LOPPSI Best Of 11 fevrier seance 1

De La Quadrature du Net
Révision datée du 25 février 2010 à 16:47 par Meriem (discussion | contributions) (===Lionel Tardy - Filtrage : Inefficacité et coût (79:00)===)
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Article 2

Lionel Tardy - Définition de données personnelles et conséquences (12:07)

  • M. Lionel Tardy, suite aux avis de la commission et du gouvernement sur l'amendement n°242 rectifié.
    Le problème réside dans le fait que le texte ne vise pas l’usurpation de l’identité d’un tiers au sens strict – prendre l’identité d’un autre que soi – mais l’utilisation de l’identité d’un tiers ou de données qui lui sont personnelles.
    C’est toute l’ambiguïté : les notions d’identité et de données qui sont personnelles ne sont pas définies. La notion de « données personnelles à un tiers » notamment est différente de celle de « données à caractère personnel » inscrite dans la loi 78-17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
    Il en résulte que la loi pourrait être interprétée comme interdisant, par exemple, des actes aussi anodins que l’utilisation et la critique d’une photo, d’un nom ou de toute autre donnée relative à une personne dans un forum, alors même que l’auteur de la critique ne chercherait pas à prendre l’identité de celui qui est critiqué.
    Or les délits de diffamation, d’injure et autres existent déjà pour encadrer la liberté d’expression et sanctionner ce type de comportement.
    C’est pourquoi j’aurais souhaité que l’amendement n° 4 rectifié soit adopté, mais malheureusement Laure de la Raudière n’était pas présente pour le défendre. Il proposait de remplacer la notion de « données personnelles » par celle de « données à caractère personnel », ce qui aurait résolu notre problème.

Martine Billard - Le fait de faire usage (20:46)

  • Mme Martine Billard, suite aux avis de la commission et du gouvernement sur l'amendement n°34.
    Je voudrais insister car l’article sanctionne « le fait de faire usage », sans plus de référence à la réitération, puisque cette notion a été supprimée.
    Nous ne sommes plus dans le délit d’usurpation d’identité, mais dans le fait de faire usage, sur un réseau de communications électroniques, ne serait-ce qu’une fois, « de l’identité d’un tiers ou de données de toute nature permettant de l’identifier ». Il peut donc s’agir d’une photo. Ainsi, le fait de faire usage, une fois, de la photo d’un tiers, peut être considéré comme troublant la tranquillité de ce tiers.
    C’est cela que vous êtes en train d’écrire dans la loi. C’est tout de même assez grave ! Vous allez dire que j’exagère mais malheureusement les faits sont là.
    Qu’est-ce qui vous gêne sur internet, actuellement ? Des vidéos, diffusées par exemple sur YouTube, qui relatent des propos ou des actes de certains personnages publics.
    En application de cet article, une personne filmée en situation et dont l’intervention aura circulé sur internet, pourra donc engager des poursuites, considérant que sa tranquillité est troublée.
    Nous sommes donc en train d’introduire un délit de nature politique. On pourra poursuivre n’importe quel humoriste, n’importe quel militant politique qui s’attaquera à des propos tenus par un personnage politique en utilisant la photo ou la vidéo de ce personnage en situation.

    Déjà au départ, on pouvait s’inquiéter. Après les modifications que vous venez d’introduire dans cet article, c’est vraiment très net. C’est bien cela qui est grave.
    J’espère que vous le faites sans en avoir réellement l’intention, mais j’ai du mal à le croire compte tenu des propos qui ont été tenus, à plusieurs reprises, par certains représentants de l’UMP.

Éric Ciotti - Précisions sur l'expression "faire usage" (28:15)

  • M. Éric Ciotti, avis de la commission sur l'amendement n°5.
    Sur un plan juridique, madame de La Raudière, cet amendement tombe, votre précédent amendement n’ayant pas été adopté. Cependant je veux bien revenir sur le fond.
    La commission des lois a adopté, à mon initiative, un amendement visant à remplacer le terme : « utiliser » par l’expression : « faire usage », laquelle me semble mieux répondre à vos préoccupations.
    Nous ne voulons évidemment pas sanctionner la simple citation d’une personne, par exemple sur un blog – j’ai entendu sur ce point beaucoup d’interprétations très tendancieuses –, mais bien l’acte de se faire passer pour autrui en faisant usage de son nom ou de données qui le rendent identifiables. Vos deux amendements, madame de La Raudière, me semblent donc satisfaits.

