Directive Terrorisme : Différence entre versions

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(Rapport Hohlmeier et amendements)
(Censure et blocage de sites)
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L'amendement 6 modifiant le considérant 7 et l'amendement 40 introduisant un article 14 bis portent sur les « mesures contre les sites web incitant publiquement à commettre une infraction terroriste », pour '''retirer le contenu''' ou '''bloquer''' « les pages web incitant publiquement à commettre des infractions terroristes » [Amendement 6]. Or ces amendements laissent totalement libres les États membres de mettre en place toutes les mesures qu'ils jugeront efficaces, si ce n'est que les procédures devront être « transparentes et fournir des garanties suffisantes, en particulier pour veiller à ce que les restrictions soient limitées à ce qui est nécessaire et proportionnées » [Amendements 6 et 40].  
 
L'amendement 6 modifiant le considérant 7 et l'amendement 40 introduisant un article 14 bis portent sur les « mesures contre les sites web incitant publiquement à commettre une infraction terroriste », pour '''retirer le contenu''' ou '''bloquer''' « les pages web incitant publiquement à commettre des infractions terroristes » [Amendement 6]. Or ces amendements laissent totalement libres les États membres de mettre en place toutes les mesures qu'ils jugeront efficaces, si ce n'est que les procédures devront être « transparentes et fournir des garanties suffisantes, en particulier pour veiller à ce que les restrictions soient limitées à ce qui est nécessaire et proportionnées » [Amendements 6 et 40].  
  
Les garanties que semblent vouloir apporter Monika Hohlmeier ne permettent cependant pas d'interdire une extra-judiciarisation de la répression des contenus en ligne. Ces dispositions poussées par la rapporteure allemande semblent tailler pour la France qui obtiendrait ainsi la validation par l'Union européenne des mesures de censure qu'elle a mises en place. Il serait notamment possible :
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Les garanties que semblent vouloir apporter Monika Hohlmeier ne permettent cependant pas d'interdire une extra-judiciarisation de la répression des contenus en ligne. Ces dispositions poussées par la rapporteure allemande semblent taillées pour la France qui obtiendrait ainsi la validation par l'Union européenne des mesures de censure qu'elle a mises en place et notamment :
* d'une part d'imposer aux services en ligne, tels que les réseaux sociaux et autres hébergeurs, une obligation de surveillance des communications de leurs utilisateurs en vue de censurer ces contenus ;
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* d'une part la possibilité d'imposer aux services en ligne, tels que les réseaux sociaux et autres hébergeurs, une obligation de surveillance des communications de leurs utilisateurs en vue de censurer ces contenus ;
* d'autre part, de permettre aux gouvernements d'exiger des fournisseurs d'accès Internet le blocage des sites diffusant de tels contenus.
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* d'autre part, la possibilité pour les gouvernements d'exiger des fournisseurs d'accès Internet le blocage des sites diffusant de tels contenus.
  
Cette mesure permettrait, à l'instar de la France, d'étendre la censure privée et banaliser la censure administrative, afin de contourner le passage devant un juge, en arguant de la nécessité d'éviter la supposée lenteur des procédures judiciaires.
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Cette mesure permettrait, à l'instar de la France, d'étendre la censure privée et banaliser la censure administrative, en contournant le contrôle judiciaire au prétexte d'éviter la supposée lenteur des procédures judiciaires. Or, compte tenu de la difficulté de juger de ce qui relève ou non de la glorification ou de l'apologie du terrorisme, la délégation des fonctions judiciaires à des acteurs privés ou administratifs va à l'encontre de la protection des droits fondamentaux.
  
Or, compte tenu de la difficulté de juger de ce qui relève ou non de la glorification ou de l'apologie du terrorisme, la délégation des fonctions judiciaires à des acteurs privés ou administratifs va à l'encontre de la protection des droits fondamentaux.
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Le blocage de sites Internet - proposé sans aucune étude d'impact - apparaît comme une mesure restreignant la liberté de communication de manière disproportionnée. Compte tenu du fait que le blocage de sites peut très facilement être contourné, ce type de mesures n'apporte pas de solution pérenne à la lutte contre la glorification et l'apologie du terrorisme. Plusieurs moyens techniques peuvent en effet être déployés pour rendre possible la distribution et la diffusion de ces sites, abstraction faite de l’impact plus au moins réel qu’ils ont sur la provocation aux actes terroristes. Une méthode bien connue consiste à mettre en place un tunnel chiffré, dit proxy, c'est-à-dire un logiciel qui s’interpose entre un client et un serveur permettant la communication entre deux ordinateurs hôtes, sans que la communication n’arrive jamais au serveur et puisse être repérée. Le caractère disproportionné du blocage de site tient en outre à l'inévitable risque de sur-blocage de contenus parfaitement licites.
  
