défendant la création, alors même qu'elles entendent en premier lieu défendre les droits dont elles font commerce, les gardant sans retour s'ils n'ont pas ou plus d'intérêt.
La tentation de contrôler les échanges sur Internet sera donc grande, ce qui, par ricochet, limitera la liberté.
Ensuite, ce projet de loi porte une atteinte disproportionnée au droit d'accès aux échanges gratuits et aux services d'intérêt général sur Internet. En instituant comme sanction la privation d'accès à Internet, le texte va à l'encontre des orientations de fond de la réglementation des télécommunications, dont la révision est en cours au plan européen.
Enfin, ce projet repose sur un modèle économique qui se révélera de plus en plus anachronique. J'ai eu la curiosité de consulter le rapport d'activités 2008 du numéro un mondial de la communication et de la musique, qui se félicite que ses ventes de musique numérique en ligne aient fortement progressé, avec des hausses significatives de téléchargement légal de titres entiers, tant sur Internet que sur le téléphone mobile. Il attend une forte croissance du secteur numérique en 2009. Il entend même, à côté de la musique enregistrée, développer l'édition musicale, qui consiste à acheter des droits et à les concéder sous licence pour divers usages, de même qu'à entrer dans le merchandising des artistes avec tournée et commercialisation d'images.
La première question n'est donc pas de savoir combien les majors ont perdu, mais plutôt combien elles ont gagné du fait de la diffusion renforcée que permettent et réalisent tous ces téléchargements jugés illégaux, quels qu'en soient les motifs et les conditions.
La seconde est de savoir si l'industrie, aujourd'hui, compenserait le manque à gagner des artistes si le partage des œuvres était entravé par un système portant atteinte aux droits des internautes dans leur majorité. La réponse à cette question est certainement non. Il faudrait un mécanisme de licence créative et un dispositif permettant d'aider les artistes et les producteurs à maîtriser les enjeux des nouvelles technologies afin d'en tirer le meilleur parti pour améliorer la création et garantir les revenus.
C'est pour ces trois raisons que je vous demande, mes chers collègues, au nom du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, de refuser de délibérer en l'état d'un projet de loi répressif, attentatoire aux échanges gratuits et à l'accès aux services d'intérêt général sur Internet et qui repose, de surcroît, sur un modèle économique anachronique.
M. Patrick Bloche
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 9 avril dernier, au sein même de cet hémicycle, une majorité de députés rejetait le projet de loi HADOPI, traduisant ainsi le doute qui avait gagné jusqu'aux rangs de l'UMP.
Ce qui s'est passé ici le 9 avril, ce n'est pas « une petite manip », comme voudrait nous le faire croire M. Copé, ni « un coup de flibuste », pour reprendre l'expression de M. Karoutchi, ni un épisode rocambolesque, madame la ministre, ni une manœuvre politicienne, monsieur Riester. Ce qui s'est réellement passé, chers collègues, c'est que la représentation nationale, sous la présidence exemplaire et éminemment honnête d'Alain Néri, s'est dressée pour rejeter un texte perdant-perdant : perdant pour les internautes sur lesquels va désormais peser une présomption de culpabilité ; perdant pour les artistes trompés de manière éhontée puisque le projet de loi ne rapportera pas un euro de plus à la création.
Le matin même du 9 avril, notre collègue Marc Le Fur, vice-président UMP de l'Assemblée nationale, nous avait pourtant alertés : « Il y a les “ people ”, et puis il y a le peuple. Et on a un peu oublié le peuple. Pardonnez-moi de défendre le peuple dans cette enceinte. »
Il faut dire que la triste réunion de la commission mixte paritaire, qui avait précédé ce vote, avait – ultime provocation – été amenée à balayer les maigres avancées que nous avions pu obtenir. Elle avait notamment rétabli manu militari la triple peine – sanction pénale, sanction administrative et sanction financière, avec obligation pour l'internaute de continuer à payer son abonnement une fois son accès à internet coupé – ou était revenue sur l'amnistie des sanctions prises à l'encontre des internautes en vertu des dispositions de la loi DADVSI.
De fait, le durcissement final du projet de loi a été pour beaucoup dans le résultat du vote du 9 avril.
Ce jour-là, la loi HADOPI est morte politiquement et il ne s'agit désormais plus que d'assurer sa survie parlementaire. Cependant, Nicolas Sarkozy s'entête à vouloir la faire voter toutes affaires cessantes. C'est que le texte est la traduction législative des accords de l'Élysée signés il y a déjà un an et demi : son rejet par l'Assemblée nationale représente donc, pour le Président de la République, une défaite personnelle. C'est sous pression élyséenne que, lundi dernier, la commission des lois a vu son rapporteur se faire hara-kiri en défendant avec le même aplomb la suppression de dispositions qu'il avait pourtant défendues avec fougue et fait voter par l'Assemblée nationale en première lecture.
Il est par ailleurs paradoxal d'entendre la majorité se plaindre du retard qu'entraîne le rejet du projet de loi, alors que ce texte a pour conséquence de retarder bien inutilement la nécessaire adaptation du droit d'auteur à l'ère numérique. C'est d'autant plus vrai qu'il ne pourra techniquement être mis en œuvre une fois voté – si un jour il l'est. Rappelons que les plus gros opérateurs estiment ne pouvoir lever les nombreux obstacles techniques que dans un délai minimal de dix-huit mois et en y consacrant plusieurs millions d'euros.
Madame la ministre, pour justifier votre démarche, vous avez affirmé, à plusieurs reprises, sur la base d'une assertion gratuite à défaut d'une étude sérieuse, que « la France est championne du monde en matière de piratage ».
Quel n'a donc pas été mon étonnement lorsque j'ai lu, le 16 avril dernier, un article sur le congrès de l'industrie du disque à Montréal qui annonçait : « Les Canadiens sont les champions du monde du téléchargement » ? Moi qui pensais que c'étaient les Français ! Notre record n'en serait donc pas un ? Mon trouble n'a été que plus grand lorsque j'ai découvert que la SGAE, équivalent espagnol de la SACEM, a annoncé, lors du MIDEM 2008, que les Espagnols étaient – devinez quoi – les champions du monde du téléchargement !
Qui détient donc aujourd'hui ce record ? Faute de pouvoir trancher, nous savons au moins que le champion français des partis politiques en matière de piratage est incontestablement l'UMP, qui, nous venons de l'apprendre, devra verser 32 500 euros – et non pas l'euro symbolique qu'elle avait généreusement proposé – de dommages et intérêts à un groupe musical piraté lors d'un de ses meetings.
Nous l'avons dit et nous le répétons à l'occasion de cette nouvelle lecture : ce projet de loi est un pari perdu d'avance. On ne fait jamais de bonnes lois en dressant nos concitoyens les uns contre les autres, comme ce texte qui oppose les créateurs aux internautes, c'est-à-dire les artistes à leur public.
Ce texte est inutile à plusieurs titres : il est d'ores et déjà dépassé ; il est inefficace, car contournable ; il est risqué pour nos concitoyens tant il comporte d'aléas et d'incertitudes juridiques. Et, surtout, je le rappelle, il ne rapportera pas un euro de plus aux créateurs.
Pourtant, aujourd'hui encore, le Gouvernement ignore toute approche alternative qui pourrait être fondée sur la reconnaissance des échanges non lucratifs entre individus, en contrepartie du paiement d'une contribution forfaitaire par les abonnés au haut débit. Nous avons proposé l'instauration d'une contribution créatrice pour ouvrir un débat que vous avez aussitôt refermé.
Il est évidemment plus simple de se contenter d'affirmer – comme, le 22 avril dernier, le Président de la République trouvant à nouveau, dans son agenda, le temps de recevoir à l'Élysée quelques célébrités du monde artistique – que « le créateur était propriétaire de sa création », ce que personne ne conteste, et d'enfoncer ainsi des portes ouvertes afin de masquer la réalité d'un projet de loi qui met en place un dispositif répressif disproportionné.
Le participant à cette rencontre qui a rapporté ces propos n'a malheureusement pas révélé si, en cette occasion, l'épouse du chef de l'État avait confirmé les déclarations selon lesquelles elle a, en tant qu'artiste, « grand plaisir à être téléportée, grand plaisir à être copiée, grand plaisir à être piratée, car, au fond, quand on est piraté, c'est qu'on intéresse les gens ».