Article 3

Martine Billard - Bande organisée (38:00)

  • Mme Martine Billard, défense de l’amendement n° 41.
    Je souhaite, dans l’esprit de ce que vient d’expliquer Patrick Bloche, supprimer les alinéas 3 à 8 de l’article.
    Autant il peut être justifié d’aggraver les peines pour les infractions à l’article L. 163-4 du code monétaire et financier lorsqu’elles sont commises en bande organisée, autant assimiler les internautes à une bande organisée me semble abusif. Outre qu’il peut n’y avoir qu’une seule personne devant l’écran, comment aggraver une peine en arguant d’un nouvel outil ? Qu’un vol avec violence soit commis à pied, à cheval ou à vélo ne modifie pas la peine encourue !
    On a du mal à comprendre cela, si ce n’est en rappelant que, sur les bancs de la majorité et du Gouvernement, internet a souvent été stigmatisé en tant qu’outil.
    Dans dix ou vingt ans, ces débats paraîtront surréalistes. Déjà, notre société fait un usage massif d’internet. Sans doute note-t-on quelques différences en fonction des générations – encore cela dépend-il aussi des personnes. Il est indéniable que les jeunes, qui baignent dans internet depuis leur plus tendre enfance, en maîtrisent mieux l’utilisation. Mais quand, dans quelques années, tout le monde aura baigné dans cette culture, il paraîtra absurde de stigmatiser l’outil en tant que tel.
    C’est bien la première fois que, dans notre droit, un délit est créé spécifiquement par rapport à un outil. Cela n’a pas de sens ! On peut comprendre que vous aggraviez la peine en cas de bande organisée, notamment pour les nouvelles escroqueries se développant sur internet. Mais il paraît invraisemblable de prévoir des circonstances aggravantes pour un délit déjà réprimé, uniquement parce qu’une personne a utilisé internet pour le commettre.
    Notre amendement vise donc à supprimer les alinéas 3 à 8 de l’article 3 qui reviennent à assimiler internet à une bande organisée, même quand il n’y a qu’une seule personne qui agit.

Lionel Tardy - Internet = circonstance aggravante (40:50)

  • M. Lionel Tardy, défense de l'amendement n°256.
    L’article 3 fait de l’utilisation d’internet une circonstance aggravante. Il s’agit là d’une regrettable confusion. Internet est un outil. Or, du point de vue des principes, il est indifférent qu’une infraction ait été commise à l’aide de tel ou tel outil. Pardonnez ma trivialité, mais, que l’on tue avec un couteau ou avec un fusil, un meurtre reste un meurtre. Cet article mélange tout. En quoi internet aggrave-t-il les atteintes au droit des titulaires d’un certificat d’obtention végétale ou du propriétaire d’un brevet ? J’attends une démonstration convaincante à cet égard.
    Ce même article évoque la contrefaçon de marques sur internet. Ce n’est pas en aggravant les peines que l’on résoudra ce problème. Toute la question est de parvenir à faire tomber les coupables sous le coup de la loi française. Cessons donc d’alourdir les peines et de multiplier les incriminations pénales. De toute manière, les juges en laissent de côté 40 %.
    Nous nous heurtons également au principe d’égalité de tous devant la loi. En 2006, dans sa décision sur la loi DADVSI, le Conseil constitutionnel avait refusé que l’on puisse punir par une simple contravention les seules atteintes à la propriété intellectuelle par l’utilisation d’un logiciel de peer to peer, alors que les autres infractions relevaient du délictuel.
    De plus, après les épisodes HADOPI, je ne pense pas qu’il soit utile d’agiter un nouveau chiffon rouge devant les internautes en stigmatisant à nouveau l’usage d’internet, surtout quand on le fait à tort et à travers, comme dans cet article.
    Avec celui-ci, nous allons au-devant de complications inutiles. Les peines ordinaires sont déjà bien suffisantes pour sanctionner les actes de contrefaçon.

