Copie privée et source licite
Les dangers liés à la notion de licéité de la source servant à la copie privée
Les modifications apportées par la Commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale à l'article 1er du projet de loi relatif à la copie privée prévoit de conditionner le bénéfice de cette exception à la licéité de la source servant à réaliser la copie privée de l’œuvre culturelle concernée, en amendant l'article L122-5 du Code de la propriété intellectuelle (CPI).
En vertu de cet amendement, si l’œuvre utilisée pour réaliser la copie privée a initialement été l'objet d'une transmission sans l'autorisation des ayants-droits, alors tout acte de copie réalisé dans le cadre privé deviendrait lui-même contrefaisant.
Ainsi, l'article 122-5 modifié rendrait par exemple un téléspectateur passible de poursuites pénales si celui-ci procédait à l'enregistrement d'une émission de télévision, dont certains des sons ou images attenteraient aux droits exclusifs des ayants-droits.
Or, une telle condition suppose de faire peser sur le consommateur final la détermination de la licéité de la source. Ce retournement du fonctionnement de l'exception pour copie privée serait vecteur d'une grande insécurité juridique et nuirait fortement à la prévisibilité de la loi.
Peut-on sérieusement attendre du consommateur qu'il soit en mesure de déterminer la licéité de la source utilisée pour réaliser l'acte de copie privée, en particulier dans un domaine – le droit d'auteur – extrêmement complexe où la détermination d'une contrefaçon est souvent très difficile, même pour un juriste ?
De fait, l'article 1er tel qu'adopté par la commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale ferait perdre au consommateur de bonne foi le bénéfice de l'exception, qui ne peut être réellement effectif que si il s'accompagne d'une présomption de licéité de la source.
La Cour de Justice de l'Union Européenne cherche justement à sécuriser l'utilisateur dans ses usages dans son arrêt C-429/08 du 4 octobre 2011, en distinguant bien l'acte illicite du diffuseur qui agit sans autorisation des ayants-droit et l'action du consommateur qui fait valoir son droit d'accès à l’œuvre. Dans cette affaire concernant la retransmission de manifestations sportives, elle précise que « une utilisation est réputée licite lorsqu’elle est autorisée par le titulaire du droit concerné ou lorsqu’elle n’est pas limitée par la réglementation applicable. »
Si l'utilisation n'est pas autorisée, comme c'est le cas si la source est considérée comme étant illicite, reste à savoir si elle est limitée par la réglementation applicable. Or, « une simple réception de ces émissions en tant que telle, à savoir leur captation et leur visualisation, dans un cercle privé, ne présente pas un acte limité par la réglementation de l’Union (...), cet acte étant par conséquent licite »
À ce jour, c'est également le cas en France. La notion de « source illicite » n'est pas prévue par la loi, et c'est uniquement la nature de l'usage qui détermine l'application de l'article L. 122-5 du CPI, lequel ne mentionne nullement la source comme condition de son application, la loi pénale étant d'interprétation stricte.
L'article 122-5 modifié met en danger cet équilibre fondamental pour la prévisibilité de la loi, l'effectivité des exceptions au droit d'auteur (au delà même de la copie privée), et la garantie d'un régime équitable entre les droits exclusifs des auteurs et auxiliaires de la création, et ceux du public.