Je voudrais d'ailleurs rendre hommage à la femme du chef de l'État, car, la semaine dernière, la publication d'une étude suédoise lui a donné raison, en démontrant que les personnes qui téléchargent gratuitement de la musique achètent dix fois plus de musique sur internet que les personnes qui ne téléchargent pas.
Nous ne savons pas non plus si, sous les ors de la République, a été évoqué le second camouflet infligé au Gouvernement français par le Parlement européen, qui vient à nouveau, par le vote massif de l'une de ses commissions, de rappeler que le projet de loi HADOPI était condamné à très court terme par l'évolution de la législation européenne.
Dans le même temps, le monde culturel bouge et nombreux sont les auteurs et artistes qui ont compris qu'on les leurrait et qui manifestent leur opposition à HADOPI : artistes interprètes de la musique et de la danse ; acteurs, réalisateurs et producteurs de cinéma ; acteurs du monde de la science-fiction et salles de cinéma indépendantes, hier encore. La liste s'allonge chaque jour.
Depuis toujours, la gauche est aux côtés des artistes. Elle l'a montré, ces dernières années, lors du conflit des intermittents du spectacle ou en s'opposant, depuis sept ans, à ce que le ministère de la culture ne devienne le parent pauvre de la République : sept ans où l'on a sabré les crédits de la création, étouffé l'éducation artistique, dépouillé l'audiovisuel public des ressources complémentaires de la publicité qui l'aidaient à soutenir la production cinématographique, imposé une taxe compensatoire aux fournisseurs d'accès qui aurait pu servir à la rémunération des auteurs.
Quant aux artistes qui suivent vos recommandations et ne se préparent pas à l'émergence d'un nouveau modèle économique, ils risquent de subir cette transition plutôt que d'en être les acteurs vigilants.
Vous auriez dû vous préoccuper de cela en priorité, madame la ministre, plutôt que de créer un Meccano hasardeux et inefficace qui ne leur sera d'aucun secours, mais qui suspendra une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête de nos concitoyens.
Je ne reviendrai pas sur tous les arguments défendus dans mes deux précédentes exceptions d'irrecevabilité, mais je ne peux faire l'impasse sur un certain nombre de points. Ainsi, malgré nos demandes réitérées, nous n'avons toujours pas obtenu de réponse à une question simple : qui prendra en charge les coûts d'investissement nécessaires à l'adaptation des réseaux aux exigences de la loi ? Le Conseil général des technologies de l'information – CGTI –, organisme dépendant de Bercy, les estime au minimum à 70 millions d'euros sur trois ans.
Or le Conseil constitutionnel a clairement considéré, dans une décision du 18 décembre 2000, que, en raison de leur nature, ces dépenses ne sauraient incomber directement aux opérateurs. C'est ennuyeux, dans la mesure où, pour 2009, madame la ministre, vous n'avez budgété que 6,7 millions d'euros.
Nous souhaitons également rappeler combien nous sommes inquiets de voir la prise de sanctions telles que la suspension d'un abonnement à internet confiée à une autorité administrative. La compétence exclusive du juge pour toute mesure visant la protection ou la restriction des libertés individuelles est un principe rappelé à maintes reprises par le Conseil constitutionnel. Selon ce principe, vous ne pouvez donc abandonner un tel pouvoir à une autorité administrative.
Au-delà, nous regrettons vivement que ce texte demeure flou et imprécis, et que, de surcroît, les débats n'aient pas permis d'éclairer le silence de la loi. Quelles sociétés seront ainsi chargées de la collecte des adresses IP incriminées, préalable à la saisine de la HADOPI, et avec quelles garanties techniques ? Silence… Quels seront les moyens de sécurisation prétendument absolue que la HADOPI sera amenée à labelliser ? Sur quelles bases le seront-ils ? Silence… En fonction de quels critères la HADOPI décidera-t-elle d'envoyer un mail d'avertissement, puis une recommandation ? En fonction de quels critères choisira-t-elle entre la sanction et l'injonction ? En fonction de quels critères proposera-t-elle une transaction plutôt qu'une sanction ? Nous ne le savons toujours pas. Il n'est pas acceptable de laisser la HADOPI en décider seule, arbitrairement et de manière aléatoire, sans que le législateur ait défini un cadre au préalable : c'est contraire au principe d'égalité des citoyens devant la loi.
Le silence de cette loi est porteur de trop de menaces et d'incertitudes, oserais-je dire de dissimulations ?
Vous avez essayé, madame la ministre, de nous rassurer en nous expliquant que les sanctions seraient prises après réflexion, discussions, mails, lettres, coups de téléphone avec les internautes, bref, que vous feriez du cas par cas.
Sauf que, dans le même temps, vous nous avez répété – ô combien de fois – vos objectifs. Je vous cite : « Nous partons d'une hypothèse de fonctionnement de 10 000 courriels d'avertissement, 3 000 lettres recommandées et 1 000 décisions de suspension par jour ». Ce dispositif est donc bien un dispositif de masse, et comme vous avez dit en séance le 30 mars : « Bien sûr, le système sera complètement automatisé ». Automatisation et examen au cas par cas ne vont pas ensemble, madame la ministre. C'est le moins que l'on puisse dire ! Et technologiquement parlant, le risque d'erreur est grand.
Le caractère manifestement disproportionné de la sanction encourue par les internautes est aggravé par le fait que ces derniers ne pourront bénéficier des garanties procédurales habituelles. Absence de procédure contradictoire, non prise en compte de la présomption d'innocence, non respect du principe de l'imputabilité, possibilité de cumuler sanction administrative, sanction pénale et sanction financière constituent – nous le rappelons avec force aujourd'hui – autant d'éléments d'irrecevabilité.
Avec la réintroduction, dans cette nouvelle lecture, de l'obligation pour l'internaute de continuer à payer son abonnement après la suspension de son accès à Internet, il s'agit purement et simplement d'ignorer ce que sont les dispositions du code de la consommation. En cela, votre texte est plus que jamais une loi d'exception.
Votre projet de loi met donc en place une présomption de responsabilité, et même de culpabilité de l'internaute. Le choix délibéré de faire peser la charge de la preuve sur lui, combiné à l'absence de droit de recours effectif de la part des titulaires de l'accès recevant des messages d'avertissement par voie électronique, ignore tout simplement ce qu'on appelle le droit à une procédure équitable et les droits de la défense.
Nous ne nous satisfaisons pas, madame la ministre, d'avoir eu raison il y a trois ans. Nous ne nous satisfaisons pas de devoir à nouveau nous opposer à un texte qui s'inscrit dans la droite ligne de la loi dite DADVSI. Nous ne nous satisferons pas, dans un an, peut-être deux, d'avoir à faire le même et triste constat : les artistes n'auront pas touché un euro de plus, le contribuable aura financé cette gabegie et vous – ou votre successeur – n'oserez même pas faire le bilan d'une loi aussi inefficace qu'inutile.
Madame la ministre, Renaud Donnedieu de Vabres vous a un peu rapidement félicitée d'avoir réussi là où il avait échoué. C'était un geste amical de sa part. Craignez que, comme Hyacinthe dans Les Fourberies de Scapin si chères à M. Karoutchi, il ne vous dise désormais : « La ressemblance de nos destins doit contribuer encore à faire naître notre amitié ».
Je vous invite, chers collègues à voter cette exception d'irrecevabilité.
Mme Corinne Erhel
Nous réitérons, comme vient de le souligner Patrick Bloche, notre forte opposition à votre texte.
Il présente à nos yeux au moins cinq écueils majeurs : il est inefficace, il est complexe, il est coûteux, il est archaïque et il est liberticide.
Votre loi est inefficace : en réalité, elle est déjà obsolète et elle ne réglera rien du tout. Le modèle que vous essayez d'adopter est en réalité déjà dépassé par l'avènement de nouvelles technologies. Vous n'avez sur ce sujet fait preuve d'aucune audace pour proposer un nouveau modèle économique de rémunération du droit d'auteur à l'ère numérique. Je le rappelle une fois encore : pas un euro supplémentaire n'est dévolu au financement de la création.
Vous laissez croire à l'opinion publique que ce texte est favorable aux artistes et va tout régler, ce qui ne constitue en réalité qu'une stratégie de communication simpliste et répétitive.
Votre texte ne fait que creuser un fossé entre les artistes et leur public ; vous vous trompez sur ce sujet à la fois de cible et de méthode.