Éric Ciotti - Internet = espace de liberté(42:29)

  • M. Éric Ciotti, avis de la commission sur les amendements n°41, 141 et 256.
    Loin de nous l’idée de stigmatiser l’usage d’internet ! Nous ne nourrissons aucun fantasme à cet égard. Internet est et demeurera un espace de liberté. Mais il ne doit pas être un espace de non-droit. Si nous mettons en place cette circonstance aggravante qui, vous l’avez souligné, existe déjà en cas de bande organisée ou en cas d’atteinte à la santé publique, c’est simplement en raison de la diffusion qui peut être donnée à l’infraction. Commis sur internet, un délit touchant à la propriété intellectuelle se répandra de manière beaucoup plus importante et aura des conséquences beaucoup plus graves que s’il était commis de façon individuelle. La multiplication que permet internet va renforcer son impact.

Patrick Bloche - Internet = outil / Contrefaçon / But lucratif (51:18)

  • M. Patrick Bloche, défense de l'amendement n°143.
    Permettez-moi de revenir un instant sur l’échange que nous avons eu à propos des trois précédents amendements identiques. Mme Billard a trouvé le mot juste pour qualifier le Gouvernement : c’est un Gouvernement absurde. En refusant de supprimer les alinéas 3 à 8 de l’article 3, nous incriminons un outil. D’un marteau, on peut se servir pour planter un clou, mais aussi pour défoncer une boîte crânienne. Ce n’est pas l’outil en tant que tel qu’il faut incriminer, mais l’acte que l’on commet avec.
    L’amendement n° 143 vise à limiter la casse. Vous n’avez toujours pas répondu à notre question : pourquoi le code de la propriété intellectuelle, et pourquoi pas le code de la propriété littéraire et artistique ? Ce sera sans doute pour la prochaine fois. Durant tous les débats que nous avons eus sur HADOPI 1, HADOPI 1 bis et HADOPI 2, la confusion a été entretenue entre les échanges de fichiers non commerciaux et la contrefaçon, puisque, pour de simples échanges hors marché, on peut désormais être condamné pour délit de contrefaçon.
    Sans doute, il s’agit d’une évidence, mais il vaut mieux l’inscrire dans la loi : la contrefaçon a un but lucratif.

Article 4

ChantalBrunel

Chantal Brunel - "Rien ne justifie que l’on cherche à préserver la liberté de l’internaute" (55:53)

  • Mme Chantal Brunel, discussion sur l'article 4.
    J’aurais aimé, s’agissant des sites pédopornographiques, que l’on revînt à la rédaction initiale du Gouvernement et donc que l’on supprimât les mots « après accord de l’autorité judiciaire ».
    J’avoue ne pas comprendre quel est le problème. Les policiers de l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication, l’OCLCTIC, sont capables de voir si des enfants figurent ou non sur une image pornographique. Ils sont capables de voir s’il y a, sur une telle image, un enfant de douze ou treize ans, un très jeune enfant.
    Je ne vois, hélas, pas comment la minorité des enfants figurant sur ces sites peut être contestée. Qu’apporte donc l’intervention de l’autorité judiciaire ? Sur un tel sujet, il faut agir vite. Les fournisseurs d’accès à internet doivent supprimer l’accès à ces sites dans les plus brefs délais.
    Le problème n’est pas du tout celui qui se posait à propos d’HADOPI et de la création artistique. Il s’agit de sites pédopornographiques ! C’est ce qu’il y a de pire sur internet. Si internet est capable du meilleur et du pire, rien ne justifie que l’on cherche à préserver la liberté de l’internaute quand il s’agit du pire.

Jean-Jacques Urvoas - Inefficacité du blocage / Suppression de contenus en Allemagne (57:40)

