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De La Quadrature du Net
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Conférence de presse de la Société Civile lors de l'eG8



  • [LL] Lawrence Lessig (professeur de droit à Harvard et fondateur des Creative Commons)
  • [JJ] Jeff Jarvis (journaliste américain),
  • [JFJ] Jean-François Julliard (secrétaire général de RSF)
  • [SC] Susan Crawford (ancien membre du conseil d'administration de l'ICANN)
  • [JZ] Jérémie Zimmermann (porte-parole de la Quadrature du Net).
  • [YB] Yochai Benkler (co-directeur du Harvard's Berkman Center for the Internet).


Jérémie Zimmermann

00:09

Merci à tous d'être présents, désolé pour l'improvisation et les conditions impromptues de cette conférence de presse. Comme vous le savez tous, il n'y a que très peu (s'il y en a) de représentants de la société civile dans cet eG8. Jeudi, à la dernière minute, ils ont placé quelques chaises pliantes pour nous, ils ont improvisé des tables rondes sur la liberté d'expression, juste pour pouvoir dire que nos questions étaient débattues. Mais ce que nous avons vu hier, c'est Nicolas Sarkozy s'adressant uniquement aux chefs d'entreprises et aux acteurs économiques, leur disant : " Vous êtes l'internet, vous êtes la révolution et vous faites tout, et vous avez à présent la responsabilité de combattre les pédonazis, les terroristes et la guerre des copyrights." Et ça, c'est quelque chose qui nous dérange tous, je pense, nous tous ici. Nous allons essayer de faire chacun un petit discours de 4-5 minutes. Disons 4 minutes si on y arrive. Nous avons des personnes fantastiques ici : de Yochaï Benkler du Berkman Center jusqu'à Jean-François Julliard de Reporters Sans Frontières et jusqu'à Susan, comment tu décrirais ta fonction ?

Susan Crawford

01:33

Susan Crawford, ancien membre du conseil d'administration de l'ICANN.

Jérémie Zimmermann

01:39

Professeur Lawrence Lessig, qui n'a pas du tout besoin d'être présenté, et Jeff Jarvis. Susan, tu peux peut-être commencer.

Susan Crawford

01:50

Le communiqué a déjà été rédigé pour ce sommet du G8, euh, cette réunion, cette réunion de l'eG8. Il a fuité dans le New York Times, qui a publié l'histoire ce matin, en expliquant exactement ce que le communiqué dirait. La raison pour laquelle cette conférence de presse a été convoquée, c'est que des groupes représentant la société civile se sont réunis, venant d'un peu partout dans le monde, pour produire une très courte et simple déclaration appelant l'eG8, et donc le G8, à protéger l'internet ouvert, à maintenir sa neutralité et à établir des principes assurant la libre circulation de l'information.

Toutes les personnes réunies autour de cette table ont compris que l'ouverture d'internet est, en fait, la base d'une démocratie florissante un peu partout dans le monde et que toutes les décisions gouvernementales qui ont espéré encourager les citoyens à développer l'éducation, la santé, les politiques énergétiques et toutes les autres politiques qui influent sur le monde d’aujourd’hui sont toutes encouragées par la présence d’un internet libre. Et cet accès à internet est fondamental pour tout être humain dans le monde. Voici les mesures les plus importantes que les gouvernements devraient adopter : un internet ouvert, rapide, équitable et libre, c’est cette cause très simple que défend cette conférence.

Nous voulons être sûrs que d’autres voix sont entendues, même si le communiqué a peut-être déjà été rédigé. J’invite ici mes collègues, M. Jarvis, M. Lessig, M. Benkler et les reporters de Reporters Sans Frontières à amplifier ces propos.C'est en fait très simple : nous avons la sensation que ces voix n'ont pas été entendues. Nous voulons nous assurer que ceux que l'on n'entend jamais, ceux qui n'ont pas été invités à cette conférence, puissent également être entendus.

Jérémie Zimmermann

03:52

Merci Susan. Nous avons ici quelques copies de la déclaration de la société civile pour l'eG8 et le G8. La liste des signataires n'est pas mince. Vous y trouverez des groupes comme Access Now, qui n'ont pas eu de badge pour venir ici, l'Association pour le Progrès des Communications. Je ne les citerai pas tous, mais il y a la Digitale Gesellschaft, l'Electronic Frontier Foundation, l'EDRI, etc.

Il y a également une pétition organisée par Access Now qui a été signée par des personnes de plus de dix-neuf pays pour réclamer exactement ce qui a été dit avant : tout ce qui n'est pas à l'eG8.

À présent, nous pouvons peut-être écouter Jean-François qui doit nous quitter sous peu pour un atelier.

Jean-François Julliard

04:51

Merci. Je vais parler en Français. Je suis désolé pour ceux qui ne comprennent pas le Français mais je répéterai la même chose à la présentation qui débute dans quelques minutes. J'aimerais dire quelques mots en français parce qu'il y a beaucoup de reporters français ici.

Moi je suis extrêmement déçu de ce qui se dit ici, dans ce sommet, depuis le début, parce qu'on a réuni la crème de ce qui se fait concernant internet dans le monde, les patrons des plus grandes entreprises, ceux qui ont fait qu’internet a connu une croissance économique extraordinaire, pourtant il n’y a pas eu un mot de ceux qui souffrent à cause d’internet, je pense aux 126 personnes qui sont en prison en ce moment, 126 blogueurs Net Citoyens, utilisateurs d’internet, qui sont en prison en Iran, en Chine, en Libye, au Vietnam, dans tout un tas d’autres pays, qui sont en prison simplement parce qu’ils ont utilisé internet, je trouve ça assez scandaleux que personne n’ait eu une pensée pour eux, qu'aucun des leaders dans le domaine d’internet, qui se sont exprimés depuis le début de ce sommet n’aient eu une simple pensée pour eux.

C’est bien de vouloir promouvoir internet, mais il faut commencer par avoir une pensée pour ceux qui souffrent de ça. Et puis je veux dire aussi que si nous on doit faire une seule recommandation au G8 et aux gouvernements qui composent le G8, c'est d'abord de défendre un internet libre avant tout le reste. Il y a aujourd'hui une personne sur 3 dans le monde, un utilisateur d'internet sur 3 dans le monde qui n'a pas accès à un internet libre. Donc avant de penser à réguler des contenus, avant de penser à défendre même la propriété intellectuelle, avant de penser à promouvoir les échanges économiques sur internet, il faut d'abord se soucier qu'internet reste libre, que les utilisateurs d'internet, partout dans le monde où qu'ils soient continuent d'avoir accès à un internet libre et continuent d'avoir accès au même internet.