Votre loi est trop complexe : l'application de ce projet de loi conduit à la mise en place d'une véritable usine à gaz, qui sera source de nombreux contentieux juridiques.
Votre loi est très coûteuse : sa mise en œuvre va engendrer un coût exorbitant, estimé au bas mot à 6,7 millions d'euros pour le fonctionnement de la HADOPI, et à 70 millions d'euros minimum pour les ajustements techniques nécessaires, c'est-à-dire l'adaptation des réseaux pour la mise en œuvre de la sanction de suspension. On peut se demander : pourquoi faire compliqué lorsque l'on peut faire simple ? Et qui va payer : tous les internautes, le contribuable, la filière ? Vous n'avez pas répondu à ces questions, madame la ministre.
Votre loi est archaïque : vous ne pouvez pas en même temps afficher une volonté de faire de la France un pays d'excellence numérique et inscrire parallèlement dans notre droit la suspension de l'accès à Internet. C'est bien là le point qui trouble votre majorité.
La mesure phare de la loi – la suspension de l'accès à Internet – est en contradiction totale avec les objectifs d'accès pour tous à Internet. Pour nous, celui-ci doit désormais être considéré comme un droit fondamental pour chacun.
La suspension de l'abonnement à Internet est une sanction totalement incongrue et incohérente, qui résulte d'une conception archaïque, en décalage avec la société dans laquelle nous vivons. L'absence de la secrétaire d'État en charge de l'économie numérique lors des débats en dit d'ailleurs long sur ce sujet.
Enfin, votre loi est liberticide : elle organise de fait une surveillance généralisée de la toile et remet en cause les libertés individuelles.
En conclusion, je regrette que l'on n'ait pas cherché un point d'équilibre, notamment en acceptant nos propositions pour favoriser une offre légale attractive pour l'ensemble des internautes, avec la mise en place d'un financement équitable pour la création : c'est ce que nous appelons la contribution créative. Vous n'avez pas daigné l'étudier.
Au lieu de considérer qu'il s'agit d'un débat de société appelant une réponse politique au sens noble de ce terme, vous vous perdez malheureusement dans des méandres juridiques et techniques qui aboutiront – j'en prends le pari – à l'arrivée d'un nouveau texte, parce le vôtre n'aura non seulement rien réglé mais en plus nous aura fait perdre du temps et de l'argent. C'est tout de même regrettable.
Pour toutes ces raisons, nous voterons l'exception d'irrecevabilité défendue par Patrick Bloche.
Mme Martine Billard
Madame la ministre, ce débat a déjà duré quarante heures. Je rappelle d'ailleurs que les sénateurs verts et communistes s'étaient abstenus en première lecture. Puis, les sénateurs verts ont voté contre le texte de la CMP. Vous devriez donc cesser de répéter des contrevérités.
Madame la ministre, vous avez parlé de modèle de société et notre collègue du Nouveau Centre vient d'évoquer à nouveau l'exception culturelle française. Nous sommes tous fiers de cette exception culturelle et nous avons tous eu à cœur de la défendre. À cet égard je souligne que les tentatives d'atteinte au prix unique du livre ne viennent pas des bancs de la gauche, mais bien de ceux de la droite. Aujourd'hui, vous êtes en train d'ajouter à l'exception culturelle française une exception Internet française ; mais de celle-ci, vous ne pourrez pas être fier ; c'est le moins qu'on puisse dire !
Votre loi, madame la ministre, n'est pas moderne, elle est obsolète. Cher monsieur Gosselin, pourquoi s'étonner que le CD ou le DVD soient aujourd'hui en perte de vitesse ? Tout comme le 78 tours a été chassé par le 45 tours, lui-même chassé par le 33 tours, le CD a chassé le 33 tours, et le support dématérialisé est en train de chasser le CD. Il en va de même pour les DVD par rapport aux cassettes vidéo. Certes, la vente de disques baisse, mais la question est de savoir si, globalement, il y a toujours une rémunération de la musique.
Votre loi, madame la ministre, est absurde par rapport aux technologies. Nous y reviendrons, bien que nous l'ayons déjà démontré tout au long des quarante heures de débat que nous avons eues, au cours desquelles vous avez rarement été capable de répondre à nos questions relatives à la technologie. Nous n'avons jamais réussi à obtenir des précisions, que ce soit de votre part ou de celle du rapporteur, sur le contenu des décrets qui découleront de ce texte de loi. Ils nous ont répondu systématiquement que la HADOPI déciderait. Or nous ne savons pas, et c'est l'un des motifs de cette exception d'irrecevabilité, quels seront les critères pour décider que tel internaute verra sa connexion coupée ou non. Il y a donc, s'agissant de la coupure Internet, rupture d'égalité devant la loi.
Madame la ministre, vous essayez de faire croire aux auteurs, aux artistes et à tous les parlementaires qui ne maîtrisent pas Internet qu'il n'y a pas de problème et qu'il est possible de défendre les droits d'auteur sans se poser de question sur ce nouveau support. Je le dis aux auteurs et aux artistes ici présents, comme aux internautes : nous devons défendre les droits d'auteur patrimoniaux et moraux. Toutefois cela ne peut se faire contre la neutralité de l'Internet. Il faut trouver un équilibre entre les deux. Le droit de propriété ne peut être supérieur aux libertés telles qu'elles doivent être encadrées par la loi.
Vous nous demandez de faire une exception pour un droit de propriété, exception qui n'a été autorisée ni dans le cadre de la lutte contre le racisme ni dans celui de la lutte contre la pédophilie. Cette exception est autorisée seulement dans le cas de la lutte contre le terrorisme.
Nous considérons, au groupe GDR, qu'il n'est pas possible d'étendre à un droit de propriété une exception prévue pour la lutte antiterroriste. Nous voulons trouver des solutions, mais qu'a fait le Gouvernement depuis la loi DADVSI ? À cette époque, nous avons été nombreux à dire, avec des auteurs et des artistes, que cette loi ne tenait pas la route, qu'il fallait réfléchir ensemble, auteurs, artistes, interprètes, producteurs et internautes, pour trouver des solutions face à ce nouveau modèle impliqué par le web.
Rien n'a été fait ! À aucun moment, vous n'avez essayé de mener ce travail de réflexion collective. Aujourd'hui, heureusement, l'UFC-Que Choisir, les associations de consommateurs, les associations d'internautes, des artistes, des auteurs et des interprètes ont décidé de se saisir de la question pour trouver des réponses. En effet si les réponses concernant la musique sont faciles, elles sont un peu plus difficiles en matière de cinéma. Travaillons ensemble pour trouver ces réponses au lieu de nous désintéresser des graves conséquences que cette loi aura pour les internautes.
Pour toutes ces raisons, au nom du groupe GDR, je voterai cette exception d'irrecevabilité.
[...]
Je me félicite de la présence de nombreux députés, cette fois-ci, pour suivre ce débat.
La connaissance des uns et des autres sur le sujet ne pourra que s'en trouver enrichie.
En fin de compte, madame la ministre, votre problème, c'est Internet. Pour vous, il s'agit d'un outil dangereux que vous cherchez donc à contrôler, à réduire à une dimension commerciale, que vous cherchez à surveiller, à labelliser ; cela, au lieu d'envisager tous les aspects positifs qu'Internet peut receler pour la création.
À propos de la « coupure Internet » que vous proposez comme sanction au piratage, le compte rendu des débats de la commission des affaires culturelles, saisie pour avis, permet de constater un étonnant changement de position de certains de nos collègues de l'UMP. Je pense notamment à l'une de mes propositions visant, en cas de coupure, à reverser le montant de l'abonnement à un fonds pour la création, proposition qui avait suscité un certain intérêt dans les rangs de la majorité.
Ainsi, la rapporteure pour avis, Mme Marland-Militello, affirmait : « Je suis séduite par l'idée d'affecter à la création le montant de l'abonnement que l'internaute sanctionné continuera de verser. » Mme de Panafieu, pour sa part, déclarait : « Je suis favorable au principe d'un financement des créateurs par le biais de cette sanction, qui viendrait en réparation du préjudice généré par le piratage. » M. Herbillon soutenait quant à lui : « Il me paraît illogique et contraire aux libertés individuelles de faire payer à l'internaute sanctionné l'abonnement qui fait l'objet d'une suspension. Cependant, si cette disposition devait être maintenue, je serais favorable à ce que l'argent correspondant soit destiné au financement de la création. »
On pouvait donc constater un assez large accord, au sein de la commission des affaires culturelles, pour que, malgré nos divergences quant au bien-fondé de la coupure ou bien sur le fait que l'abonnement doive continuer d'être payé, au moins, le produit de cet abonnement, en cas de coupure, serve réellement la création. Malheureusement, à aucun moment ; vous n'avez voulu retenir cette proposition.