  • M. Jean-Jacques Urvoas, discussion sur l'article 4.
    Comme l’a très justement dit notre collègue, en matière de sites pédopornographiques, personne ne cherche d’excuses à qui que ce soit, personne ne cherche à légitimer quoi que ce soit : il faut naturellement trouver et punir les personnes qui font subir de telles agressions aux enfants. C’est là un principe de base qui ne mérite même pas débat.
    Nos échanges sur l’article portent donc sur la manière de donner la plus grande efficacité possible au dispositif que nous inventons, afin qu’il produise les effets que nous en attendons.
    Lors du débat que nous avons eu en commission avec le rapporteur et le ministre, on nous a expliqué qu’il était beaucoup plus utile de s’attaquer aux tuyaux plutôt qu’aux hébergeurs. Le moyen d’être efficace serait de bloquer l’accès au site, non de s’attaquer à l’édition du site.
    Je voudrais donc vous interroger sur cet enjeu. Comme on me l’a expliqué en commission, l’une des caractéristiques de ces sites est leur vélocité, c’est-à-dire leur capacité à migrer d’un hébergeur à l’autre. Dès lors, il va de soi que, si l’on se contente de « blacklister », si je puis dire, une adresse, la personne qui a conçu ce site migrera chez un autre hébergeur dès qu’elle s’en sera aperçue. Dès lors, en quoi l’établissement d’une liste noire est-il efficace en termes de protection ?
    En Allemagne, un groupe de citoyens a adressé aux hébergeurs un simple courrier leur signalant des sites pédopornographiques qu’ils hébergeaient. À la seule réception de la lettre de ce collectif, qui n’avait pas les moyens d’une institution ni la capacité d’action d’un office central tel que celui de la police ou celui de la gendarmerie, auxquels nous avons rendu visite avec le rapporteur, lesdits hébergeurs ont immédiatement réagi, en supprimant – et non en bloquant – les sites en question. En quoi un tel procédé serait-il moins efficace que l’établissement d’une liste secrète par l’autorité administrative ? Dans les pays où de telles listes ont été établies, leur caractère secret n’a d’ailleurs guère perduré, puisque leur contenu a très rapidement été divulgué. Surtout, la réalité des sites concernés n’entretenait qu’un rapport ténu avec leur contenu allégué. N’entrons cependant pas encore dans cette discussion et tenons-nous en pour l’instant à la question de principe : en quoi est-il plus efficace d’établir une liste noire que de s’attaquer directement aux hébergeurs ?
    En outre, nous visons bien ici les internautes qui tombent par hasard sur de tels sites. La difficulté qu’il y aura à y accéder devrait les décourager. À la relecture des documents fournis, cette démarche me semble assimilable à la lutte contre les spams. Or, depuis qu’internet est né, personne n’a été capable de bloquer les spams, à moins que les pare-feu dont je dispose, par exemple les outils équipant la messagerie de l’Assemblée nationale, soient déficients. Nous recevons effectivement des spams à longueur de temps…
    Je ne vois donc pas comment vous réussirez à bloquer l’accès à des sites qui fonctionnent justement par l’envoi de spams. Car ce n’est pas un individu qui appuie sur un bouton pour nous envoyer les spams, ce sont – chacun le sait – des moteurs qui le font. Il suffit, pour s’en rendre compte, de voir le nombre de pages consultées sur les blogs que, les uns et les autres, nous pouvons tenir. La part des visites résultant de procédés automatiques est bien plus conséquente que la part des visites volontaires.
    Une autre question est celle des moyens mobilisés par l’État pour établir et mettre à jour la liste prévue. L’effectif des personnels affectés à l’office central de la police, sur lequel je vous interrogeais hier – mais j’aurais pu vous interroger également sur l’office central de la gendarmerie –, est évidemment sans commune mesure avec la tâche qui les attend. La liste noire étant, par définition, évolutive, il faudra la mettre à jour, s’assurer que les sites que nous voulons filtrer sont les sites effectivement alimentés, et corriger quotidiennement la liste. Les coûts évoqués dans le rapport sont totalement sous-estimés, comme le montre la comparaison avec les moyens déployés par l’Australie. Je ne vois donc pas comment cette tâche considérable pourrait être accomplie.
    Enfin, il faut parfois avoir l’humilité de reconnaître que nous n’inventons rien : en Allemagne, c’est exactement le même débat qui a eu lieu au début de l’année. Une loi avait été adoptée pour lutter contre les sites pédopornographiques, le dispositif a été expérimenté et, le 8 février dernier, le gouvernement allemand a annoncé son abandon, en indiquant qu’il allait très rapidement proposer au Bundestag un moyen de suppression plutôt que de filtrage de ces sites.
    Encore une fois, la position du groupe SRC est radicalement pragmatique. Nous cherchons l’efficacité. Par conséquent, si vous nous démontrez que le mécanisme que vous proposez est efficace, vous aurez notre soutien. Dans le cas contraire, c’est que le dispositif juridique sera dépassé par la technique – ce ne sera pas la première fois.