Enfin, le blocage de sites Internet - proposé sans aucune étude d'impact - apparaît comme une mesure restreignant la liberté de communication de manière disproportionnée. Compte tenu du fait que le blocage de sites peut très facilement être contourné, ce type de mesures n'apporte pas de solution pérenne à la lutte contre la glorification et l'apologie du terrorisme. Plusieurs moyens techniques peuvent en effet être déployés pour rendre possible la distribution et la diffusion de ces sites, abstraction faite de l’impact plus au moins réel qu’ils ont sur la provocation aux actes terroristes. Une méthode bien connue consiste à mettre en place un tunnel chiffré, dit proxy, c'est-à-dire un logiciel qui s’interpose entre un client et un serveur permettant la communication entre deux ordinateurs hôtes, sans que la communication n’arrive jamais au serveur et puisse être repérée. Le caractère disproportionné du blocage de site tient en outre à l'inévitable risque de surblocage de contenus parfaitement licites.
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En outre, l'expérience française montre les limites de ce système. La personnalité qualifiée nommée par la CNIL pour contrôler les mesures de blocage a publié son [https://www.cnil.fr/fr/controle-du-blocage-administratif-des-sites-1er-rapport-de-la-personnalite-qualifiee premier rapport d'activité] en avril 2016. D'une part, l'article 6-1 de la LCEN prévoit que les hébergeurs et éditeurs doivent préalablement être notifiés de la demande de retrait de contenu, avec un délai de 24h pour retirer le contenu litigieux. Or la personnalité qualifiée indique clairement que cette mesure est contournée sans justification systématique au prétexte que « dans la pratique, les éditeurs et hébergeurs ne sont presque jamais identifiés ». Il s'agit donc d'une entorse à la loi qui porte atteinte aux droits des hébergeurs et éditeurs qui auraient pu être notifiés mais ne l'auraient pas été sans justification.
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D'autre part, la personnalité qualifiée insiste sur la plus grande difficulté à juger de l'illégalité de propos « faisant l'apologie d'actes de terrorisme ou provoquant à de tels actes »
  
 
Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, ces amendements apparaissent comme une remise en cause inacceptable de la liberté d'expression et d'information consacrée à l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Au minimum, il doit être amendé pour replacer le juge judiciaire au cœur du dispositif et barrer la route à la censure privée ou administrative.
 
Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, ces amendements apparaissent comme une remise en cause inacceptable de la liberté d'expression et d'information consacrée à l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Au minimum, il doit être amendé pour replacer le juge judiciaire au cœur du dispositif et barrer la route à la censure privée ou administrative.

Version du 13 mai 2016 à 14:12


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Introduction

La directive relative à la lutte contre le terrorisme a été proposée par la Commission européenne en réponse aux attentats qui ont eu lieu en Europe en 2014 et 2015 et notamment aux attentats de Paris du 13 novembre 2015. Cette directive a vocation à remplacer la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme. Cependant le projet de directive ne présente pas de grandes nouveautés hormis la pénalisation de voyages dans des théâtres d'opération terroristes et l'apologie du terrorisme.

Outre la définition des infractions terroristes, le projet comporte un certain nombre de mesures, et notamment les activités terroristes qui pourront être considérées comme des infractions pénales.

  • L'incitation au terrorisme et, « lorsqu’elle est commise de manière intentionnelle, la diffusion ou toute autre forme de mise à la disposition du public d’un message, avec l’intention d’inciter à la commission » d'actes terroristes (article 5). Or cette disposition s'avère extrêmement floue et le critère d'intention ne permet pas de protéger suffisamment toute personne qui, pour des raisons d'information ou de liberté, diffuserait des messages considérés comme incitant à la commission d'actes terroristes.
  • Les voyages à l'étranger à des fins de terrorisme, « lorsqu’il est commis de manière intentionnelle, le fait de se rendre dans un autre pays afin de commettre une infraction terroriste ». De nouveau, cette nouvelle infraction est extrêmement large et floue.

Ce projet de directive devra être voté en commission LIBE du Parlement européen le 30 mai 2016, et ensuite en séance plénière[1].

Rapport Hohlmeier

La rapporteure, Monika Hohlmeier (PPE[2], Allemagne) a présenté le 9 mars son rapport comportant de nombreux amendements, dont certains sont très clairement orientés vers la censure sur Internet.

