Encadrement obligation blocage internet

De La Quadrature du Net
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Cette page reprend les très bons arguments contre le filtrage et le blocage du Net issus du rapport parlementaire sur la neutralité du Net paru en avril 2011.

Malgré son air un peu aride, ce texte ce lit en fait très bien (promis). Lisez-le une fois et vous verrez ! :)

DEUXIÈME AXE : ENCADRER STRICTEMENT LES OBLIGATIONS DE BLOCAGE DE L’INTERNET

L’objectif du deuxième axe est d’éviter au maximum d’obliger les opérateurs à bloquer des communications électroniques car le blocage a des effets négatifs directs (restriction de la liberté d’expression et de communication) et indirects (surblocage, développement du chiffrement, etc.). Ces effets négatifs ne sont pas toujours correctement pris en compte dans les décisions législatives. De plus, l’éclatement des bases législatives (LCEN de 2004, loi sur les jeux en ligne de 2010, code de la propriété intellectuelle) est un facteur de confusion. C’est pourquoi il est proposé de s’interroger plus avant sur la justification des mesures de blocage légales, en dépit de leur légitimité apparente, du fait de leur inefficacité et des effets pervers qu’elles susceptibles d’engendrer (proposition n°3) et de prévoir dès à présent l’intervention systématique du juge pour prononcer des mesures obligatoires de blocage afin de mieux protéger la liberté d’expression (proposition n°4).

Proposition n°3 : s’interroger plus avant sur la justification des mesures de blocage légales, en dépit de leur légitimité apparente, du fait de leur inefficacité et des effets pervers qu’elles sont susceptibles d’engendrer

Les autorités publiques compétentes devraient travailler en coordination afin d’évaluer l’opportunité du blocage, notamment d’un point de vue opérationnel.

Positionnement : pas de proposition de dispositions législatives codifiées.

Arguments :

Ne pas oublier que le droit général s’applique à internet

Lorsqu’on prend en compte l’ensemble des coûts, des risques et des bénéfices, il n’est pas évident qu’il faille empêcher la communication de tous les « contenus illégaux ». À cet égard, un exemple peut être éclairant. Téléphoner en conduisant est dangereux et constitue une communication « illégale », que la police et la gendarmerie répriment lorsqu’ils la constatent, et qui fait l’objet de mesures de prévention dans le cadre de la sécurité routière. Faut-il pour autant mettre en œuvre un dispositif complexe et coûteux pour bloquer les communications au volant en géolocalisant les appels et en analysant le signal vocal de manière systématique afin de repérer les appels passés au volant et pouvoir les bloquer ?

Il faut noter par ailleurs que l’absence de blocage des « contenus illégaux » ne signifie pas l’absence de sanction. Ainsi, l’échange de fichiers soumis au droit d’auteur sans autorisation constitue, en application de l’article L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle, un acte de contrefaçon constituant un délit. Le Conseil constitutionnel avait d’ailleurs censuré dans sa décision sur la loi DAVDSI de 2006 les dispositions visant à réduire les sanctions pénales en cas d’échange de fichiers soumis au droit d’auteur sans autorisation sur internet au motif que « les particularités des réseaux d'échange de pair à pair ne permettent pas de justifier la différence de traitement qu'instaure la disposition contestée » : manière de rappeler que le droit général doit s’appliquer sur internet.

Prendre en compte des considérations techniques

L’importance de la liberté d’expression et de communication, rappelée à l’appui de la proposition n°4, invite évidemment le législateur à limiter les cas dans lesquels des mesures obligatoires de blocage pourraient être prononcées aux situations dans lesquelles la liberté de communications et d’expression se heurte à un droit fondamental ou à un objectif de valeur constitutionnel pour lequel elle constitue une menace grave. La recherche de cet équilibre devrait constituer la première étape du raisonnement du législateur.

Mais il ne faut pas s’en tenir à ce raisonnement portant sur les valeurs. Dans un second temps, le législateur devrait évaluer si, au plan pratique, les bénéfices attendus de la mise en œuvre de mesures obligatoires de filtrage ne sont pas inférieurs aux risques engendrés et, lorsque c’est le cas, s’abstenir d’introduire de nouvelles bases légales donnant au juge le pouvoir de prononcer des mesures obligatoires de blocage. Ce second temps de la réflexion est d’autant plus important qu’existent, sur un plan pratique, des arguments sérieux contre la mise en œuvre de mesures de blocage :

  • les techniques de contournement des mesures de filtrage sont relativement accessibles. Dans les cas où le blocage vise des échanges de contenu réellement odieux, comme des images pédopornographiques, les pouvoirs publics font face à des groupes criminels organisés qui utilisent internet de manière sophistiquée et réussiront à échapper aux obligations de blocage. Le simple blocage d’un site web est difficile ;
  • à l’inefficacité partielle des mesures de blocage s’ajoutent des risques de « surefficacité », les techniques disponibles engendrant des surblocages (blocage d’autres contenus, services ou application que ceux visés) et des menaces pour la résilience du réseau ;
  • il existe enfin un risque global lié au développement de techniques de contournement des mesures de blocage. Dans les cas où le blocage vise des échanges « grand public », comme des jeux en ligne, il peut être dissuasif à court terme. À long terme, cependant, il ne faut pas sous-estimer la capacité des internautes à utiliser massivement des techniques de contournement (par exemple, des modules de chiffrement ou permettant d’accéder à des proxys installés directement sur les navigateurs web). Une telle évolution serait une menace pour la sécurité du réseau et constituerait de surcroît un grave problème dans les relations entre le monde virtuel de l’internet et les pouvoirs publics. Elle suscite d’ailleurs l’inquiétude des forces de cybersécurité.