Patrick Bloche - Zone de non-droit / Responsabilité des FAI / Exemple allemand (63:45)

  • M. Patrick Bloche, discussion sur l'article 4.
    Comme l’a dit notre collègue Urvoas, aux propos duquel je souscris totalement, nous ne demandons qu’à être convaincus. La lutte contre la pédopornographie nous rassemble évidemment.
    Cela dit, nous sommes tout de même surpris que l’on ne s’attaque pas d’abord aux causes, autrement dit aux auteurs de ces images, de ces photographies, de ces vidéos, que j’ai vues comme vous, madame Brunel, à Nanterre, où je me suis rendu pour constater le travail accompli par les fonctionnaires de l’OCLCTIC. Pour que ces photographies et ces vidéos se retrouvent sur le net, il faut bien qu’elles soient prises quelque part, en certaines circonstances.
    Les coupables sont les producteurs de ces images.
    Il serait peut-être opportun de penser aussi aux victimes, c’est-à-dire à ces pauvres gamins dont le corps se retrouve ainsi utilisé dans les pires conditions.
    Or ce projet de loi ne s’occupe ni des auteurs des images ni des enfants victimes, que, compte tenu de leur fragilité, nous devons évidemment protéger. Il n’est question que du moyen de diffusion de ces images : internet.
    Par ailleurs, internet n’est pas une zone de non-droit. Comme cela a été dit à plusieurs reprises, la plupart du temps, le droit commun s’y applique.
    Ce qui nous gêne également dans ce texte est qu’il est de nature à bouleverser bien des équilibres. Je songe notamment à celui, essentiel pour la liberté d’expression et de communication, du régime de responsabilité des intermédiaires techniques que sont les hébergeurs et les fournisseurs d’accès. J’ai proposé une première législation en la matière en l’an 2000, il y a donc dix ans. Nous avons, depuis lors, transposé la directive sur le commerce électronique pour créer un régime équilibré de responsabilité de ces acteurs. Je ne voudrais pas, fût-ce au nom d’une juste cause, la lutte contre la pédopornographie, qu’on le bouleverse au risque de graves conséquences pour la liberté d’expression et de communication. En effet, si la responsabilité des hébergeurs et a fortiori des fournisseurs d’accès est mise en cause par une loi mal écrite ou, peut-être, trop bien écrite, on va les conduire à se protéger par des actes d’autocensure et de filtrage. Leur régime de responsabilité ne saurait donc être modifié brutalement, fût-ce pour une cause aussi juste que la lutte contre la pédopornographie.
    En outre, pour que les dispositions de ce texte s’appliquent, il faudrait encore qu’elles ne soient pas frappées d’inconstitutionnalité. Un certain nombre de nos collègues ici présents ont participé aux débats sur la loi HADOPI, dont la censure nous a conduit à nous retrouver dans cet hémicycle l’été dernier pour examiner la loi HADOPI 2.
    [...]
    Le Conseil constitutionnel a simplement dit, dans sa décision historique du 11 juin 2009, que seule l’autorité judiciaire pouvait interrompre l’accès à internet. En l’occurrence, vous voulez nous faire voter des dispositions qui permettent à une autorité administrative d’interrompre cet accès, donc des dispositions que le Conseil constitutionnel, si elles ne sont pas modifiées, a d’ores et déjà déclarées anticonstitutionnelles. Dans la loi HADOPI 1, vous aviez en effet confié à la Haute autorité la responsabilité d’interrompre l’accès à internet, et non pas seulement d’envoyer des mails d’avertissement, ce à quoi elle est réduite aujourd’hui. Le Conseil constitutionnel a motivé sa décision en s’appuyant sur le fait que la HADOPI était une autorité administrative et ne pouvait interrompre l’accès à internet, l’autorité judiciaire étant seule habilitée à le faire.
    Cela étant, si, comme j’en ai le sentiment, vous envisagez de revenir sur le texte de la commission, laissant à la seule autorité judiciaire le pouvoir d’interrompre l’accès à internet, vos dispositions sont d’ores et déjà anticonstitutionnelles.
    Il s’agit d’un domaine sensible ; aussi, j’ose espérer que le Gouvernement et sa majorité n’ont pas l’intention de mettre en place subrepticement des dispositifs de filtrage sur internet, à la faveur de cette juste cause qu’est la lutte contre la pédopornographie. Comme l’a rappelé Jean-Jacques Urvoas, ce serait paradoxal, au moment où l’Allemagne, dont le Gouvernement a une sensibilité proche de celle de la majorité de cette assemblée, a décidé de ne pas promulguer la loi visant à restreindre l’accès à internet –dite « Internet Restriction Act ». Le Président de la République allemand, Horst Köhler, a décidé de ne pas la promulguer.
    Nous aimerions que vous puissiez, au cours du débat sur cet article, répondre sur les moyens mobilisés pour mettre en oeuvre les dispositions que vous voulez nous faire adopter. Le Conseil constitutionnel a, là aussi, souligné que ce n’était pas aux hébergeurs ou aux fournisseurs d’accès de payer, mais à l’État. Nous avons déjà soulevé cette question à de nombreuses reprises lors du débat sur la loi HADOPI ; vous alourdissez à nouveau, dans ce texte, la facture pour l’État. Aussi, nous souhaitons que vous précisiez le coût global de ces mesures.

