ChristianPaul

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Sommaire

Mémoire politique : Christian Paul, député

Christian Paul

Informations générales

  • Né le 23 mars 1960 à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)
  • Circonscription d'élection : Nièvre (58), 3ème circonscription
    Cantons de Brinon-sur-Beuvron, Château-Chinon, Châtillon-en-Bazois, Clamecy, Corbigny, Decize, Dornes, Fours, Lormes, Luzy, Montsauche-les-Settons, Moulins-Engilbert, Saint-Saulge, Tannay
  • Groupe politique : Socialiste, radical, citoyen et divers gauche
  • Profession : Administrateur civil
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Contact
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  • Assemblée nationale 126 rue de l'Université, 75355 Paris 07 SP
    Tél. : 01 40 63 68 11 - Fax : 01 40 63 56 93
  • Permanence parlementaire 1 Rue des Teuraux, 58140 Lormes
    Tél. : 03 86 22 89 50 - Fax : 03 86 22 58 32


Fonctions à l'Assemblée nationale

  • Commission : Commission des affaires culturelles, familiales et sociales (Membre), Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi organique relatif à la nomination des présidents des sociétés de l'audiovisuel public et le projet de loi sur le service public de la télévision (Membre), Commission chargée des affaires européennes (Membre)
  • Délégation et Office : Membre de la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne
  • Groupe d'amitié : Autriche (Vice-Président), Côte d'Ivoire (Vice-Président), Russie (Vice-Président), Tchèque (République) (Vice-Président), Surinam (Secrétaire)
  • Groupe d'études : Voies navigables et transports multimodaux (Président), Internet, audiovisuel et société de l'information (Vice-Président), Cinéma et production audiovisuelle (Membre), Elevage (Membre), Musique (Membre), Parcs nationaux et régionaux (Membre), Professions de santé (Membre)

Mandats

  • Mandats et fonctions en cours à l'Assemblée nationale
    • Élections du 17/06/2007 - Mandat du 20/06/2007 (élections générales)
  • Anciens mandats et fonctions à l'Assemblée nationale
    • Élections du 01/06/1997 - Mandat du 01/06/1997 (élections générales) au 30/09/2000 (Nomination comme membre du Gouvernement)
    • Élections du 16/06/2002 - Mandat du 19/06/2002 (élections générales) au 19/06/2007 (Fin de législature)
  • Organismes extra-parlementaires
    • Membre titulaire de la commission nationale des comptes de la formation professionnelle
    • Membre suppléant du Conseil d'administration de l'Ecole nationale d'administration
    • Membre titulaire du conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie
    • Membre titulaire de la Commission du dividende numérique
  • Anciens mandats nationaux ou fonctions ministérielles
    • Secrétaire d'Etat à l'outre-mer, auprès du ministre de l'intérieur
      • Mandat du 29/08/2000 au 05/05/2002
  • Mandats locaux en cours
    • Membre du Conseil municipal de Lormes, Nièvre (1396 habitants)
    • Vice-président du conseil régional (Bourgogne)
  • Mandats intercommunaux en cours
    • Membre de la Communauté de communes des Portes du Morvan
  • Anciens mandats locaux
    • Conseil municipal de Lormes (Nièvre)
      • Mandat du 19/06/1995 au 18/03/2001 : Maire
      • Mandat du 19/03/2001 au 16/03/2008 : Adjoint au Maire
    • Conseil général de la Nièvre
      • Mandat du 27/03/1994 au 18/03/2001 : Membre du conseil général
      • Mandat du 19/03/2001 au 28/04/2004 : Membre du conseil général

Prises de positions

Sources d'informations

Positions

Merci d'enrichir cette partie en y rapportant les prises de positions de Christian Paul concernant les sujets traités par La Quadrature du Net (consultez la page Aide:Memoire_politique pour savoir comment faire).

31/03/2009 Débats HADOPI : Amendement 36

Je m’étonne que le rapporteur se dispense de répondre aux questions très légitimes de ses collègues, d’autant qu’un de ses amendements, une heure environ avant l’interruption de nos travaux il y a deux semaines, a fait l’effet d’une bombe dans le milieu français de l’Internet. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.) Cet amendement portait sur la question de la labellisation.

Je suis obligé, monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, de vous résumer les épisodes précédents puisque, à cette époque-là, vous étiez très occupé. Vous avez aujourd'hui davantage de liberté : nous vous faisons une séance de rattrapage.

M. Riester a proposé la labellisation de l’ensemble des sites Internet, pour leur reconnaître ou non une légalité dont on ignore d’ailleurs si ce sera celle des sites eux-mêmes ou celle de leur contenu. Dans son esprit en tout cas, elle permettrait aux internautes de savoir si le site qu’ils visitent est légal. Ce texte proposait déjà de surveiller les contenus téléchargés par les internautes : avec cet amendement, il impose de surveiller le contenu de plusieurs centaines de milliers de sites !

