La nouvelle visiblité : Différence entre versions

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(Created page with '==Référence== John B. Thompson. 2005. La nouvelle visibilité. ''Réseaux'' 1, no. 129-130: 59-87. [http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=RES&ID_NUMPUBLIE=RES_129&ID_ARTIC…')
 
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* ''L’interaction de face-à-face'' : contexte de co-présence ; caractère « dialogique » ; multiplicité d’indices symboliques.
 
* ''L’interaction de face-à-face'' : contexte de co-présence ; caractère « dialogique » ; multiplicité d’indices symboliques.
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* ''L’interaction médiatisée'' : étendue dans l’espace et dans le temps ; les contextes des producteurs et des récepteurs ne partagent pas un cadre spatio-temporel (cf. lettres et conversation téléphonique) ; rétrécissement de la gamme des indices symboliques.
 
* ''L’interaction médiatisée'' : étendue dans l’espace et dans le temps ; les contextes des producteurs et des récepteurs ne partagent pas un cadre spatio-temporel (cf. lettres et conversation téléphonique) ; rétrécissement de la gamme des indices symboliques.
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* ''La quasi-interaction médiatisée'' : de pair avec la production et la réception de matériaux tels que les livres, les journaux, la radio, la télévision, etc. Elle implique aussi l’extension spatio-temporelle et la réduction des indices symboliques ; de manière prédominante monologique, sans attendre une réponse directe et immédiate.
 
* ''La quasi-interaction médiatisée'' : de pair avec la production et la réception de matériaux tels que les livres, les journaux, la radio, la télévision, etc. Elle implique aussi l’extension spatio-temporelle et la réduction des indices symboliques ; de manière prédominante monologique, sans attendre une réponse directe et immédiate.
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* ''L’interaction médiatisée par ordinateur'' : crée par le développement d’une série de nouvelles technologies de communication associées aux ordinateurs individuels et à Internet.
 
* ''L’interaction médiatisée par ordinateur'' : crée par le développement d’une série de nouvelles technologies de communication associées aux ordinateurs individuels et à Internet.
  
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* ''La visibilité située de la co-présence'' : on voit seulement ce qui est dans le champ de vision ici et maintenant ; il y a une situation évidente de « vision » partagée par ceux qui « voient ». Par conséquence, il s’agit d’une visibilité réduite et réciproque.
 
* ''La visibilité située de la co-présence'' : on voit seulement ce qui est dans le champ de vision ici et maintenant ; il y a une situation évidente de « vision » partagée par ceux qui « voient ». Par conséquence, il s’agit d’une visibilité réduite et réciproque.
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* ''La visibilité médiatisée'' : le fait de « voir » est séparé d’une localisation spatio-temporelle commune ; elle n’a d’ailleurs plus un caractère réciproque : c’est donc un champ visuel unidirectionnel (des personnes vues par des spectateurs). On y peut commencer à concevoir la nécessité de fabriquer des images de soi susceptibles d’être transmises à d’autres dans des lieux éloignés. C’est le résultat de la médiation de l’imprimerie.
 
* ''La visibilité médiatisée'' : le fait de « voir » est séparé d’une localisation spatio-temporelle commune ; elle n’a d’ailleurs plus un caractère réciproque : c’est donc un champ visuel unidirectionnel (des personnes vues par des spectateurs). On y peut commencer à concevoir la nécessité de fabriquer des images de soi susceptibles d’être transmises à d’autres dans des lieux éloignés. C’est le résultat de la médiation de l’imprimerie.
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* ''La visibilité de la « simultanéité déspatialisée »'' : crée par les médias électroniques à partir de la possibilité de transmettre des informations et des contenus et de contenus symboliques à de très grandes distances avec peu ou pas de retard et à partir de l’ouverture aux moyens de diffusion et production de contenus à beaucoup d’individus. Ce genre de visibilité a donné lieu à une forme intime de présentation de soi libérée des contraintes de la co-présence. En particulier, les dirigeants politiques ont acquis la capacité de se présenter eux-mêmes en tant qu’ « un des nôtres ».
 