Lionel Tardy - Filtrage : Inefficacité et coût (79:00)

  • M. Lionel Tardy, discussion sur l'article 4.
    Avant de parler du juge, qui sera l’objet d’un amendement spécifique, j’aimerais revenir sur les notions de filtrage et de blocage. Je défendrai à ce propos un amendement n°259. Il faut appliquer les dispositions de la LCEN, c’est-à-dire agir d’abord au niveau de l’éditeur et de l’hébergeur.
    Les notions de filtrage, que nous avons longuement évoquées dans la loi HADOPI, vont éclairer nos débats sur l’article 4. La Fédération française des télécoms a adressé une étude d’impact sur le filtrage des contenus pédophiles souhaité par le Gouvernement. L'étude conclut que le filtrage est au mieux inefficace, au pire extrêmement coûteux, pour une efficacité de toute façon douteuse – c’est la Fédération française des télécoms qui le dit. « Plus la technique de blocage est précise – indique cette étude‚–, plus elle est coûteuse et plus elle présente un risque de congestion au niveau de l'équipement d'inspection – les DPI – qui se matérialise le jour où un site à fort trafic – Google, YouTube, par exemple – est inséré dans la liste des sites à bloquer ».
    La Fédération française des télécoms estime que le coût du filtrage peut monter jusqu’à 140 millions d'euros – qui paie? – pour une technique très invasive d'inspection profonde des paquets – le DPI – qui consiste à examiner chacune des communications des internautes pour vérifier la licéité du contenu.
    Selon les opérateurs, « les solutions de blocage (...) ne permettent d'empêcher que les accès involontaires à des contenus pédopornographiques disponibles sur le web à travers le protocole http », mais pas d'empêcher les réseaux pédophiles de prospérer. « Il est à souligner, poursuivent-ils, que tous les contenus diffusés sur les réseaux Peer-2-Peer, Usenet, chat de type IRC, ne sont pas inscrits dans le périmètre de blocage. Or d'après une enquête (...), IRC est depuis vingt ans une des principales plateformes d'échange d'images pédopornographiques ».
    Comme tout filtrage, celui imposé par le Gouvernement et mis en œuvre par les FAI posera des problèmes collatéraux. Soit le filtrage est trop grossier et présente un risque de surblocage – par exemple, si l'on bloque l'adresse IP de tout un serveur pour bloquer une seule page, comme l’a dit Martine Billard –, soit le filtrage veut être le plus précis possible et devient alors impossible à mettre en œuvre techniquement pour des coûts raisonnables. De plus, toutes les techniques de blocage, même les plus efficaces, peuvent être contournées par l'installation de sites miroirs, par changements réguliers d'adresse IP, par proxys, par réseaux anonymisants de type TOR, par l'utilisation de DNS tiers ou encore par des contournements de type fast-flux. Qu’il s’agisse ou non de HADOPI, le problème reste le même.
    Pour conclure, il y a fort à parier que, dès que le blocage sera effectif, les sites spécialisés dans les techniques de contournement vont se multiplier, réduisant ainsi fortement l'efficacité du dispositif. C’est ce que prédit la Fédération française des télécoms.

Brice Hortefeux - Neutralité du net (1:51:50)

  • M. Brice Hortefeux, avis du Gouvernement sur l'amendement n°144.
    '"Le respect du principe de neutralité des réseaux ne s’applique pas aux sites illicites."' Défavorable.

Sources

Compte-rendu de l'Assemblée nationale
Vidéo de la séance