Il ne sert donc à rien de délibérer à nouveau sur ce texte puisque vous n'acceptez aucune proposition. Vous avez repoussé celle que je viens d'évoquer, vous rétablissez la double peine, vous êtes revenues sur le logiciel mouchard, vous remettez en cause le livre blanc sur lequel s'étaient accordés le Gouvernement et l'ensemble des professions de la presse. Un amendement de notre collègue Christian Kert remet ainsi en cause des accords avec les syndicats de journalistes.
Vous avez même, lundi dernier, en commission des lois, ajouté à l'obligation de sécurisation de sa connexion Internet, l'obligation de sécuriser sa messagerie électronique. Voilà, chers collègues, qui fait bien rire.
Imaginez que vous allez sécuriser votre messagerie sur Yahoo ou sur Gmail !
Ces détails techniques sont peut-être fastidieux mais ils permettent de mesurer combien le texte est idiot , et de constater qu'il y a bien tromperie des auteurs et des artistes parce qu'on leur vend des dispositions inapplicables, absurdes. Efforcez-vous donc au moins de voter votre projet en évitant les dispositions absurdes !
Monsieur le rapporteur, j'ai bien peur que vous ne finissiez un peu comme notre collègue Christian Vanneste qui avait défendu avec une forte conviction la loi DADVSI et qui se rend compte aujourd'hui que c'était une erreur et que la loi HADOPI est pire encore.
Il faut donc en rester là et voter cette question préalable.
M. Marc Laffineur
Ce texte est suffisamment important pour que nous commencions les débats avec beaucoup de sérénité, ce qui nous permettra d'aller le plus vite possible dans le cadre, bien entendu, d'une discussion législative normale. Il s'agit d'aider la création dans notre pays, de faire en sorte que les artistes, les interprètes et les auteurs soient légitimement rétribués pour leurs créations et pour leurs œuvres ; c'est l'intérêt de tout le monde artistique de notre pays. Il n'est donc pas nécessaire, mes chers collègues, d'entamer ce débat en attaquant un député de notre groupe. D'autant plus quand il s'agit de M. Lefebvre, qui est particulièrement présent lors de l'examen des textes, et qui l'a également été sur ce projet de loi. Je rappelle que, le jour de l'examen du texte de la CMP, il était présent jusqu'à douze heures quinze, mais qu'il a dû quitter l'hémicycle pour participer à une réunion , comme il y en a tant, en commission ou ailleurs, pendant que se tiennent les séances publiques.
Enfin, je rappelle qu'en vertu de la loi de notre pays et du règlement de notre assemblée, à partir du moment où la majorité des votants ont voté contre le texte proposé par la CMP, il est tout à fait normal que le projet de loi revienne pour une nouvelle lecture à l'Assemblée nationale. Je peux comprendre l'attitude de l'opposition, mais je crois que nous avons suffisamment perdu de temps sur ce texte. Il est temps maintenant de passer à la discussion sur le fond afin d'aider la création de notre pays.
M. Philippe Gosselin
Nous avons vraiment l'impression d'être au théâtre ! Et, comme au théâtre, il y a quinze jours, la pièce était jouée : on croyait le rideau tombé ; erreur, il était soulevé, dans un coup d'éclat, par une manœuvre de piratage facile, mais efficace.
Nous voilà donc en train de jouer un bis de cette pièce dont nous avions apprécié la générale.
Atteinte d'une forme de schizophrénie, l'opposition contredisait ce qui avait été fait au Sénat de façon – faut-il le rappeler ? – unanime. Quand on demande aux responsables socialistes la raison de cette volte-face, la réponse nous vient de M. Bloche, qui déclare ce matin dans La Tribune : « Le PS était assez accaparé par le congrès de Reims ».
C'est excellent ! Si, désormais, il faut attendre que le PS ait réglé ses problèmes d'égo et ses querelles intestines et soit en ordre de marche, dites-le nous : le Parlement pourra peut-être travailler dans quelques années !
Ségolène pourrait peut-être demander pardon, effectivement !
Une fois de plus, l'opposition se trompe totalement de débat ! On nous parle de droits, d'une loi liberticide, d'une droite ringarde qui n'aurait rien compris ni à Internet ni à la culture . Faut-il rappeler les chiffres ? Ce sont 220 000 emplois qui dépendent des activités culturelles en France au sens large : musique, audiovisuel, édition.
Cela représente, vous le savez, une part importante de PIB.
Mme la ministre a rappelé tout à l'heure quelques chiffres : le DVD est en baisse de 35 %, la musique de 50 % depuis cinq ans.
Le piratage représente à lui seul un manque à gagner évalué à un milliard d'euros, et à 10 000 emplois par an. Je sais que cela vous déplaît, mais les chiffres sont têtus !
On nous parle aussi de droit européen : le Parlement européen aurait adopté un amendement. La belle affaire ! C'est effectivement son droit, mais encore faut-il que cet amendement soit repris dans le paquet « Télécoms ». Et quand bien même l'accès à Internet en viendrait à être considéré comme un droit fondamental – ce qui sera effectivement peut-être possible un jour – tout droit fondamental, tout principe doit se concilier avec des principes de même valeur. La Cour de justice des communautés européennes, le Conseil d'État, la Cour de cassation elle-même, et le Conseil constitutionnel surtout n'ont jamais dit autre chose.
Le droit d'accès à Internet devra donc de toute façon se concilier avec le droit de propriété, fût-il un droit de propriété intellectuelle, donc immatérielle.
On nous parle d'un texte liberticide. Pourtant jamais les garanties procédurales n'ont été aussi importantes ! Veut-on en arriver à l'encombrement que connaissent les tribunaux allemands ? La HADOPI apporte un certain nombre de garanties ; le processus est pédagogique, il est progressif. Veut-on, une fois encore et quarante ans après mai 1968, nous dire qu'il est interdit d'interdire ?
S'agit-il de faire le jeu de quelques post-soixante-huitards attardés ? Je le refuse !
Au nom du groupe UMP, je vous invite, mes chers collègues, à repousser cette motion.
[...]
Je veux laisser le temps à mes collègues de l'opposition de faire une standing ovation à leur orateur, si cela peut leur fait plaisir.
C'est vrai, monsieur Paul, la culture n'est pas un bien comme les autres.
Nous partageons totalement ce sentiment. Il convient toutefois de rappeler que, si la culture est un bien qui n'a pas de prix, il a nécessairement un coût, qu'il faut assumer d'une façon ou d'une autre.
Vous avez évoqué l'industrie culturelle, son aspect mercantile, pour, de nouveau, entonner l'antienne du pot de terre contre le pot de fer, la lutte des petits contre les gros. Or tel n'est pas le débat, puisque 99 % des entreprises de la musique et 95 % des salles de cinéma sont des PME et non des gros groupes, comme vous le suggérez.
Nous n'avons jamais été contre la gratuité, qui, c'est vrai, peut avoir sa place. Des sites, aujourd'hui, existent, qui sont financés par la publicité. Pourquoi pas, puisque ce qui fait alors la différence avec le piratage et l'illégalité, c'est le consentement de l'auteur ? Ce que nous combattons, ce n'est pas la gratuité mais le piratage illégal.
Les accords de l'Élysée de l'automne 2007 passés entre les fournisseurs, des représentants du monde de la culture et de la musique et des artistes vous gênent du fait qu'aujourd'hui, sans mauvais jeu de mots, il s'agit de les mettre en musique et que cela ne va pas, chez vous, sans de nombreux couacs !
La propriété intellectuelle, tout immatérielle qu'elle soit, vous le savez, mérite protection. Cela a déjà été dit : il n'y a pas de liberté sans responsabilité. Internet est un formidable espace de liberté dans lequel on ne saurait laisser régner la loi de la jungle, le laisser-faire et le laissez-passer.
Nous ne prétendons pas que cette loi sera définitivement gravée dans le marbre. Les techniques évoluent et nous saurons nous adapter ! Nous prétendons, en revanche, que c'est la loi que le débat exige ici et maintenant. C'est la raison pour laquelle le groupe de l'UMP rejettera la question préalable.