Donc, nous si on doit faire une seule recommandation, c'est celle-là. À la limite, peu importe les autres : les gouvernements du G8 doivent faire de la défense d'un internet libre leur priorité unique et absolue.

Jérémie Zimmermann

06:51

Merci Jean-François. C'est très difficile de choisir qui, parmi ces analystes épatants, va prendre la parole. Nous devrions peut-être voter ? Professeur Lessig, peut-être ?

Lawrence Lessig

07:06

Oui. Je serai bref. Je suis surpris de venir en France et d'y trouver quelque chose de si américain. Aux États-Unis, ces 30 dernières années, nous avons été prisonniers d'une idéologie disant que nous devions réguler en réunissant les entreprises pour leur demander ce que devrait être une bonne politique publique. Nous avons fait ça aux États-Unis, à notre détriment. La crise financière, provoquée par la dérégulation imposée au gouvernement américain par les intérêts financiers qui en ont bénéficié, et ont ensuite conduit à la chute de l'économie. Et dans tous les autres domaines de la politique d'internet, nous voyons la même chose : nous n'avons pas de haut débit comme le rapport de Bankler du Berkman Center le démontre, nous n'avons pas de couverture suffisante, pas de réel effet du haut débit aux États-Unis à cause d'une politique très forte de dérégulation que le gouvernement américain a acceptée. Et il l'a acceptée parce que les seules personnes qu'il prenait la peine d'écouter étaient les grandes entreprises.

Alors, pour en venir à la France, et à un événement tel que celui-ci, pour lequel la présomption du Président est : "Rassemblons les plus grosses entreprises, et demandons-leur à quoi l'avenir d'internet doit ressembler" c'est hallucinant, c'est juste... Vous savez, j'ai un peu étudié la philosophie française, mais je ne me rappelle pas qu'un philosophe français ait dit : « La politique publique est mieux conduite si l'on demande aux entreprises de l'élaborer ». Ça ne me semble pas très français.

  • Applaudissements*

Alors, j'aimerais pouvoir revenir au Paris que j'ai aimé, et qui n'est pas cette version américaine de Paris, mais la version française de Paris, en rappelant qu'il y a d'autres intérêts que celui du monde des affaires. Pour le monde des affaires, le business est important, et dans le business, il y a une division entre les ayants-droit et les innovateurs, et nous devons maintenir vivante cette séparation.

Mais il y a aussi ceux qui ont construit internet. À l'origine, ce n'était pas des entreprises, c'était la société civile, c'était l'ISOC, l'ICANN, euh non pas l'ICANN, c'était l'IETF, mais c'était surtout beaucoup de personnes qui ne sont tout simplement pas là. Donc, je suis d'accord avec Susan, nous avons besoin de trouver un moyen de rappeler aux personnes ici, que ceux qui ne sont pas là sont tout aussi importants dans cette histoire.

Jérémie Zimmermann

09:24

Merci Larry

Yochai Benkler

09:27

Pour éviter les répétitions : les changements cruciaux apportés par le réseau numérique sont la décentralisation radicale de la capacité de s'exprimer, de créer, d'innover, de nous voir entre nous, de socialiser, et la distribution radicale des moyens pauvres de production, de calcul, de communication, de stockage, de diffusion, de captation de la sociabilité humaine, celle qui nous rassemble dans l'expérience, sur le terrain.

C'est vrai ; pour la première fois depuis la révolution industrielle, les gens peuvent, avec ce qu'ils ont à disposition, s'approprier le monde et faire quelque chose qui est vraiment au cœur de la plus avancée des économies. Préserver ce cadre, préserver un cadre qui soit ouvert, fluide, souple, qui s'adapte au changement, de sorte que le sacrifice d'une personne à Sidi Bouzid puisse se traduire, au travers du monde arabe, par une séquence de mobilisation. C'est nouveau, et c'est ce qui est crucial. Depuis plus de quinze ans maintenant, nous avons vu deux camps opposés autour de la question de la politique de l'internet.

Un des camps est celui des ayants-droit du 20ème siècle, qui ont peur que quelque chose change, qui ont peur que le peuple se lève pour participer, peur des innovations venant d'étrangers à leur monde, issus des marges, qui n'ont pas reçu l'autorisation d'innover de la part des ayants-droit, et qui ne se sentent pas obligés de venir et de dire : "S'il vous plaît, pouvez-vous réaliser ceci pour moi sur votre réseau ?".

Toutes ces firmes, que nous voyons aujourd'hui si grandes, venaient, il y a 15 ans, de l'extérieur. C'est là que se trouve la source de l'innovation. Et l'autre modèle disait "Gardons les choses ouvertes, gardons les choses flexibles, laissons les choses se faire".

Et cette opposition entre ceux qui disaient : "Ça va trop vite, ralentissons tout cela, rendons-le gérable, rendons-le sûr", et ceux qui disaient : "C'est extraordinaire, c'est créatif, ouvrons tout ça, parce que nous sommes dans un processus d'expérimentation continu, et d'adaptation, et d'apprentissage...". C'est un très grand moment d'apprentissage. Cette opposition est restée là pendant 15 ans, et occasionnellement, nous avons vu des périodes comme il y a 12 ans aux États-Unis, pendant lesquelles la démarche a été de fermer les choses, faisant en sorte que les fournisseurs d'accès à internet aient à surveiller le contenu de leurs producteurs, en régulant sur le logiciel, en régulant sur les nouveaux services, pour être sûr et certain qu'ils ne créent pas trop de menaces pour les industries en place.

Ensuite, il y a eu une longue période de calme entre la période pendant laquelle nous avons compris l'importance centrale des biens communs, la période à laquelle nous avons compris l'importance de ce qui est ouvert, et maintenant, ce qui est déconcertant dans ces deux jours, c'est la réapparition de ce que nous avions vu il y a dix, douze, quinze ans, comme si nous n'avions rien appris. Quand hier les gens, à la plate-forme sur la propriété intellectuelle, disaient que, sans une propriété intellectuelle forte, internet serait juste un ensemble de tubes et de boîtes. J'ai entendu ça il y a quinze ans de ça, et peut-être, peut-être que, à l'époque, c'était une hypothèse plausible.