* ''La visibilité de la « simultanéité déspatialisée »'' : crée par les médias électroniques à partir de la possibilité de transmettre des informations et des contenus et de contenus symboliques à de très grandes distances avec peu ou pas de retard et à partir de l’ouverture aux moyens de diffusion et production de contenus à beaucoup d’individus. Ce genre de visibilité a donné lieu à une forme intime de présentation de soi libérée des contraintes de la co-présence. En particulier, les dirigeants politiques ont acquis la capacité de se présenter eux-mêmes en tant qu’ « un des nôtres ».
  

Version du 31 janvier 2011 à 15:36

Référence

John B. Thompson. 2005. La nouvelle visibilité. Réseaux 1, no. 129-130: 59-87. [1]

Catégorisation

Mots clés

  • Visibilité
  • Usage
  • Interaction
  • Médiatisation

Résumé

Description de la problématique

Dans cet article, Thompson examine les formes de visibilité publique engendrées par les nouveaux médias, notamment par Internet et les médias en réseau. C’est à partir de ces avancées en matière de télécommunications que certaines pratiques et certains événements arrivent à se répandre dans le domaine public et à être soumis à son examen.

Au travers de cette médiation, les nouveaux supports de communication impliquent donc un processus de dévoilement, de « rendre visible l’invisible », au-delà de n’importe quelle limitation spatiale ou politique. Bref, il s’agit d’une visibilité médiatisée et publique très différente à celle qui existait avant, comportant des modifications évidentes sur la sphère publique, sur les interactions entre les individus et, enfin, sur la conception de l’action politique et du pouvoir politique (du militant à la figure exerçant le pouvoir).

Méthodologie

Étant donné que la force argumentative de cet article n’est pas concentrée sur une étude de cas particulier mais plutôt conçue comme un exposé théorique, il est par conséquent difficile d’en extraire une méthodologie. Thompson tente donc de faire un panorama des différentes théories de la sociologie des médias. Son interprétation se base sur quelques idées basiques du paradigme interactionniste.

L’article élabore une synthèse historique de la dialectique entre les technologies de l’information et communication et les interactions sociales, en mettant l’accent sur les usages.

L’auteur démontre dans un premier temps que les TICs ne sont pas uniquement des plateformes techniques neutres. Pour y arriver, l’argumentation s’appuie sur les modifications mutuelles des pratiques sociales individuelles et les dispositifs pendant leur utilisation effective. On peut donc parler du développement de nouvelles pratiques d’interaction (la « composition interactionnelle » de la vie sociale) créées et résultantes de l’usage des propriétés techniques spécifiques des médias de communication.

Ce déroulement théorique suppose :

  • L’interaction de face-à-face : contexte de co-présence ; caractère « dialogique » ; multiplicité d’indices symboliques.
  • L’interaction médiatisée : étendue dans l’espace et dans le temps ; les contextes des producteurs et des récepteurs ne partagent pas un cadre spatio-temporel (cf. lettres et conversation téléphonique) ; rétrécissement de la gamme des indices symboliques.
  • La quasi-interaction médiatisée : de pair avec la production et la réception de matériaux tels que les livres, les journaux, la radio, la télévision, etc. Elle implique aussi l’extension spatio-temporelle et la réduction des indices symboliques ; de manière prédominante monologique, sans attendre une réponse directe et immédiate.
  • L’interaction médiatisée par ordinateur : crée par le développement d’une série de nouvelles technologies de communication associées aux ordinateurs individuels et à Internet.

Ce genre de déplacement spatio-temporel modifie aussi les rapports de la visibilité :

  • La visibilité située de la co-présence : on voit seulement ce qui est dans le champ de vision ici et maintenant ; il y a une situation évidente de « vision » partagée par ceux qui « voient ». Par conséquence, il s’agit d’une visibilité réduite et réciproque.
  • La visibilité médiatisée : le fait de « voir » est séparé d’une localisation spatio-temporelle commune ; elle n’a d’ailleurs plus un caractère réciproque : c’est donc un champ visuel unidirectionnel (des personnes vues par des spectateurs). On y peut commencer à concevoir la nécessité de fabriquer des images de soi susceptibles d’être transmises à d’autres dans des lieux éloignés. C’est le résultat de la médiation de l’imprimerie.
  • La visibilité de la « simultanéité déspatialisée » : crée par les médias électroniques à partir de la possibilité de transmettre des informations et des contenus et de contenus symboliques à de très grandes distances avec peu ou pas de retard et à partir de l’ouverture aux moyens de diffusion et production de contenus à beaucoup d’individus. Ce genre de visibilité a donné lieu à une forme intime de présentation de soi libérée des contraintes de la co-présence. En particulier, les dirigeants politiques ont acquis la capacité de se présenter eux-mêmes en tant qu’ « un des nôtres ».