M. Jean-François Copé
Désolé de déranger le numéro des socialistes et son bel ordonnancement, mais je veux dire un mot.
Première remarque, monsieur Brottes : si vous êtes choqué de l'emploi du terme « rocambolesque » par Mme la ministre, moi qui suis député comme vous, je reprends volontiers ce terme ; la séance concernée était même pis que cela : elle était indigne de notre assemblée !
Deuxième remarque : le spectacle que vous donnez encore aujourd'hui est scandaleux. Le combat que nous menons vise, je le rappelle, à préserver la création française. Il est donc grand temps de comprendre que ce spectacle lamentable est contraire à l'esprit de ce que nous voulons faire dans une nation rassemblée.
Il est parfois utile de dire les choses clairement : le présent texte a pour objectif de répondre à une situation folle, où des artistes, des créateurs et des interprètes travaillent sans être payés. Voilà ce qu'est le téléchargement illégal ! Il est des moments où nous devons assumer nos responsabilités.
Je connais la courtoisie légendaire de M. Brottes, et je regrette donc qu'il se soit dévoué pour la cause d'amis moins modérés ; chacun doit en tout cas comprendre que notre détermination est totale. La majorité sera présente aussi longtemps qu'il le faudra pour que ce texte au service de la création française soit adopté.
M. Christian Paul
Madame la ministre, je le dis à mon tour, ce projet de loi n'aurait jamais dû franchir à nouveau les portes de l'Assemblée nationale. Je vous ai écoutée avec attention, mais aussi avec tristesse, car vous revenez avec un esprit de revanche. HADOPI était bannie, le Parlement en avait ainsi décidé. HADOPI, c'était fini. « Le texte est rejeté », avait annoncé le président de séance, notre collègue Alain Néri, le 9 avril aux alentours de 13 heures, exprimant ainsi le sens du vote majoritaire intervenu au sein de cet hémicycle.
Dans une démocratie digne de ce nom, la suite n'aurait pas fait de doute. Le gouvernement aurait repris sa copie et tiré les leçons de ce fiasco législatif que, nombreux ici, convenez-en, nous vous avions annoncé dès le début de nos travaux.
Dans une démocratie digne de ce nom, je le dis au secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement et à la ministre de la culture, le gouvernement ne se serait pas laissé aller à des discours antiparlementaires, comme vous l'avez fait ce soir, madame Albanel !
Il ne fallait pas être grand clerc pour annoncer que lorsqu'un texte fait autant violence à la société, des hommes et des femmes venus de tous horizons culturels, professionnels ou politiques se révoltent. Il ne fallait pas être devin pour prédire que lorsqu'une loi divise et partage, il se trouve aussi, dans une majorité, des esprits libres pour le dire.
Si vous vouliez bien, monsieur Copé, prêter un instant attention aux orateurs de l'opposition… Une fois n'est pas coutume !
Oui, il se trouve aussi, en ce moment, dans votre majorité, des esprits libres pour le dire, pour vous contredire, et pour voter contre ou, au moins, pour s'abstenir ostensiblement.
Dans une démocratie qui ne serait pas confisquée, HADOPI aurait déjà rejoint les oubliettes de l'histoire, et l'on pourrait enfin passer à un ordre du jour plus sérieux.
Dans une telle démocratie, les députés UMP porteurs d'un avis différent ne seraient pas interdits de parole ce soir – j'en profite pour saluer Lionel Tardy – ou simplement absents. L'un d'entre eux, et je m'adresse, là aussi, à M. Copé…
L'un d'entre eux, excellent connaisseur de l'Internet, m'a confié, il y a une heure, qu'il partait entendre Macbeth à l'Opéra, pour ne pas faire ici de la figuration imposée !
Dans la démocratie française, ces temps-ci, on préfère l'affrontement au dialogue et le passage en force à la raison. Vous avez décidé de durcir ce texte, d'éradiquer tous les apports qui n'étaient pas inspirés par le Gouvernement. Monsieur Warsmann, vous l'avez prouvé lundi dans une séance d'anthologie, je dirais même d'hystérie, de la commission des lois.
Depuis deux semaines, vous n'avez rien appris ni rien oublié. Soit ! Par le fait du prince, de son courroux qui vous a frappés, de son caprice, de ses amitiés, HADOPI revient ce soir par la petite porte. Cependant, madame la ministre, nous sommes toujours là, nous, députés rendus inoxydables par ce long débat, qui restera, sous le nom de la bataille d'HADOPI, comme l'une des premières batailles culturelles et politiques de l'âge numérique.
Ce soir, nous devons exprimer une nouvelle fois les motifs de notre résistance et les raisons de notre opposition à cette loi inefficace, dangereuse et coûteuse. Toutefois il est aussi de notre devoir, et nous le ferons au cours de ce débat, d'exposer des propositions pour la rémunération des artistes et un programme pour l'avenir de la culture.
À l'épreuve de force, nous, socialistes, préférons la force des idées.
À cette loi d'exception, nous préférons, une nouvelle fois, l'exception culturelle.
Et je ne crains pas de venir sur le terrain de l'avenir de la culture et de l'exception culturelle, laquelle reste la marque de fabrique de la gauche, alors que, ces jours-ci, l'exception culturelle sert de paravent à de dangereuses dérives et à des contresens historiques.
L'exception culturelle, dans le message de la France, c'était – et cela doit rester – deux idées très fortes.
D'abord, la culture n'est pas une marchandise, et certainement pas une marchandise comme les autres. Nous ne sommes pas ignorants de l'économie culturelle et de ses besoins de financement mais on ne peut réduire la culture à l'économie. Il y a, dans la création, une part qui n'est pas réductible à l'échange marchand. Le créateur le sait et l'assume ; le public fan de musique, passionné de cinéma ou amoureux du texte le ressent, lui aussi. C'est pourquoi, en France, on a toujours recherché pour les œuvres culturelles un statut particulier et des règles exceptionnelles – le prix unique du livre, les quotas de production – ainsi que des financements exceptionnels et mutualisés : les fonds de soutien, les rémunérations pour copie privée… Tout cela, madame Albanel, c'est la gauche !
Nous l'avons fait sans penser que ces formes de protection, parce qu'elles étaient collectives, affaiblissaient les droits sacrés des auteurs.
Au nom de ce bien commun qu'est la culture, des espaces de gratuité furent construits : des bibliothèques, des musées, des radios libres, sans jamais penser que la gratuité dévalorisait l'œuvre ou l'artiste.
Voilà ce qu'est l'exception culturelle, celle que plusieurs générations ont défendue, tant ici même, dans cet hémicycle, que dans le concert des nations, pour affranchir la culture du mouvement de marchandisation, qui transforme l'économie de la culture en industrie du divertissement, avec son marketing mondialisé.
Aujourd'hui, en demandant que l'on invente des règles exceptionnelles, des financements nouveaux pour la création dans la civilisation numérique, nous nous inscrivons dans cette histoire et nous reprenons ce flambeau. Bien loin de vos caricatures, madame la ministre, nous défendons une régulation moderne, non une croisade archaïque.
Or quel est, ces jours-ci, le message de la France à l'Europe ? Le message de notre pays se résume ainsi : la chasse aux pirates, les certitudes paresseuses des lobbies, la surveillance sophistiquée de l'Internet, l'entêtement d'un gouvernement, le mépris de la jeunesse, une pédagogie réactionnaire tant elle va à rebours de l'histoire.
Enfin, comme l'ont souligné mes collègues, aucune réponse sérieuse n'est apportée face à la crise de l'économie culturelle. En avril 2009, la France de Voltaire et de Beaumarchais, quand elle parle de culture, se borne à surveiller et à punir.
Le Parlement européen, lui, se tourne vers l'avenir. Il fait à l'Internet toute sa place pour l'exercice de droits fondamentaux, et il le revendique, malgré les terribles pressions qu'exerce, à Bruxelles comme à Strasbourg, le Gouvernement. C'est l'Europe, non plus la France, je le constate à regret, qui donne aujourd'hui la bonne direction.
Mesdames et messieurs, si ce débat acquiert une réelle gravité, c'est que votre leçon de politique répressive est inquiétante autant pour la démocratie que pour la culture. Dans notre histoire, culture et démocratie vont de pair. Les moments d'élan culturel accompagnent les conquêtes démocratiques. Quand la démocratie est affaiblie, la politique culturelle régresse. Nous en sommes là.