Aujourd'hui, c'est risible, sauf qu'il semble que cette hypothèse ait les oreilles du pouvoir. Alors, je pense que ce qui est crucial ici, c'est de comprendre qu'il y a des voies possibles, comme celle du Hargreaves Report de la semaine dernière lorsqu'il disait : "Non ! Je ne suis pas obligé de verrouiller des choses, je dois faire très attention avant de verrouiller des choses au nom de la propriété intellectuelle. Au lieu de ça, je dois chercher des manières d'ouvrir, et de permettre que les choses circulent. C'est l'opposition cruciale : parvenir à réaliser des objectifs socialement désirables, acceptables, et légitimes tout en préservant un internet ouvert, fluide, circulant, libre, ou au contraire, avoir à ce point peur de la nouveauté, que vous voudriez la verrouiller, ou essayer de la verrouiller et de la fausser. C'est l'opposition à laquelle nous devons tous nous tenir, que ce soit dans le cadre des affaires et de l'innovation, dans le cadre de l'égalité sociale et de l'accès, ou à propos de la démocratie et de la participation, que ce soit à propos de la liberté, de l'égalité ou de la fraternité. Nous devons tous être du même côté, sur cette voie de maintien d'un internet ouvert.

Jérémie Zimmermann

14:04

Oui, Merci.

Jeff Jarvis

14:06

J'ai été profondément effrayé pendant ces deux jours, effrayé par ceux qui sont si effrayés par le changement qu'ils essayent de le stopper. L'internet n'a pas de gouvernement, ai-je dit au président Sarkozy hier, et pourtant le gouvernement essaye de se comporter comme si c'était le cas. Il a dit que ce n'était pas clair, qu'il avait le sentiment d'avoir l'autorité pour le réguler. J'ai twitté ce matin que je me sentais plutôt comme un natif, pour être présomptueux, de l'Amérique ou de l'Afrique quand les vaisseaux colons voulaient venir pour les civiliser, "Nous n'avons rien à craindre".

Comme le CTO (directeur technique) de l'administration Verizon aux États-Unis, appelle l'internet le huitième continent, c'est une nouvelle terre, qui n'a pas encore été colonisée : il n'y a pas de drapeau, ni français, ni américain, ni anglais planté sur lui. C'est le nôtre. Alors, à la rigueur je ne blâme pas du tout Nicolas Sarkozy et Publicis pour avoir provoqué cette réunion, parce qu'ils ont rempli un vide que nous, la société civile, nous avons laissé. Donc je pense qu'il nous incombe, les citoyens de ce huitième continent, de cette nouvelle terre vierge, de convoquer et de tenir nos propres discussions. Alors, nous pourrons inviter, nous devrons inviter, les gouvernements ainsi que les entreprises. Mais j'aurais préféré que cette discussion se tienne à notre table, plutôt qu'à celle des gouvernements, comme ça se passe ici.

Je pense que, quoi qu'il sorte de cette réunion, nous n'avons ni besoin de constitution ni d'une batterie de lois sur internet. Comme mes estimés collègues ici présents le disent, c'est l'architecture même d'internet, sa meilleure protection. Sa grande ouverture est la meilleure des protections pour qu'il reste ouvert. Ainsi que le fait d'être distribué. Donc, je pense que nous devons avoir des discussions sur les principes, comme je l'ai dit, ou dans... dans... Cela ne se terminera pas dans une loi ou constitution quelconque car je ne pense pas que ça le devrait.

Cependant, je pense que nous avons besoin de discuter : nous avons besoin de principes communs auxquels se référer lorsque ceux-ci sont transgressés, quand nous voyons Verizon, et Google. Oui, je vais parler de Google, dont je suis assurément un fan. Je suis très déçu de voir Google signer un acte avilissant avec Verizon pour découper l'internet en internet et en "Schminternet" : quand vous êtes d'un côté, ça marche comme ça et, lorsque vous êtes de l'autre côté, cela fonctionne autrement, alors qu'internet est un ensemble cohérent. Alors, quels sont ces principes? Sur mon blog, j'écrivais un billet qui a conduit à ma question au Président Sarkozy hier, sur mes suggestions que lui et d'autres prêtent serment, et je suis si honoré d'avoir été cité par le Professeur Lessig dans une de ses présentations Power Point, heu, pardon, Keynote - on ne va pas se fâcher là-dessus - mais je... Il y a beaucoup d'efforts louables pour construire la Déclaration des Droits de l'Internet, et j'ai lancé mes humbles suggestions, et elles n'étaient certainement pas fausses. Mais je pense que parmi ces droits, il y a le droit de communiquer et, lorsque quelqu'un vous prive de ce droit, c'est une violation des Droits de l'Homme. Donc, quand l'Égypte coupe l'accès à internet, c'est une violation des Droits de l'Homme.

Ce droit à la connexion est un préalable au droit à la liberté d'expression. Et ce qui suit ce droit à la liberté d'expression, c'est le droit d'agir et de se rassembler. C'est dans la constitution française que la notion de "droit de se rassembler" a été inventée. Je pense que nous avons besoin d'une notion permettant de dire que les informations sur nos institutions et sur notre gouvernement doivent être ouvertes par défaut, et fermées uniquement en cas de nécessité.

C'est le contraire qui a lieu aujourd'hui. Je pense que nous avons besoin d'avoir une compréhension de ce que signifie être "privé" et être "public". J'ai écrit un livre là-dessus - je ne vais pas vous ennuyer avec ça - je pense que nous devons répondre à la notion de "neutralité du net" en disant que tous les bits sont libres et égaux.