Or, cette corrélation est soutenue par l’analyse d’un exemple particulier : le scandale politique comme typologie symptomatique de la problématique de la visibilité médiatisée. L’auteur soutient que cette visibilité médiatisée devient la source d’un nouveau genre de fragilité : le conflit constant entre l’image révélée par ce pouvoir dévoilant (et incontrôlable) des médias et l’image souhaitée. Il en résulte : « Le scepticisme du public quant à la crédibilité et à l’honnêteté de leurs dirigeants ». Néanmoins, on insiste, il s’agit seulement d’une typologie où l’auteur passe en revue différents scandales particuliers d’une manière assez rapide et superficielle : l’affaire du Watergate et celles de JFK jusqu’aux infidélités du président des Etats-Unis Bill Clinton dans les années 1990. On peut par ailleurs voir que ce type de penchant de l’économie de la visibilité pour le scandale publique n’est pas un phénomène exclusivement induit par Internet et ses usages.

Résultats

Il paraît un peu forcé d’indiquer des « résultats » quand il s’agit d’un texte argumentatif. Pourtant, en répondant à la problématique, on peut amener une première conclusion théorique.

À partir de l’examen du scandale public des figures politiques comme symptôme de cette nouvelle visibilité, l’article conclut d’abord que les valeurs « aimables » de la sphère publique ont changé : un virage vers la vie privée, l’honneur et les valeurs morales de la figure politique individuelle, et qui l’éloigneraient de la politique partisane et idéologique « traditionnelle ».

En ce qui concerne les causes et nouvelles implications de la nature révélatrice des médias, on peut faire deux remarques. La première, d’ordre plutôt technique, est que cette nature répond à l’impossibilité de contrôler les fuites d’information des systèmes de communication, au flux et au volume de matériel symbolique mis en circulation. En ce sens, la croissance peut à la fois être comprise de deux manières différentes : qualitativement, le flux est plus étendu suite à l’ampleur de possibles « récepteurs » des messages, au-delà de la distance géographique ; quantitativement, avec la croissance des organisations et individus capables d’accéder à la production de contenus et à leur diffusion (où « diffusion » implique « rendre public »).

La deuxième remarque, de genre tactique, est le fait que cette visibilité comporte aussi une valeur stratégique servant aux intérêts de certains collectifs comme levier ou comme source de création de valeur critique. Enfin, cette mise en visibilité peut aider à déplacer l’attention du domaine public vers les problèmes ou questions de particuliers. Obtenir et saisir, donc, une présence dans l’espace public. Au contraire, échouer à cette recherche peut mener à la « death by neglect » (mort par absence –ou plutôt négation– d’attention).

Réflexion sur la pertinence

L’apport de cet exposé le plus pertinent au regard de notre sujet serait l’accent mis sur la notion de visibilité. Cet article peut d’abord nous donner des pistes théoriques et historiques pour encadrer notre problématique. Il peut donc nous aider à aborder et à concevoir cette notion et, surtout, sa relation avec les technologies de communication et information et ses usages.

Cela étant dit, on pourrait reprendre la conclusion finale de cet article comme le présupposé soutenant notre problématique :

La visibilité des actions et des événements et l’impact de ces mots et de ces images sur la manière dont les individus ordinaires comprennent ce qui se passe dans des lieux éloignés, mais aussi la manière dont ils se forment une opinion et élaborent des jugements moraux sur ces faits, sont devenus, dans cette ère de la visibilité médiatisée, des composantes inséparables du déploiement des événements eux-mêmes. (86)

Bref, la recherche (la lutte) de la visibilité publique est indivisible des effets de la mobilisation politique et inévitable pour n’importe quelle organisation citoyenne qui cherche à se faire entendre et à se faire écouter par ceux qui prennent encore les décisions.

Divers

John Brookshire Thompson est professeur de Sociologie à l’Université de Cambridge et fellow au Jesus College. Fortement influencé par les herméneutiques, il étudie la communication et ses usages en les rattachant de près à un contexte social (source : Wikipédia).