Monsieur Riester, nous pensons que les deux semaines d’interruption de nos débats – qui n’étaient pas des vacances parlementaires – vous ont permis de prendre conseil. Peut-être s’agissait-il d’un amendement de séance hâtivement glissé dans votre liasse : nous vous demandons de nous dire très clairement ce que vous pensez aujourd'hui de cette idée. Vous paraît-elle toujours aussi géniale et persévérerez-vous ou, au contraire, cette mesure n’est-elle plus à vos yeux qu’une fausse bonne idée, ce qui impliquerait de revenir sur cet amendement ?

En ce qui concerne la précision apportée par l’amendement n° 36, nous avions cru comprendre, dès le début de l’examen du texte, que le président de la HADOPI et le président du collège étaient effectivement une seule et même personne.

31/03/2009 Débats HADOPI : Amendement 342, siège d'un membre de la CNIL à l'HADOPI, surveillance généralisée

Ce qui est en train de se passer est très intéressant, et je remercie en effet Mme Marland-Militello d’avoir été très franche et très directe.

Mes chers collègues, la première victime de cette loi, ce n’est pas un internaute : c’est la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Vous aviez proposé de la faire entrer dans le collège de la HADOPI et vous êtes en train de l’en faire sortir, sans doute parce qu’il faut punir la CNIL. Pourquoi ? Pour deux raisons.

La première : la CNIL a émis un avis défavorable sur ce projet de loi, et pas seulement sur des questions de détail.

Écoutez, nous allons relire mot à mot les avis de la CNIL !

Oui, vous êtes en train de punir la CNIL, parce qu’elle a pris position contre ce texte, en mettant en avant la disproportion entre la sanction et le motif invoqué. Mais cela reste encore valable. Cette critique ne portait pas sur un point de détail, mais sur l’architecture même du texte. La CNIL a donc péché par impertinence, ou par dissidence.

En outre, pas plus tard que vendredi matin, dans le quotidien Libération, le président de la CNIL a mis en avant le risque de surveillance généralisée qui point, en ce moment, dans les sociétés européennes, et en particulier en France, du fait de cette loi et d’un certain nombre d’autres. C’est une deuxième prise de position, courageuse, et même constante : ce risque d’entrer dans une société de surveillance, la CNIL, avec d’autres, dont nous sommes, le pointe du doigt depuis plusieurs années.

Pour toutes ces raisons, la présence de la CNIL au sein de la HADOPI apparaît sacrilège. Nous le disons de façon d’autant plus désintéressée qu’il n’y a pas au sein de la CNIL, et nous le regrettons, de parlementaires de l’opposition, ou en tout cas de députés de l’opposition. La CNIL n’a donc pas toutes les qualités. Mais là, elle en avait une : le courage, celui de contester cette loi et de mettre en avant le risque d’une société de surveillance généralisée, qui est en germe dans vos propositions.

La CNIL est donc la première victime de la HADOPI. Vous voulez la punir. Et je trouve très regrettable, madame la rapporteure pour avis, qu’un amendement de cette nature, voté en commission, soit aujourd’hui retiré. Les milliers d’internautes qui nous regardent iront voir sur les sites quelle a été la position de la CNIL sur cette loi.

Ils iront voir l’interview donnée à la fin de la semaine dernière par le président de la CNIL, et comprendront mieux pourquoi, en cet instant, vous vous apprêtez à la punir.

31/03/2009 Débats HADOPI : amdt 340

Sur cet article L. 331-15 non plus, vous ne commencez pas très bien, malgré l’effort de Mme Billard pour vous aider à clarifier le texte. M. Lefebvre n’a sans doute pas lu l’alinéa 26, qui mérite vraiment d’être gravé dans le marbre !

Cet alinéa porte sur la durée des mandats, question qui doit vous dire quelque chose, monsieur Lefebvre.

[interjection de M.Billard: «Quand on tient un mandat, on ne le lâche pas, n’est-ce pas ?»] Ne mettez pas le doigt où cela fait mal, madame Billard. [« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.]

Si M. Lefebvre a des problèmes avec le suffrage universel, je n’y suis pour rien.

Je cite donc l’alinéa 26 : « Pour la constitution de la Haute Autorité, le président est élu pour six ans. » Jusque-là, tout va bien. Je poursuis : « La durée du mandat des huit autres membres est fixée, par tirage au sort, à trois ans pour quatre d’entre eux et à six ans pour les quatre autres. » C’est du jamais vu ! Faudra-t-il donc un programme informatique pour parvenir à gérer le déroulement des carrières des membres de la Haute Autorité ?