Et que quand quelqu'un restreint un bit, quel qu'en soit la raison, que ce soit Telco qui restreint la manière dont vous regardez un film, que ce soit la Chine qui restreint ce que vous pouvez chercher sur le Falun Gong, ou que ce soit l'Égypte qui coupe l'internet, quelque soit la partie du flux d'internet qui est restreinte, c'est internet tout entier qui est restreint. Et donc, nous devons amener toute la structure d'internet à être ouverte et distribuée parce que c'est sa seule protection. Mais je dirais que, euh, je dirais que... Ils vous ont convoqués, vous êtes venus aujourd'hui. C'est très important, et ça devrait continuer et nous avons besoin de parler de tous ces problèmes autour de la table d'internet, et pas autour de cette table ici, du moins pas seulement autour de cette table.

Jérémie Zimmermann

18:15

Avant d'en venir aux questions, j'ai moi-même quelques commentaires à faire sur l'ensemble de cet "eG8". Merci d'avoir remis les choses à plat. Je pense qu'au-delà du droit à la connexion, il existe des droits fondamentaux qui ont cours sur internet. Peut-être n'y a-t-il pas besoin de définir de nouvelles libertés, dans la mesure où ce sont les libertés existantes qui sont attaquées aujourd'hui.

Alors, ce forum "eG8", au-delà du "blanchissement" politique local de Nicolas Sarkozy, après qu'il ait, pendant 4 ans, soutenu la déconnexion des citoyens français, avec la loi HADOPI, la censure des contenus du web avec la LOPPSI, et soutenu sa notion d'un "internet civilisé", il soutient maintenant l'organisation de cet événement. Au-delà donc de ce "blanchissement" politique local, ce forum "eG8" est pour moi un écran de fumée cachant ce que les gouvernements sont vraiment en train de faire en direction d'internet.

Au cours de ces douze derniers mois, nous avons été témoins d'un accroissement des mesures répressives attaquant internet, attaquant nos libertés fondamentales. Je pense à la réaction du gouvernement américain concernant Wikileaks, la saisie du gouvernement américain sur les noms de domaines, la loi PROTECT-IP du COICA, la conclusion de l'ACTA (Anti Counterfeiting Trade Agreement) qui va transformer les acteurs d'internet en polices privées du copyright, le black-out d'internet en Égypte bien sûr, la censure administrative des sites web en France, et tous les pays d'Europe. Partout où vous regardez, le gouvernement essaie de prendre le contrôle d'internet. Et ce qui nous est vendu ici est le tapis rouge pour ces Orange, Vivendi, Alcatel-Lucent et autres.

Mais si vous regardez de plus près, ces entreprises basent de plus en plus leurs business model sur les restrictions des libertés fondamentales. Orange, en vendant son prétendu accès internet mobile non-neutre, Vivendi en poussant vers une vision plus sévère du copyright, une vision 19ème siècle qui essaie d'interdire les copies à tout prix, même si cela implique d'interdire la liberté de lire, de partager et d'accéder à la culture ; Alcatel-Lucent et Huawei fabriquent les appareils qui sont utilisés par des régimes autoritaires à des fins de censure d'internet, et par les opérateurs télécom qui font du tort à notre liberté de communiquer en s'en prenant à la neutralité du net. Donc nous, les citoyens, nous attendons des gouvernements qu'ils nous protègent de ces entreprises, qu'ils réglementent les comportements, qu'ils soient anti-concurrentiels ou contre nos libertés individuelles de la part des entreprises. Mais à la place de cela, ce que nous voyons ici ne sont que des paillettes et un tapis rouge.

Maintenant, si vous avez des questions.

Je vois que Jean-François doit partir, mais peut-être que si tu as un peu de retard, ça ira quand même ? Cinq minutes environ ? Je veux dire, ils sont français, ils seront de toute façon en retard.

Jean-François Julliard

21:06

Oui, bien sûr, mais il y aura un autre auditoire, pour dire la même chose, donc je vais saisir cette opportunité pour soulever ce problème d'une manière plus officielle.

Jérémie Zimmermann

21:16

Tu as peut-être trois ou quatre minutes, si quelqu'un a des questions pour Jean-François, peut-être d'abord les questions qui lui sont directement adressées ? Ou des questions plus générales ?

Jean-François Julliard

21:25

Ok, pas de question donc j'y vais. Merci.

Jérémie Zimmermann

21:28

Des questions d'ordre général ? Une ici, une ici et une ici. Oui, s'il vous plaît, vous voulez parler dans un micro ? Si vous voulez bien venir ici.

Eric Scherer

21:37

Oui, une question rapide. Je suis Éric Scherer de France Télévision. Comment conciliez-vous ce que vous dites à propos d'internet, de la liberté, etc., et du besoin d'éduquer les gouvernements, les parlementaires et le reste de la société ? Il y a un grand besoin de vulgarisation pour les gouvernements et les parlementaires. Ils sont totalement analphabètes à ce sujet.

Jérémie Zimmermann

22:08

Puis-je prendre celle-ci ? Bon, c'est ce que nous essayons de faire avec "La Quatrature du Net" depuis plus de trois ans maintenant. Et nous créons, grâce à un internet ouvert, une boîte à outils pour les citoyens, d'abord pour comprendre de quoi il en retourne et ensuite pour participer au débat public. Donc nous, La Quadrature du Net, ne sommes rien d'autre que la somme de nos supporters portant ces problèmes et les poussant au parlement, aux élus et à tous les juristes de la société civile. Je pense que nous avons tous les outils, ici sur cette table pour le faire, la question est maintenant de s'en servir. Larry ?

Lawrence Lessig

22:49

Oui, je pense que le net a été assez bon pour s'éduquer tout seul sur les valeurs intrinsèques de ce réseau. Je ne peux pas parler pour la France et l'Europe mais, je pense qu'aux États-Unis, nous voyons dans la société civile des communautés qui s'engagent pour essayer de populariser et défendre ce qu'internet est. Le problème que je peux voir poindre aux États-Unis est, et encore je ne parle que pour les États-Unis : nos gouvernements sont si corrompus par la dynamique dont je suis en train de parler, qu'il y a un grand fossé entre, d'un côté ce que les éducateurs, les parents, les étudiants qui comprennent ce que la future politique doit être et de l'autre côté, ce que le gouvernement écoute actuellement. J'ai donc basculé un bon bout de mon travail pour essayer de traiter ce fait de la corruptions aux États-Unis, parce que nous n'avancerons pas tant que nous n'aurons pas résolu ce problème. Mais je pense que nous avons vu de grands progrès à ce propos dans la dernière décennie, et je suis encouragé par cela, au moins dans le fait de ce que le grand public pense.