Les péchés originels de la HADOPI, je le rappelle, ne sont pas seulement des contresens culturels ; ce sont également des fautes démocratiques, qu'un pouvoir trop centralisé commet inévitablement. La loi HADOPI a voulu organiser la victoire des uns sur les autres, sanctuariser les rentes de situation et faire triompher des intérêts particuliers.
Le rapport Olivennes n'a pas permis de susciter le débat national que l'ampleur et la complexité du sujet rendaient nécessaire. Les accords de l'Élysée sont l'exemple même d'un contrat forcé, le pistolet sur la tempe. Un accord interprofessionnel ne saurait, à lui seul, servir de base à une loi sur les droits d'auteur qui, tel un point d'équilibre, doit toujours refléter un compromis social. Dans une démocratie malade, de tels signaux, c'est vrai, ne sont ni vus ni entendus.
Je me rappelle les divergences exprimées par des députés, qu'on s'est efforcé de faire taire dans les rangs de l'UMP. Je me rappelle également les appuis quémandés dans l'opposition, pour faire diversion. Or la position des socialistes, madame Albanel, Martine Aubry l'a clairement énoncée, et nous l'avons de nouveau exprimée tous ensemble cette semaine.
Je me rappelle enfin les voix rebelles, celles des internautes que l'on méprise, puisque ce sont évidemment des voleurs, et celles des artistes opposés à la HADOPI qu'on disqualifie, puisque ce sont des rêveurs.
Les artistes, toutefois, on les craint, puisqu'on les appelle à la raison et qu'on recourt à des méthodes d'intimidation pour les faire taire.
Avec la HADOPI, Nicolas Sarkozy avait découvert l'occasion de se proclamer protecteur des arts et des artistes. Il entrera plutôt dans l'histoire comme le chef des lobbyistes.
Oui, je reproche au Président de la République d'avoir construit cette opposition contre-nature entre le public et les artistes et d'avoir créé, une nouvelle fois, avec l'aide, c'est vrai, d'un grand nombre d'entre vous, une crispation hexagonale, pour mieux apparaître comme le shérif ou le messie. J'ai le regret de constater que de bons esprits sont tombés dans le panneau.
Les défauts de la HADOPI ont été abondamment dénoncés à cette tribune. Le retrait serait la sagesse , mais si cette vertu est inaccessible au Gouvernement, emporté qu'il est par son aveuglement, c'est alors à nous qu'il appartient de penser à l'après-HADOPI, car, mes chers collègues, la HADOPI est derrière nous, quel que soit le résultat de cette bataille d'arrière-garde.
Qu'elle ne soit jamais appliquée ou qu'elle soit, de fait, inapplicable, qu'elle soit enterrée par vous ou abolie par nous, la HADOPI est déjà loin derrière. Voilà pourquoi nous devons apporter d'autres solutions. Après ces semaines de débats et ces années de travail collectif, en réponse à une propagande bien huilée, mais désormais en panne, personne ne peut dire que les socialistes n'apportent pas dans ce débat des contre-propositions crédibles.
Nous revendiquons des principes clairs et mettons en débat des solutions concrètes.
Notre premier principe est de permettre à la révolution numérique de transformer radicalement la diffusion et l'accès à la culture. Si des modèles commerciaux doivent évidemment permettre la diffusion des œuvres, il ne convient pas pour autant d'interdire la possibilité d'échanges non-marchands, dans un espace où la copie devient un acte de partage entre les internautes. La technologie le rend possible. Faut-il le condamner et faire marche arrière, si tant est que cela soit possible, ce dont je doute fort – ? J'évoque ici, évidemment, les échanges hors marché, autrement dit les échanges effectués à des fins non commerciales.
Il n'est pas question ici, contrairement à la caricature que vous faites de nos propositions, de légaliser des sites qui proposeraient gratuitement de la musique en encaissant au passage des revenus publicitaires sans rémunérer personne, non les faussaires qui revendent les disques après les avoir reproduits en masse.
Notre deuxième principe, que vous refusez d'entendre, affirme que la gratuité n'est pas le vol, puisque la gratuité de l'accès ne signifie pas l'absence de rémunération du travail de l'artiste. La gratuité prend sa place aujourd'hui dans les modèles commerciaux, notamment ceux qui sont financés par la publicité, suivant en cela les modèles de référence que sont devenues la radio et la télévision.
La gratuité s'est également installée massivement dans les espaces non-marchands. C'est en ce domaine que nous sommes appelés, sans délai, à trouver des contreparties financières équitables, en rappelant sans ambiguïté qu'il ne saurait y avoir de création durable sans rémunération.
Nous affirmons également – tel est notre troisième principe – que les droits d'auteurs sont plus que jamais nécessaires à l'âge numérique. Personne n'imagine la création sans le droit d'auteur. Martine Billard l'a rappelé : ni le droit moral ni les droits patrimoniaux ne sont incompatibles avec le numérique. Toutefois, il n'y a ici personne de raisonnable pour penser qu'il ne faut pas profondément adapter les droits d'auteurs.
Où sont les vrais combats ? Où sont les modernes Beaumarchais ? J'entends ces jours-ci invoquer Beaumarchais comme on invoquait Marx dans les démocraties populaires, sans jamais l'avoir lu. Or les combats des modernes Beaumarchais devront en priorité s'attacher à éviter que les prédateurs ne dévorent les créateurs.
Pendant que vous chassez le pirate, madame la ministre, c'est une bataille mondiale visant à contrôler la diffusion de la culture qui se joue, bataille dont les acteurs se nomment Apple, Microsoft et Google, les majors, les opérateurs de télécoms et bien d'autres. Si on veut, sans diaboliser qui que ce soit, protéger les artistes et si les sociétés de droits veulent faire ce pour quoi elles sont rémunérées, tels sont les chantiers qu'il convient d'ouvrir en urgence.
Nous apportons des solutions concrètes, ainsi que les modes d'emploi. C'est pourquoi, monsieur Riester, vous devez vous préparer à réviser encore durant plusieurs jours les propositions socialistes.
C'est ainsi que nous avons chiffré les revenus d'une "contribution créative" ou d'une "licence globale" pour la musique. Commençons donc par cette grande négociation avant de passer à une réflexion collective sur le cinéma !
Une redevance mensuelle de 2 ou 3 euros pour chaque abonnement à Internet permettrait de percevoir plus de 500 millions par an et comme, en matière de téléchargements, on peut avoir une connaissance très proche de la réalité sans chercher à savoir qui télécharge quoi et donc sans intrusion de la HADOPI, rien ne nous interdirait de procéder à la répartition principale.
Je termine, monsieur le président.
Je le répète : on peut aujourd'hui procéder à une telle répartition.
Tout cela, nous l'avons affirmé et écrit : allez donc lire nos blogs, monsieur Riester, puisque le temps me manque pour développer cette question.
La sécurité illusoire des uns ne doit pas être assurée au prix de la liberté des autres. C'est pourquoi, madame la ministre, je demande qu'un débat loyal, en France, sur cette question, permette de trouver un point d'équilibre entre les droits de chacun, puis qu'une négociation vise à dégager des solutions d'avenir. On doit, en effet, affranchir l'avenir d'Internet du filtrage des censeurs comme des péages des prédateurs.
Chacun l'aura compris, nous n'approuvons pas le n'importe quoi de la HADOPI, ni le laisser-faire qu'entretiennent vos batailles d'arrière-garde.
Solennellement, je demande à l'Assemblée nationale de ne pas débattre de ce texte qui divise les Français. Voter la HADOPI serait une erreur historique car ce serait renoncer à donner, dès aujourd'hui, à la création et à la culture un nouvel espoir de liberté.
M. Jean Dionis du Séjour
Sur le fond, mes chers collègues, le groupe Nouveau Centre va tâcher de faire dans la sobriété afin d'éviter tout claquage précoce : après quarante heures de débats, les crampes nous guettent.
Après la discussion générale, le débat d'amendements permettra à chacun de prendre ses responsabilités.
Le groupe Nouveau Centre ne votera pas la question préalable. Le débat a eu lieu, quelles que soient ses vicissitudes. Nous avons droit à une prolongation ; à chacun de se prononcer librement. Dans la maison de la démocratie française qu'est l'Assemblée, il n'y a pas de mandat impératif.
