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Il existe un véritable risque de créer une « boîte noire administrative » au pouvoir de filtrage extensible.
 
Il existe un véritable risque de créer une « boîte noire administrative » au pouvoir de filtrage extensible.
  
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Version actuelle datée du 16 février 2010 à 16:26

Quel est l'objectif poursuivi ?

L'objectif du ministère de l'intérieur est que l'autorité administrative puisse ordonner aux fournisseurs d'accès français la prise de mesures techniques visant à empêcher que les internautes français accèdent à des contenus pédopornographiques hébergés à l'étranger. Il s'agit donc d'autoriser l'autorité administrative à exercer une mission actuellement réservée à l'autorité judiciaire par la loi française, de modifier l'équilibre des pouvoirs en matière de limitation de liberté de communication, de liberté d'expression et de droit à l'information.

Qu'est ce qui motive cette demande de nouveau pouvoir ?

Les officiers de police que nous avons interrogé nous expliquent qu'ils souhaitent voir filtrer l'accès à certains sites ou contenus pour empêcher que des personnes ne se découvrent un "goût" pour la pornographie mettant en scène des mineurs, lorsqu'ils naviguent sur des sites pornographiques qui proposent de telles images dans des sections dédiées ("teens").

Ils expliquent que nombre de pédophiles ont été d'abord des consommateurs d'images pédopornographiques avant de passer à l'acte. Ils expliquent également que le filtrage des sites commerciaux refusant de retirer de telles images rendra leur activité commerciale plus difficile. Il s'agit plus largement d'entraver la circulation de ces contenus afin de protéger l'image des victimes.

En ce sens, le ministère de l'intérieur estime qu'il est possible de considérer le filtrage de contenus pédophiles comme une mesure de police administrative, qui vise à prévenir un trouble à l'ordre public et non à le réprimer, et que par conséquent, le passage par l'autorité judiciaire n'est pas obligatoire.

La volonté du ministère de l'intérieur de ne pas pas passer par l'autorité judiciaire réside principalement dans la nécessité d'aller vite pour bloquer l'accès aux contenus pédophiles ([à creuser, pourquoi ce besoin de vitesse ?]). Le passage par le juge ralentirait considérablement la procédure.

Quelles seraient les limites posées à ce nouveau pouvoir ?

Le ministère de l'intérieur n'entend pas contrôler les modalités d'application des mesures ordonnées par ses fonctionnaires, laissant les fournisseurs d'accès choisir les solutions techniques. La loi prévoirait que l'État se substitue à eux en matière de responsabilité en cas de dommages collatéraux dû au filtrage. La liste des url à filtrer serait non publique pour éviter une publicité inopportune. Les fournisseurs d'accès auraient obligation de la garder secrète. Aucune décision de justice n'est prévue pour confirmer le filtrage.

Quelles sont les problèmes juridiques ?

On peut s'interroger sur la nécessité d'évacuer l'autorité judiciaire du dispositif pour aller plus vite.

Comme cela a été confirmé par un magistrat du parquet et des officiers de police judiciaire lors de l'atelier Cybercriminalité organisé le 10 juin dans le cadre des Assises du Numérique, mais aussi par un magistrat du siège membre de l'USM contacté par la Quadrature du Net, la prise de mesures conservatoires peut être ordonnée "sans délais" par un tribunal en référé ou "dans la seconde par téléphone" par un juge d'instruction dans le cadre d'une commission rogatoire.

On peut aussi s'interroger sur la possibilité même de ce filtrage administratif.

Car s'il n'est pas contestable qu'empêcher l'accès à des contenus pédophiles peut contribuer à la prévention d'infractions pénales comme celles visées par l'article 227-3 du Code Pénal, il n'est pas contestable non plus que le filtrage constitue une mesure de répression vis à vis de l'hébergeur et de l'éditeur accusés de mettre à disposition des contenus illégaux. Le filtrage peut également constituer une limitation abusive de droits et libertés des internautes français. Sa mise en oeuvre doit donc être contrôlée par l'autorité judiciaire qui doit pouvoir le cas échéant condamné l'administration, par exemple pour voie de fait.

Tout accusé dispose en effet d'un droit d'accès à un juge indépendant, et doit se voir informé qu'il est accusé pour pouvoir se défendre dans le cadre d'un débat contradictoire ; toute mesure prolongée privative de liberté doit donner lieu à une décision de justice publique ; l'autorité judiciaire est, constitutionnellement, la seule autorité indépendante du pouvoir politique et la gardienne naturelle des libertés. En l'espèce, le droit d'accès à un juge indépendant, le principe du contradictoire, et le contrôle démocratique des actes de répression ordonnés par le pouvoir exécutif pourraient donc être mis à mal.

Car si tout est secret, qui va s'assurer que le site filtré a bien été contacté préalablement et n'a pas réagi dans un délai raisonnable ? Qui contrôlera les effets pour les libertés publiques du filtrage administratif pris à titre préventif ? Qui ordonnera la levée des mesures si elles sont infondées ou disproportionnées ? Et comment le peuple pourrait-il contrôler qu'il n'y a pas de dérives, si il n'y a pas de publicité des décisions, comme c'est a contrario le cas lorsque l'autorité judiciaire intervient ?

En résumé, le fait que la mesure d'exception proposée soit motivée par la nécessité d'empêcher la circulation d'images pédopornographiques n'enlève pas que le principe même de l'évacuation de l'autorité judiciaire en matière de filtrage reste posée dans sa nécessité, mais aussi dans sa conformité à des principes fondamentaux rappelés dans la constitution et des conventions internationales qui s'imposent à la France (comme la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme, notamment son article 6).

Il existe un véritable risque de créer une « boîte noire administrative » au pouvoir de filtrage extensible.

Voir aussi SolutionsDeFiltrageVueTechnique et PlanNote