Censure et blocage de sites

Monika Hohlmeier propose plusieurs amendements visant à augmenter la répression et la censure sur Internet, en se focalisant sur l'utilisation d'Internet par les « fanatiques du monde entier » [Amendement 3] et la difficulté de traçabilité de leurs activités sur Internet, justifiant ainsi la coopération des États membres dans la détection et la suppression des contenus illégaux dont ceux qui font « la glorification et l'apologie du terrorisme, ou la diffusion de messages ou d'images, y compris concernant les victimes du terrorisme, utilisés pour propager la cause terroriste » [Amendement 6].

L'amendement 6 modifiant le considérant 7 et l'amendement 40 introduisant un article 14 bis portent sur les « mesures contre les sites web incitant publiquement à commettre une infraction terroriste », pour retirer le contenu ou bloquer « les pages web incitant publiquement à commettre des infractions terroristes » [Amendement 6]. Or ces amendements laissent totalement libres les États membres de mettre en place toutes les mesures qu'ils jugeront efficaces, si ce n'est que les procédures devront être « transparentes et fournir des garanties suffisantes, en particulier pour veiller à ce que les restrictions soient limitées à ce qui est nécessaire et proportionnées » [Amendements 6 et 40].

Les garanties que semblent vouloir apporter Monika Hohlmeier ne permettent cependant pas d'interdire une extra-judiciarisation de la répression des contenus en ligne. Ces dispositions poussées par la rapporteure allemande semblent taillées pour la France qui obtiendrait ainsi la validation par l'Union européenne des mesures de censure qu'elle a mises en place et notamment :

  • d'une part la possibilité d'imposer aux services en ligne, tels que les réseaux sociaux et autres hébergeurs, une obligation de surveillance des communications de leurs utilisateurs en vue de censurer ces contenus ;
  • d'autre part, la possibilité pour les gouvernements d'exiger des fournisseurs d'accès Internet le blocage des sites diffusant de tels contenus.

Cette mesure permettrait, à l'instar de la France, d'étendre la censure privée et banaliser la censure administrative, en contournant le contrôle judiciaire au prétexte d'éviter la supposée lenteur des procédures judiciaires. Or, compte tenu de la difficulté de juger de ce qui relève ou non de la glorification ou de l'apologie du terrorisme, la délégation des fonctions judiciaires à des acteurs privés ou administratifs va à l'encontre de la protection des droits fondamentaux.

Le blocage de sites Internet - proposé sans aucune étude d'impact - apparaît comme une mesure restreignant la liberté de communication de manière disproportionnée. Compte tenu du fait que le blocage de sites peut très facilement être contourné, ce type de mesures n'apporte pas de solution pérenne à la lutte contre la glorification et l'apologie du terrorisme. Plusieurs moyens techniques peuvent en effet être déployés pour rendre possible la distribution et la diffusion de ces sites, abstraction faite de l’impact plus au moins réel qu’ils ont sur la provocation aux actes terroristes. Une méthode bien connue consiste à mettre en place un tunnel chiffré, dit proxy, c'est-à-dire un logiciel qui s’interpose entre un client et un serveur permettant la communication entre deux ordinateurs hôtes, sans que la communication n’arrive jamais au serveur et puisse être repérée. Le caractère disproportionné du blocage de site tient en outre à l'inévitable risque de sur-blocage de contenus parfaitement licites.

En outre, l'expérience française montre les limites de ce système. La personnalité qualifiée nommée par la CNIL pour contrôler les mesures de blocage a publié son premier rapport d'activité en avril 2016. D'une part, l'article 6-1 de la LCEN prévoit que les hébergeurs et éditeurs doivent préalablement être notifiés de la demande de retrait de contenu, avec un délai de 24h pour retirer le contenu litigieux. Or la personnalité qualifiée indique clairement que cette mesure est contournée sans justification systématique au prétexte que « dans la pratique, les éditeurs et hébergeurs ne sont presque jamais identifiés ». Il s'agit donc d'une entorse à la loi qui porte atteinte aux droits des hébergeurs et éditeurs qui auraient pu être notifiés mais ne l'auraient pas été sans justification. D'autre part, la personnalité qualifiée insiste sur la plus grande difficulté à juger de l'illégalité de propos « faisant l'apologie d'actes de terrorisme ou provoquant à de tels actes »

Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, ces amendements apparaissent comme une remise en cause inacceptable de la liberté d'expression et d'information consacrée à l'article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Au minimum, il doit être amendé pour replacer le juge judiciaire au cœur du dispositif et barrer la route à la censure privée ou administrative.

Recherche de preuves électroniques

Responsabilité pénale des entreprises

  1. Le vote en plénière pourrait avoir lieu au mois de juin 2016
  2. Parti Populaire européen qui regroupe notamment les députés « Les Républicains » français