Au sein du groupe UMP et au sein du groupe NC, une majorité de députés souhaitent politiser ce vote, c'est leur droit. Une minorité, à laquelle appartiennent Lionel Tardy, Christian Vanneste, Alain Suguenot et moi-même, souhaite en revanche, jusqu'au bout, s'en tenir au fond du texte qui ne nous convainc pas. C'est aussi notre droit et nous demandons qu'on respecte notre position.
En tout cas, pour le groupe Nouveau Centre, j'insiste, le débat a déjà eu lieu. Que cette prolongation permette à chacun de témoigner, de prendre date. L'examen du projet de loi HADOPI doit continuer son cours sous les yeux des Français. Il reviendra à la société de trancher le débat qui nous a animés et passionnés.
M. François Sauvadet
Mes chers collègues, je vais vous dire notre conception de ce qui s'est passé et de ce qui doit dorénavant présider à nos travaux.
Premièrement, je souligne que nous avons tous à gagner, aujourd'hui comme demain avec le renforcement du rôle du Parlement, à respecter la présidence de séance. J'invite chacun de ceux qui s'expriment à respecter scrupuleusement le président de séance parce que c'est lui qui incarne la présidence et est en charge, à ce titre, de l'organisation de nos débats. Je vous réitère, monsieur le président, notre confiance collective. Celle-ci doit être réaffirmée à chacun de ceux que vous désignez pour assumer la présidence de séance, dans le respect du pluralisme, garant du bon fonctionnement de notre démocratie. Nous devons être solidaires avec eux parce que c'est un exercice difficile, surtout quand, en des temps de tension, il s'agit d'examiner des textes qui engagent l'avenir de nombre de nos compatriotes et l'avenir de pans entiers de notre société. C'est à l'honneur du Parlement que de le réaffirmer.
Deuxièmement, je voudrais rappeler à tous ceux qui donnent des leçons sur l'organisation de nos travaux que nous avons une instance pour déterminer les conditions dans lesquelles ceux-ci s'organisent : il s'agit de la conférence des présidents. On évoque l'absentéisme, mais j'aimerais aussi qu'on rappelle que celle-ci s'est réunie pendant les vacances parlementaires pour mettre en place l'organisation des débats – qui méritaient d'être repris, j'y reviendrai. Aujourd'hui, à l'invitation du président de l'Assemblée nationale, la conférence s'est à nouveau réunie, à seize heures trente, en présence du secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement : elle a déterminé le déroulement de nos travaux.
Un certain nombre de collègues de l'opposition ont régulièrement posé la question : y avait-il ou non lieu à redébattre, à reprendre l'examen d'un texte qui est l'objet de passions au sein de tous les groupes, et pas seulement dans le cadre du rapport majorité-opposition. Au nom du groupe Nouveau Centre, je dis à mes collègues : oui, il y a lieu de légiférer sur la protection de la création sur Internet. On ne peut pas considérer que la démocratie a été à la hauteur de sa tâche lorsque nous sommes confrontés à un vote qui n'est pas conforme à la position de l'ensemble des députés ayant participé aux débats ni à celle de l'ensemble de l'Assemblée nationale. Ce vote s'est déroulé au détour d'une procédure, dans l'après-midi, au terme d'un débat dont personne ne savait à quelle heure il allait se terminer.
Avec l'organisation de nos travaux décidée par la conférence des présidents, la démocration y gagnera : chacun d'entre nous pourra s'exprimer, un scrutin public aura lieu après la séance de questions au Gouvernement, qui permettra à chaque député, de l'opposition comme de la majorité, d'exprimer clairement sa position personnelle vis-à-vis de ce projet de loi. D'ici là, celui-ci doit faire l'objet d'un débat sérieux et qui doit être poursuivi parce qu'il engage la création, l'exception culturelle française, l'avenir de pans entiers de l'économie, mais aussi de notre culture. La question du piratage doit être posée et débattue. Il faut poursuivre la discussion sur les conditions dans lesquelles on doit sanctionner les contrevenants. Ce débat reste ouvert : le Gouvernement a fait des propositions, chacun des groupes en a débattu.
Enfin, je rappelle que nous allons disposer de droits nouveaux grâce à la révision constitutionnelle, qui prévoit une organisation différente des travaux parlementaires.
Je le dis à l'opposition : cette organisation ne remet pas en cause le fait majoritaire. Et je souligne que dans la majorité, il y a aussi une force de proposition, qui n'est pas là pour entraver l'action du Gouvernement mais pour l'épauler et apporter sa contribution, soit de sa propre initiative, soit suite au dépôt d'un projet de loi. Le fait majoritaire existe. Il faut s'assurer que les droits de l'opposition sont bien reconnus pour lui permettre de s'exprimer, ce qui contribue à la vitalité démocratique ; mais considérer que l'opposition aurait raison au motif que la majorité s'engage derrière le Gouvernement, ce serait contrevenir à la règle de vie de la V e République. Aujourd'hui, l'heure est au débat : il doit se poursuivre, le Nouveau Centre y participera, dans le respect de sa diversité certes, mais une majorité du groupe soutiendra ce projet.
[...]
Monsieur Bloche, vous venez en quelque sorte de procéder à un détournement de procédure. Les différentes motions peuvent, je le concède, permettre aux groupes d'opposition de s'exprimer ; j'ai d'ailleurs remarqué que vous aviez déposé toutes les motions de procédure possibles.
L'exception d'irrecevabilité vise à constater s'il y a, oui ou non, conformité avec les règles constitutionnelles.
Pour ma part, je ne l'ai pas trouvée saisissante et je vous invite à vous appliquer à vous-même l'observation que vous me faites, car je vous ai écouté avec scrupule.
J'ai donc l'impression qu'il y a un détournement de procédure ; et il en ira de même avec la question préalable – alors que nous avons déjà mené le débat jusqu'à une commission mixte paritaire – et pour le renvoi en commission que vous défendrez sans doute au terme de la discussion générale. Cela n'a pas de sens !
Votre proposition, si nous vous suivions, serait de ne rien faire, c'est à dire constater qu'un problème existe et ne pas s'engager à trouver une solution, notamment pour une filière culturelle dont nous voulons préserver la diversité. Or il n'y aura pas de diversité sans préservation des enjeux économiques qui la sous-tendent.
Je vous rappelle qu'il existe une exception culturelle française. Vous dites que le projet est d'ores et déjà dépassé mais la technologie sera toujours devant nous. Internet est un formidable espace de liberté, cependant, il faut aussi en mesurer toutes les conséquences sur les libertés individuelles. Pour travailler sur ce sujet, notamment sur le droit à l'oubli sur Facebook, je peux vous dire que nous sommes confrontés à un vrai sujet de société. L'apparente liberté dont vous vous faites les apparents défenseurs risque un jour de se retourner contre nos jeunes, que vous prétendez aujourd'hui protéger.
Je crois pour ma part qu'il n'y a pas de liberté sans responsabilité. Lutter aujourd'hui contre le piratage est une exigence fondamentale. Nous attendons les propositions que vous seriez à même de faire mais adopter une stratégie d'opposition à l'objectif même poursuivi par le Gouvernement, c'est faire prendre un risque à cette exception culturelle française. Vous ne pouvez vous dire les défenseurs des artistes en adoptant cette posture d'opposition systématique.
On voit bien qu'il y a urgence à agir.
Moi qui suis profondément européen, je dis que la France joue un rôle singulier, et qu'elle doit montrer à l'Europe, par sa législation, comment elle protège l'exception culturelle française.
Il y a bien sûr un débat sur les sanctions ; il va se poursuivre. Néanmoins sur le fond, chers collègues de gauche, vous pourriez reconnaître qu'il y a urgence à légiférer sur ce sujet et qu'adopter une posture d'opposition systématique ne rend pas service à l'exception culturelle française et n'aide pas à soutenir la diversité culturelle, idée qui devrait au contraire nous rassembler, car elle participe aussi d'une démocratie vivante et active.
Pour toutes ces raisons, le groupe Nouveau Centre rejettera cette exception d'irrecevabilité.
M. Franck Riester
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord vous dire à quel point je suis affligé du comportement de l'opposition. Notre démocratie mérite mieux que ces vociférations, ces cris, ces hurlements quand une ministre de la République s'adresse à l'Assemblée nationale. Les Français qui nous regardent attendent mieux de notre démocratie.