Jérémie Zimmermann

23:51

D'accord. Il y avait une question quelque part .. derrière, là ? Ok, Jean-Jacques ? Veux-tu venir au micro ou crier ?

Jean-Jacques

24:00

Je peux crier, si vous pouvez m'entendre. Jean-Jacques, je travaille pour l'European Internet Company et je suis aussi membre du conseil de l'Internet Society, ISOC. Plutôt qu'une question, juste pour faire une remarque, ces idées ne sont pas uniquement partagées par la société civile mais aussi par des entreprises, et en réalité, par la plupart des entreprises d'internet présentes ici. Juste hier, l'ISOC a sorti un communiqué de presse qui appelait lui aussi toutes les parties prenantes à s'inclure dans la discussion à propos d'internet et de comment légiférer internet. Sans la présence de toutes les parties prenantes, la discussion n'a pas lieu d'être ; et ils ont aussi appelé les gouvernements à soutenir et protéger la nature ouverte et décentralisée d'internet.

C'est fondamental pour nous tous dans cet écosystème. Cela doit arriver. Cela ne concerne pas uniquement la société civile. Il s'agit de réunir autour d'une même table, afin de discuter des problèmes, à la fois les utilisateurs, la société civile, les communautés techniques et les entreprises ainsi que les gouvernements.

Yochai Benkler

24:57

Merci. Je veux reprendre ça et mettre l'accent dessus.

Nous avons une longue tradition de pensée qui oppose l'efficacité à la justice et à la société, et qui prétend que, dans un sens, nous devons négocier entre deux objectifs concurrents qui aident la société : la croissance et le bien-être, la justice et la redistribution.

Mais en fait, ce qui s'est passé avec internet, c'est que la croissance et l'innovation sont exactement ce dont ont besoin la démocratie et la justice. Les deux ont besoin de moyens de production largement distribués parmi la population, afin que chacun puisse parler, que chacun puisse créer, que chacun puisse créer sa propre innovation, que chacun puisse créer sa propre affaire.

Cette ancienne et traditionnelle division est une division héritée de l'économie industrielle. Nous avons été capables de dépasser cette division, et aujourd'hui, les choses se jouent entre d'un côté les modèles économiques du 20ème siècle, et du côté opposé, à la fois l'innovation, la croissance, la société civile, la démocratie et la justice. Dans cette bataille entre, d'un côté l'innovation, la croissance, la démocratie et la justice, et de l'autre la préservation des flux de bénéfices des industries en place, ce n'est pas un choix fermé.

Jérémie Zimmermann

26:18

Il y avait une question ici ?

Quelqu'un dans l'auditoire

26:20

Oui, je pense que cette question s'adresse plutôt au Professeur Lessig. Très simplement, pourquoi est-ce si difficile ? Vous savez, la voiture est arrivée, nous avons les PV de parking, vous pouvez perdre votre permis de conduire, il y a des inculpations pour homicides. Il y a un large éventail de sanctions pour tous ces genres de délits. La Loi sur le Copyright, comme vous l'avez justement souligné pendant le débat d'hier, était exactement la même [bruit de 3 sec] qu'en 1998 - 1999. Donc, internet n'est pas nouveau, le droit d'auteur n'est pas nouveau, et je sais qu'il y a évidemment différentes régulations, choses légales autour de ça. Mais pourquoi n'avons-nous apparemment fait aucun progrès dans l'élaboration d'un cadre très basique dans lequel il y a des sanctions qui correspondent à toutes les nuances de délits ?

Lawrence Lessig

27:06

Je pense que c'est en fait différent selon le pays. Je suis frappé par le débat sur le droit d'auteur en France. J'étais à une conférence à Avignon il y a deux ans et j'ai eu l'impression d'être retourné en 1995. Car, comme si aucune discussion n'avait eu lieu sur ces problèmes, c'était exactement le même dispositif qu'ils combattaient de nouveau. Mais d'autres pays en Europe sont différents, je pense à l'Allemagne par exemple où le parti écologique a promu ce qu'ils appellent un "taux culturel plat"(ndt : forfaitaire ?) qui serait une manière alternative de lever des fonds pour les artistes, cela décriminaliserait un grand nombre des activités pour lesquelles, en France, les gens seraient éjectés d'internet.

Et ce point a été évoqué, j'insiste, il y a quelque chose de vraiment outrageant, ce point a été abordé, dans mon groupe de discussion, par les entrepreneurs français. Il y a quelque chose de vraiment outrageant dans l'idée de la sanction qui a été votée en France et qui consiste à vous déconnecter d'internet. Seulement, quelqu'un qui a 70 ans penserait - les gens ne vont pas sur internet à 70 ans - penserait que c'est une mesure appropriée.

L'idée d'être déconnecté de la plus importante infrastructure sociale, commerciale et politique est outrageante, et pourtant elle est encore discutée ici.

Et dans d'autres pays, les pays nordiques et l'Allemagne, le débat est plus ouvert. Aux États-Unis, encore une fois, je pense que le débat est caché par ce dispositif politique où à la fois les Démocrates et les Républicains sont si intimement liés à l'industrie du contenu qu'ils ne peuvent même pas avoir un débat ouvert sur ce problème entre politiciens. Ce n'est alors même pas un problème politique.

Et je pense que nous devons profiter des opportunités là où c'est un vrai problème politique. Ainsi, le Brésil a été extrêmement important en amenant les gens à reconnaître en quoi il y a là une opportunité intéressante de développement. Et nous devons pousser ces endroits (??) à réagir face au problème. Mais finalement, ce qui a été le plus surprenant pour moi, c'est WIPO. J'étais à WIPO il y a 6 ans, quand je marchais dans le bâtiment, j'étais le diable, le directeur général ne voulait pas me parler et personne ne m'adressait la parole. J'étais au même endroit il y a 6 mois et le directeur général est extraordinairement innovateur dans sa manière de penser à la manière dont le droit d'auteur doit évoluer. Et il pense exactement aux genres de cadres mentaux qui permettraient d'envisager à quoi devrait ressembler un futur régime, et je suis allé m'adresser aux représentants. Ils étaient encourageants et réfléchissaient à ces problèmes. C'était devenu un lieu complètement différent.