Identifier précisément les effets du blocage

Ces éléments et la prudence justifient a minima qu’un moratoire soit observé sur le blocage – aucun nouveau cas de filtrage n’étant ajouté aux cas existants – et que l’intervention du juge soit prévue dans tous les cas, conformément à la proposition n°4. Ils invitent aussi à aller plus loin : leur robustesse devrait être évaluée sérieusement par les autorités publiques concernées ; sur cette base, les conditions dans lesquelles des mesures de blocage doivent être mises en œuvre devraient être réexaminées et le choix entre les trois options envisageables – étendre le blocage, conserver le droit actuel, abandonner toute mesure de blocage – pourrait ainsi être fait de manière complètement éclairée, ce qui est une attente forte du législateur.

Encourager le développement des logiciels de filtrage de type « contrôle parental »

Le recours à des dispositifs de filtrage à l’extrémité du réseau peut être justifié, notamment dans le cadre du contrôle parental. Ces dispositifs doivent rester sous le contrôle complet de l’utilisateur, activables et paramétrables par celui-ci.

Proposition n°4 : établir dès à présent une procédure unique faisant intervenir le juge

Les fournisseurs d’accès à internet ne devraient pouvoir être obligés de bloquer des communications électroniques, sauf pour des motifs de sécurité, qu’à l’issue d’une procédure unique permettant à l’autorité judiciaire d’ordonner l’arrêt de l’accès à un contenu, un service ou une application.

Positionnement : ces dispositions pourraient être introduites dans le code des postes et des communications électroniques, ou dans un autre code.

Arguments :

Protéger la liberté d’expression et de communication

Le législateur dispose d’une marge de manœuvre pour déterminer la manière dont il entend assurer la conciliation entre la liberté d’expression et de communication et la protection d’autres intérêts – qu’il s’agisse la lutte contre la pédopornographie ou la cybercriminalité, la protection de l’intérêt patrimonial de l’État ou encore du droit d’auteur. Plusieurs points peuvent être rappelés à cet égard :

  • le droit européen impose que les restrictions l’accès à internet soient soumises à des « garanties procédurale adéquates » (article 1er de la directive 2009/140) ;
  • le Conseil constitutionnel n’a pas admis qu’une mesure de suspension de l’accès à internet puisse être prononcée par l’autorité administrative (décision sur la loi HADOPI) mais il a permis que celle-ci ordonne aux fournisseurs d’accès à internet de bloquer l’accès à des contenus pédopornographiques, la décision de blocage étant contestable devant le juge (décision sur la loi LOPPSI) ;
  • ces règles européennes et constitutionnelles laissent une large marge de manœuvre à la loi, à laquelle il revient notamment, en application de l’article 34 de la Constitution, de fixer les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques.

L’importance politique et sociale éminente qui s’attache à la libre communication des pensées et des opinions justifie que le législateur lui donne la priorité dans la conciliation qu’il a à réaliser avec d’autres intérêts politiques légitimes. Il faut le dire clairement : il vaut mieux que les individus puissent communiquer, même si cette communication cause des dommages, jusqu’à ce qu’un juge en ait décidé autrement. Les risques de dérive liés à l’établissement d’une liste de services, contenus ou sites à bloquer établie par l’administration – notamment concernant sa publicité et mise à jour – constituent un argument supplémentaire et pragmatique en faveur du choix d’une procédure passant systématiquement par le juge plutôt que par une décision administrative de blocage contestable ensuite devant le juge.

Disposer d’un cadre légal unifié

La multiplication des lois permettant d’imposer des mesures obligatoires de blocage au cours des dernières années (LCEN en 2004, loi sur les jeux en ligne en 2009, LOPPSI II en 2011) montre que la pression visant à restreindre la liberté de communication sur internet s’accroît. L’établissement d’une procédure unique permettrait d’assurer la cohérence des décisions législatives et de « consolider » les débats sur le blocage en les ancrant clairement dans un article de code.

Rationaliser la procédure judiciaire

L’institution d’une procédure unique aurait aussi pour avantage de confier à un juge unique – par exemple le tribunal de grande instance de Paris, si le choix fait dans la loi pour les jeux en ligne de 2010 était repris – le rôle de prononcer des mesures obligatoires de blocage, permettant une montée en compétence et un meilleur suivi de la jurisprudence.