Nous voici de nouveau appelés à débattre du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet. Notre discussion se poursuit donc, en dépit de l'accord trouvé, à l'issue de chaque première lecture, par la commission mixte paritaire qui s'est réunie au sujet de ce texte le 7 avril dernier.
Cette situation pour le moins exceptionnelle ne tient qu'à une regrettable manœuvre de l'opposition
Oui, une regrettable manœuvre de l'opposition, qui a délibérément choisi d'entraver l'aboutissement d'un processus parlementaire pourtant mené normalement à son terme !
Personnellement, j'avoue ne pas percevoir la justification politique d'un tel procédé de retardement, tout spécialement lorsque, après soixante-dix auditions, de nombreuses réunions, la discussion a eu lieu pendant quarante et une heures, dans cet hémicycle, dans une ambiance certes animée mais respectueuse des arguments de chacun et plutôt constructive.
Tous ceux qui soutiennent le projet de loi et attendent sa mise en œuvre rapide, c'est-à-dire la grande majorité des artistes, des auteurs, des compositeurs, des producteurs et des salariés qui travaillent dans les filières culturelles de notre pays, espéraient davantage de tenue de nos travaux.
Ils peuvent compter sur les députés de la majorité pour ne pas les abandonner !
Notre détermination à adopter ce texte reste intacte, et cette nouvelle lecture nous offrira l'occasion de fournir un démenti cinglant à ceux qui en doutent, ou plutôt qui feignent d'en douter.
De manière plus générale, je reste dubitatif à l'égard de la position qui consiste, par fatalisme ou facilité, à prôner que la loi s'efface devant les pratiques illicites sur Internet, en totale négation des principes et des valeurs qui ont jusqu'à présent structuré notre pacte social et notre République.
On peut tous avoir des conceptions différentes sur la meilleure manière de garantir le respect des droits des auteurs et des artistes à l'ère numérique. Le groupe UMP a laissé libre cours à l'expression des convictions de chacun, ce qui n'est pas le cas sur tous les bancs : certains députés socialistes ayant exercé d'éminentes fonctions gouvernementales, du seul fait de leur adhésion à ce projet de loi, se sont immédiatement attiré les foudres de leurs collègues ne partageant pas leur opinion, comme si le simple fait d'afficher un soutien à cette réforme était synonyme de je ne sais quelle ineptie idéologique.
Je pense, pour ma part, que personne ne peut nier la gravité de la situation dans laquelle se trouvent nos filières culturelles à cause du téléchargement illégal. Or aucune alternative sérieuse à la solution proposée par le projet de loi que porte Mme Christine Albanel n'est en mesure d'endiguer immédiatement les pertes de recettes de la production musicale et audiovisuelle.
Qu'on le veuille ou non, faire respecter les droits d'auteur et voisins constitue un préalable à l'évolution des modèles économiques de la création sur Internet. Voilà pourquoi l'adoption de ce projet de loi est nécessaire pour les créateurs, pour les entreprises de l'Internet et bien sûr pour les internautes.
Le rejet des conclusions de la CMP, le 9 avril dernier, ne doit pas masquer la convergence à laquelle les deux assemblées sont d'ores et déjà parvenues sur les aspects essentiels du texte, y compris d'ailleurs avec la participation constructive des sénateurs socialistes, qui, je le rappelle, ont voté à l'unanimité le texte en première lecture.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont validé le principe d'une réponse graduée assortie d'une interruption de l'abonnement à Internet comme sanction ultime, après de nombreux avertissements. Cette sanction sera prononcée par une autorité administrative indépendante avec toutes les garanties nécessaires en matière de respect du contradictoire, de protection de la vie privée, des droits de la défense.
Les députés et sénateurs sont également tombés d'accord pour réformer le régime de la chronologie des médias, afin de renforcer l'attractivité de l'offre légale, en fixant à quatre mois après la sortie en salle, le délai de mise à disposition des films en DVD et sur Internet.
L'essentiel des différences d'appréciation porte en fait sur deux sujets de fond. Le premier concerne le non-paiement de l'abonnement suspendu pour les internautes dont l'accès à Internet a été interrompu sur décision de la HADOPI. Les sénateurs se sont unanimement montrés réticents à cette perspective, en raison de préventions constitutionnelles avérées, les dispositions introduites par notre assemblée étant susceptibles de représenter une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, dans le prolongement de plusieurs décisions du Conseil constitutionnel et notamment de celle du 9 novembre 1999.
La seconde divergence porte sur la possibilité, pour la commission de protection des droits, de se fonder sur le contenu de l'offre légale lorsque les œuvres ou objets protégés concernés ne font plus l'objet d'une exploitation sur un réseau de communications électroniques depuis une durée excessive. Les sénateurs et certains députés ayant activement participé à nos débats en première lecture y ont vu la légitimation du piratage.
Notre assemblée étant appelée à se prononcer en nouvelle lecture, en application du dernier alinéa de l'article 45 de la Constitution, la commission des lois s'est réunie lundi dernier afin de proposer une nouvelle version du texte que nous avions adopté le 2 avril.
Je tiens ici à remercier les très nombreux commissaires UMP et Nouveau Centre qui ont participé aux débats de la commission, menés par le président Jean-Luc Warsmann, apportant ainsi un démenti formel aux insinuations de désintérêt à l'égard de cette réforme qui ont pu être alléguées par quelques mauvaises langues.
J'observe également que les rangs de l'opposition étaient dans le même temps plus que clairsemés, peut-être par tactique, peut-être aussi pour des raisons tenant à la profonde incompréhension – et je suis modéré – qu'a créé la manœuvre politicienne du 9 avril dans les milieux culturels et plus largement dans toute la société française.
À la faveur d'amendements de votre rapporteur, du Gouvernement et – preuve de notre constante ouverture d'esprit – du groupe SRC, le texte qui vient en débat aujourd'hui est très proche, pour ne pas dire quasi-identique, à celui adopté le 7 avril par la commission mixte paritaire.
Le choix de la commission des lois a donc été guidé par la volonté de respecter le compromis auquel les représentants de chaque chambre étaient parvenus en commission mixte paritaire. Le dialogue mené au sein de celle-ci avec les sénateurs avait en effet montré que, sur plusieurs questions, les positions pouvaient se rejoindre et dépasser les jeux politiciens , dès lors que l'on cherchait uniquement à défendre la culture française et les filières économiques qui s'y rapportent.
La commission des lois de notre assemblée a toutefois complété les modifications par certaines précisions concernant les règles procédurales applicables, en insistant plus particulièrement sur l'information des abonnés mis en cause à propos des faits qui leur sont reprochés, sur la possibilité, pour la commission de protection des droits de la HADOPI, d'auditionner toute personne susceptible de l'éclairer, ainsi que sur la motivation des sanctions.
Elle a également mieux encadré les principes directeurs que le décret en Conseil d'État chargé d'expliciter la procédure devra suivre, s'agissant notamment des conditions dans lesquelles peuvent être utilement produits par l'abonné, à chaque stade de la procédure, tout élément susceptible de le disculper.
La commission des lois a aussi jugé bon d'indiquer, à l'article L. 336-3 du code de la propriété intellectuelle, que le manquement du titulaire de l'abonnement à ses obligations n'engage pas sa responsabilité pénale.
Ainsi, je le crois, les dispositions relatives à la mise en cause des abonnés et aux procédures répondent davantage aux préoccupations exprimées dans notre hémicycle lors de la lecture initiale.
En conclusion, je suis convaincu que le texte issu des travaux de la commission des lois répond aux attentes des acteurs de la création, des éditeurs de contenus, de toutes les sociétés et de tous les salariés des filières culturelles, et qu'il apporte des garanties supplémentaires aux abonnés à l'Internet.
Vous ne serez donc pas étonnés, mes chers collègues, que je vous invite à l'adopter tel quel ; j'ajoute par avance que je serai bien évidemment défavorable à tous les amendements qui visent à remettre en cause l'esprit de compromis sur lequel il repose.
Mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui face à nos responsabilités. Ensemble, je vous invite à écrire une nouvelle page de notre histoire parlementaire. L'exception culturelle française constitue l'une des fiertés de notre pays ; elle est même une part de son identité. Le respect de la propriété, et particulièrement de la propriété intellectuelle, constitue l'un des ciments de notre République. Ensemble, donnons à la création les moyens d'exister à l'ère du numérique.