Et je pense que nous devons profiter de cela pour d'une certaine manière montrer aux États comme les États-Unis et la France que 1995, c'est tellement 20ème siècle...

Jérémie Zimmermann

29:50

Si je peux ajouter quelque chose là-dessus ? Bien qu'il soit très difficile d'ajouter quelque chose à ce que dit le Professeur Lessig. Ces entreprises, dont les modèles économiques du 20ème siècle étaient basées sur le contrôle des circuits de distribution des copies, ont toujours l'espoir d'atteindre le même objectif avec internet. C'est toujours possible avec les fusions en cours entre ces groupes de médias et les telcos, avec la très forte influence qu'ils ont sur les responsables politiques.

Il est toujours possible de transformer internet, l'internet universel que nous aimons et partageons, en un circuit de distribution globalisé pour Vivendi, Fox et compagnie. Donc nous sommes vraiment à un tournant ici : pourquoi continuent-ils comme si nous étions encore en 1999 ? C'est parce qu'ils ont probablement encore une chance, et peut-être ont-ils même une chance encore plus grande que celles qu'ils avaient en 1999 de réaliser cet objectif. Je suis sûr qu'il y a des tonnes d'autres questions.

Andrew Rasiej

30:50

Andrew Rasiej, the Personal Democracy Forum. Je veux juste faire une remarque, que vous pourrez bien sûr commenter, qui est que l'argument, que vont maintenant avancer les officiels du gouvernement et les grands monopoles, c'est que la fracture numérique a été comblée puisque le haut débit est disponible dans de nombreux endroits où il n'était pas disponible avant. Mais il ne se rende pas compte du fait qu'il y a une nouvelle fracture numérique puisque la plupart des gens des classes populaires ne peuvent pas s'offrir le haut débit disponible. Et donc nous avons besoin d'une refonte du terme "fracture numérique", spécifiquement autour de cette idée qui est que le coût est allé au-delà du point permettant à la majorité des gens de pouvoir participer à l'économie du 21ème siècle.

Nous devons veiller à ce qu'ils ne s'opposent pas aux remarques que vous faites aujourd'hui, en disant que nous avons comblé la fracture numérique et donc en occultant ce qui se passe réellement.

Susan Crawford

31:39

Oui, juste pour ajouter quelque chose à ça. Pour dire les choses très simplement, nous sommes à un moment où les gouvernements peuvent donner la main à l'industrie des contenus et aux telcos pour mettre en place la rareté, le contrôle des contenus, et beaucoup des objectifs auxquels ils tiennent. Dans un sens, cela revient à nourrir un modèle économique des gouvernements et d'Hollywood visant à contraindre l'accès internet, pour qu'il ressemble plus à un média de diffusion du 20ème siècle. Et nos vieux politiciens ne voient l'internet que comme un écran à sens unique. Le reste du monde a bien compris que le monde en a été entièrement bouleversé : n'importe qui peut devenir éditeur, n'importe qui peut accéder à cette plate-forme pour la démocratie, pour la parole, pour une création de contenu, pour l'épanouissement de l'humanité. Ce dont nous sommes les témoins aujourd'hui c'est que ces industries dominantes se donnent la main - et les gouvernements en font partie - pour essayer de conserver les choses comme elles sont. Et beaucoup de voix qui comptent sont laissées de coté dans la conversation. Donc, une des attentes de cette réunion aujourd'hui avec vous tous est d'être sûrs que personne ne reparte avec l'impression qu'il y a un réel consensus ici. Il n'y a pas de consensus pour promouvoir la rareté, des prix chers ou des accès contraint pour les citoyens du monde. Le prochain Google pourrait venir de France, devrait venir de France mais si l'accès internet est bridé et contrôlé, il n'en viendra pas.

Yochai Benkler

33:09

Je pense que ceci nous donne l'opportunité de discuter sur ce que nous, qui venons des États-Unis, pouvons très bien apprendre de la France et que la France peut apprendre d'elle-même et de sa propre expérience. Dans une étude que j'ai faite pour la FCC l'an dernier, il était clair que la couverture de l'accès haut débit, le prix de l'accès au haut débit, la vitesse de l'accès par rapport à ses performances des années 2000-2001, a décliné de 2002 à 2009 en comparaison avec les pays européens. En faisant une étude de cas précise sur la moitié des pays de l'OCDE, ce qui est devenu très clair, c'était que sur toutes ces questions de couverture, de vitesse et de prix, l'intervention cruciale que les gouvernements Européens ont entrepris, et en particulier dans ce cas-ci, avec beaucoup de réussite, le gouvernement français, qui a en France quelques-uns des plus bas prix pour les meilleures performances dans l'OCDE, grâce à ça, a été de forcer les partisans des monopoles à introduire de la concurrence.

Et ce que nous avons à en apprendre c'est ce principe simple, je veux dire comprendre de quoi il s'agit, qu'il y a une plate-forme commune qui ne peut être contournée. Une chose que les gouvernements peuvent faire, c'est de s'assurer que cette concurrence ait lieu, afin d'atteindre ce but de n'avoir exclu personne pour des raisons financières, alors qu'il y a en théorie une connexion. C'est absolument crucial de réaliser cela aux États-Unis afin d'ouvrir l'accès aux couches physiques du haut débit, et c'est aussi crucial de faire ça pour ouvrir encore plus l'accès quand on parle des réseaux sans-fil mobiles, et nous devons aller dans chaque pays et apprendre ce qu'il a fait de bien dans ses processus qui ont marché, et traduire cela à la fois dans les autres pays et dans les autres problèmes de régulation.

Jérémie Zimmermann

35:13

Si vous cherchez d'autres fractures numériques, il y en a une à laquelle je pense. N'y aurait-il pas une fracture numérique entre les gens qui sont connectés à un accès internet universel, sans restrictions, et les gens qui sont connectés à une sorte de réseau restreint, bloqué, étranglé, priorisé, qui n'est pas relié à internet ? Et si nous regardons cette fracture, peut-être y a-t-il déjà plus de gens, si on prend en compte la Chine et les utilisateurs de l'internet mobile, il se peut qu'il y ait plus de gens du mauvais côté de cette fracture que ceux que l'on compte aujourd'hui. Je suis sur qu'il y a plein d'autres questions. Oui ?

Alex Howard

36:00

Alex Howard, O'Reilly Media. Dans quelle mesure les citoyens peuvent-ils faire la différence ? Nous avons tous entendu ce communiqué qui a fuité. Que peuvent et doivent mettre en œuvre la société civile et les citoyens de base, afin de faire la différence face aux gouvernements qui se réunissent demain ?

Jérémie Zimmermann

36:18

Quant à demain, nous avons mis en place -- c'est plus une joyeuse protestation que quelque chose qui pourrait avoir un effet -- nous avons lancé un site web appelé g8internet.com sur lequel nous avons publié un manifeste appelant les citoyens à réagir par la résistance créatrice. Des dizaines de contributions ont été envoyées, des vidéos ou des images humoristiques, des trolls, etc. Au-delà de ça, je pense que c'est l'usage de la liberté d'expression et de communication que nous avons entre les mains et d'une manière sans précédent utilisons le pour rendre les gouvernements responsables, pour rendre nos représentants élus responsables. Et c'est un point essentiel, dans le sens ou nous menons campagne à la Quadrature du Net, d'essayer d'augmenter le coût politique d'une mauvaise prise de décision pour les responsables politiques. C'est ce que nous pouvons faire avec notre liberté d'expression.

Lawrence Lessig

37:24

Je veux juste rajouter à cela et développer un point que Susan a dit. Je pense que la chose la plus forte que nous pouvons faire est de nier ce qui s'élabore à cette conférence, comme : "Tout le monde est d'accord ici sur ce que le futur d'internet a besoin". Et nous nions en soulignant d'abord que "l'internet n'était pas là" : une couche de l'internet était là, les sociétés qui peuvent débourser des centaines de milliers d'euros en sponsoring et autres. Elles étaient là, c'est bien, mais une autre part importante de l'internet n'était pas là, et en particulier les sociétés innovantes qui dans cinq ans, penserons à cet équivalent de Twitter, elles ne sont pas là et donc "tout le monde n'est pas ici". C'est un premier point. Ensuite, 2ème point, "nous ne sommes pas tous d'accord sur les principes de base de ce que nous devons faire pour avancer". J'encourage donc le G8 à penser à comment ouvrir cettte discussion sur ce à quoi internet doit ressembler. Je pense que la décision de Sarkozy de cette année d'essayer de le faire était une bonne décision. Mais la question est : "Comment pouvez-vous faire en sorte que ce soit vraiment internet dont nous parlions et de l'inclure suffisamment dans la discussion pour que cette dernière puisse faire sens ?"

Jérémie Zimmermann

38:26

Larry, si je peux, tu viens juste de dire que c'était une bonne idée que Sarkozy lance cette idée de dicussion entre les gouvernements. Ne vois-tu pas cela aussi comme une sorte de prise en main de la gouvernance d'internet par les gouvernements, dans une certaine mesure ?

Lawrence Lessig

38:52

Bien, si c'est ce que cette idée implique, je pense, comme Jeff l'a montré, que l'idée que l'on doive prendre le contrôle d'internet, dans un sens, oui, je ne pense pas que ce soit une bonne idée. Mais je pense qu'il est nécessaire que nous trouvions comment préserver cette écologie d'internet. Par exemple, que faisons nous pour nous assurer de sa survie ? Et nous avons besoin que cette conversation implique d'avantage de gens qui disent : "Ne touchez pas à cette partie ; intervenez ici, comme vient de le dire Yochaï, pour garantir la concurrence sur l'accès à la couche physique". C'est une conversation qui est compliquée, et c'est important qu'elle ait lieu. Et je pense que nous devons l'avoir, et je pense, là, que nous aurions dû faciliter cela d'avantage de notre propre initiative. Nous n'avons peut-être pas les ressources que la France a pour lancer cette conversation, mais si nous les avions, je serais certainement heureux d'avoir cette conversation.

Susan Crawford

39:43

Oui, il y a un choix entre : les gouvernements parlant seuls de tout ça, ce qui est le cas au eG8, et une approche avec de multiples parties-prenantes, qui impliquerait la société civile, tous les usagers d'internet, et l'idée qu'internet est pour tout le monde, et pas seulement pour les grandes entreprises.

Jeff Jarvis

40:05

Mais je... je suis toujours effrayé. Et je veux que vous m'aidiez. Je pense que c'est la bonne question : "Qu'est ce que l'on fait, bordel ?" Non ? On peut parler là, on peut changer la manière d'aborder les choses. Mais les gouvernements ont la force des lois et les entreprises celle du bouton d'arrêt. Et donc, je ne suis pas sûr de ce que nous, les citoyens du net, faisons vraiment. C'est quoi cette force que nous sommes ?...Il parait que je suis professeur de journalisme, donc ce serait à moi de citer Habermas, merde ?! (ndt : ironie) Mais le contrepoids au poids du gouvernement, qu'il est allé chercher dans les salons et les cafés mondains - dont je pense qu'il est discutable - que nous sommes maintenant, comme un contrepoids face au gouvernement et un contrepoids parce que Sarkozy a dit hier que le gouvernement était le seul porte-parole valable pour le peuple d'une nation. Qu'à Dieu ne plaise ! Allez dire ça aux (incompréhensible 1s) en Égypte. Internet est devenu un moyen, pour les vraies voix d'Égypte, de parvenir à l'extérieur. Et donc je dois vraiment dire que je ne sais pas quoi faire, y-a-t-il autre chose que nous devions mettre en avant ?

Larwence Lessig

41:19

Là, il y a un point important : vous savez, vous pouvez romancer internet, et j'ai passé de nombreuses et nombreuses années à faire la pom-pom girl, mais le fait est que ce que fait internet, ce que les gens sur internet font, est plus efficace dans certains endroits que dans d'autres.

Alors, je ne sais pas si vous avez vu quand les bonus des grandes banques ont été récemment annoncés et Goldman Sachs -- des énormes bonus banquiers. Aux États-Unis il y avait une certaine frustration à ce sujet. Aux Pays-Bas, il y a eu une campagne d'opposition sur Twitter, qui a conduit à ce que les gouvernements empêchent les banquiers, aux Pays Bas, de toucher leurs bonus. Une sorte d'efficacité inimaginable d'internet sur les politiques gouvernementales, en s'engageant pour amener un gouvernement à écouter. Et vous savez, comparez cela aux Etats-Unis, où nous venons de perdre une bataille en Caroline du Nord, où après que les compagnies de télécommunication aient réussi à amener le gouvernement fédéral à dire : "Pas de régulation des compagnies de télécoms, aucune de vos garanties de cet accès libre pour lequel Yochaï vient de plaider, et même aucune protection légale efficace de la neutralité des réseaux".

Ils sont ensuite allés voir les états, parce que dans les états, vous avez des communautés locales qui construisent leurs propres réseaux haut-débit, plus rapide, moins cher que ce que fournissent les monopoles de télécommunication. Et les monopoles de télécommunication n'ont pas aimé ça, alors ce qu'ils ont fait, c'est qu'ils ont amené les états à faire passer des lois excluant ces franchises de télécommunication locales. Donc ici, ils ne voulaient aucune régulation du gouvernement fédéral, mais ils voulaient que la régulation de l'état bloque une concurrence locale... Alors nous essayons de monter une campagne autour de ça, et bien que nous ayons eu des milliers de gens qui ont appelé la gouverneur, la gouverneur ne pense pas qu'elle doive prêter une quelconque attention à la communauté internet. Donc, la différence ici ce n'est pas tellement internet : internet reste le même. La différence, c'est la culture politique qui considère qu'elle doit y prêter attention.

Et le seul moyen de forcer une culture politique à faire attention à vous, c'est de les punir quand ils ne le font pas. Alors en France, cette loi des trois avertissements (ndt : Loi Hadopi) devrait être la source d'une formidable organisation politique, pour punir le gouvernement français et évidemment...

Jérémie Zimmermann

43:26

C'est le cas, c'est le cas...

Lawrence Lessig

43:27

C'est le cas bien sûr. Ça l'est ! ... Mais le fait est que quand ça se met en place et qu'il y a un message quand vous passez d'un rendement de 5% à un rendement de 20%, alors vous allez voir les gens reconnaître qu'internet est une force. Mais nous devons faire ça partout, ce n'est pas quelque chose que nous devons considérer comme acquis : c'est vraiment quelque chose. C'est une culture qui doit être construite.

= Jeff Jarvis

43:45

Donc, ce que je comprends dans ce que vous dites, si j'essaye de simplifier à l'extrême : nous ne protégeons pas internet, nous protégeons la parole, pour le moment.

Susan Crawford

43:53

Bien, pour simplifier encore d'avantage, quand les postes et les fonctions dépendront de la compréhension de ce qu'est internet et de la conservation d'un internet ouvert, alors nous aurons le résultat dont nous avons besoin. Si nous pouvions voter pour ou contre les gens en fonction de leur attitude envers internet, alors nous irions quelque part. Les gouvernements n'écoutent que les gens qui les élisent et les entreprises qui financent leurs campagnes. Bien. Bon, Larry s'en prend aux entreprises, qui financent leurs campagnes. Nous, le peuple d'internet, devons nous attaquer à leur élection. C'est devenu, comme ça l'est devenu en Australie et au Canada, un enjeu des politiques électorales.

Jérémie Zimmermann

44:32

Peut-être que l'on peut... En fait, là, on répond tous avec nos propres mots à la grande question de Jeff. Peut être qu'elle servira de conclusion, je ne sais pas, peut-être qu'il y aura encore d'autres questions, mais... Il y en aura, il y a encore une question... De mon point de vue nous devons continuer ce que nous sommes en train de faire, le faire plus et être plus nombreux à le faire. J'ai quelques exemples de nos propres campagnes où l'on a vraiment fait la différence, que ce soit avec l'amendement 138 au parlement européen, qui a fait trembler tout le monde de peur autour du "problème de la liberté d'internet", nous avons fait bouger les lignes sur l'accord ACTA, nous avons directement changé certains de ses contenus, et quand nous avons fait fuité cette lettre de Nicolas Sarkozy à Bernard Kouchner, qui était à l'époque ministre des affaires étrangères et qui était sur le point d'organiser une conférence sur la liberté d'expression sur internet, et dans laquelle Sarkozy lui disait : "Dans la balance de la liberté d'expression sur internet, tu mettras l'HADOPI et l'internet civilisé". Simplement en faisant fuiter cette lettre et en organisant cette fuite avec nos amis hollandais de Bits of Freedom nous avons fait annuler toute la conférence. Donc nous avons déjà des exemples dans lesquels les pressions de la société civile ont permis d'obtenir des résultats.

Je pense que c'est la manière dont nous utilisons notre liberté d'expression. Je pense que c'est la manière dont nous l'utilisons collectivement qui nous rend citoyen, qui nous pousse à accomplir notre devoir de citoyen et à participer à la politique au sens noble et antique du terme, tels des citoyens portant la vie de la Cité (n.d. en français dans le texte). Et c'est exactement ce qu'il faut qu'on fasse entre deux élections. Et c'est comme cela que l'on gagnera si vous êtes prêt à donner de votre temps. [Bien dit] J'aimerais d'abord écouter la réponse de Yochai à la question de Jeff si vous me le permettez.

Yochai Benkler

46:30

Je ne veux pas prendre plus de temps. Simplement, les histoires que vous avez entendues disent à la fois que nous savons comment faire, et que c'est très difficile. Il y a des histoires heureuses, et il y a des histoires malheureuses. Mais des formes d'organisations civiles, qui furent extrêmement difficiles et qui n'ont eu lieu que dans des grands moments de crises, quand le peuple est sorti dans les rues, sont maintenant plus facilement réalisables, à des niveaux d'activation moins élevés. Qu'il s'agisse des développeurs de logiciels libres qui s'organisent contre les brevets sur les logiciels au niveau européen, qu'il s'agisse de l'histoire dont vous venez de parler à propos de la conférence sur la liberté d'expression, le niveau d'activation nécessaire, dans la mesure ou l'effort nécessaire pour participer est moins élevé, nous permet une participation plus directe, mais les enjeux en face sont très élevés.

Si vous regardez les débats sur la neutralité du net aux États-Unis, c'est exactement ce que nous avons fait, nous l'avons mis. "Hé toi, mets ça à l'ordre du jour". C'est vraiment devenu un élément de l'agenda, la seule chose -