Ce n’est pas sérieux. Vous devrez nous expliquer, madame Albanel, pourquoi nous aboutissons à une telle absurdité. Cet embrouillamini politico-juridique serait-il le fruit de la pression des lobbies ?

Expliquez-nous donc pourquoi, monsieur Lefebvre, le texte organise une instabilité chronique des membres de la Haute Autorité. Nous attendons vos éclaircissements car pour tout citoyen avide de comprendre, votre projet demeure des plus confus. [« Oh ! » sur les bancs du groupe UMP.]

31/03/2009 Débats HADOPI : âpres débats, europe, sagesse de Albanel, amdt 406

Monsieur le président, vous conviendrez aisément que, du fait de l’interruption de nos débats sur le texte durant deux semaines, il convient de prendre en considération tout ce qui s’est passé depuis lors : tous, mes chers collègues, vous avez dû recevoir des centaines de courriels, voire des milliers. Le débat est vif dans le pays et nous y participons – je l’ai encore fait samedi à Dijon.

Je tiens à appeler l’attention du Gouvernement et du rapporteur sur le point suivant : alors que le Parlement européen, à près de 90 % – cela a été rappelé –, a pris position en faveur d’une liberté fondamentale, est-ce un bon message à envoyer aux Français à quelques mois d’une élection européenne que de balayer, comme sans importance, cette position d’un revers de la main, alors qu’elle est un véritable baromètre de l’opinion européenne ?

M. Riester, qui a, je crois, des fonctions dans l’état-major de l’UMP pour la campagne des élections européennes, devrait se méfier : à force de piétiner les messages envoyés par le Parlement européen, il risque de finir par se prendre les pieds dans le tapis !

Sur le vote de cet amendement, Mme la ministre s’en est remise à la sagesse de l’Assemblée : c’est suffisamment rare dans le débat pour être relevé. Jusqu’à présent en effet, les amendements présentés par les députés du groupe socialiste se voyaient opposer un avis défavorable. J’espère que le rapporteur a, comme nous, entendu ce message de sagesse. J’inviterai du reste M. Riester, dans la suite du débat, à ne plus se contenter d’être le porte-parole de M. Frédéric Lefebvre mais à jouer véritablement son rôle de rapporteur. Monsieur Riester, un rapporteur a pour mission de chercher, lorsque c’est possible, des solutions équilibrées. Or l’adoption de cet amendement, qui demande un rapport annuel d’évaluation sur l’application du texte, vous permettrait de préparer la prochaine loi, qui sera inévitable, dans de meilleures conditions.

31/03/2009 Débats HADOPI : Reprise, Attali, équilibre de la loi, demande de suspension

Monsieur le président, je voudrais, dans ce rappel au règlement, proposer au Gouvernement une solution pour sortir de l’impasse.

Les travaux de notre assemblée sur ce texte ont été suspendus dans un climat tendu. Depuis, deux semaines se sont écoulées pendant lesquelles de nombreuses voix se sont élevées pour critiquer très vivement ce texte : des économistes, Jacques Attali lui-même – auteur d’un rapport dont le Président de la République déclarait vouloir suivre toutes les conclusions mais sans doute ne l’avait-il pas bien lu car il y aurait trouvé des mises en garde assez explicites contre ce texte –, des associations d’usagers d’Internet et des entreprises du numérique – pas seulement les plus grandes, que l’on pourrait croire motivées par le souci de leurs intérêts, mais aussi de toutes petites structures, des start-up, de quelques personnes seulement, qui tentent de valoriser les contenus culturels –, des parlementaires européens et de nombreux citoyens dont nous avons pu constater la très profonde désapprobation dans nos circonscriptions.

Au nom du groupe socialiste, madame la ministre, je voudrais vous faire une suggestion. Il est des sujets sur lesquels les tentatives de légiférer provoquent de telles tensions dans la société et des différences si marquées dans l’expression au sein des groupes politiques – comme en témoignent certains récents amendements émanant des rangs de la majorité –, que de telles entreprises deviennent bien délicates à mener. Quand une loi divise autant, ce n’est pas une bonne loi. Quand une loi paraît aussi hasardeuse dans son application, aussi imprévisible et aléatoire d’un point de vue technique, ce n’est pas une bonne loi et celle-ci emprunte un peu à Courteline, un peu à Kafka et beaucoup à Alfred Jarry. Quand une loi s’affranchit des libertés fondamentales, comme le souligne le Parlement européen lui-même, quand elle est porteuse d’autant de contentieux, ce n’est pas une bonne loi. Quand une loi est source d’autant de méfiance – méfiance à l’égard des internautes, infantilisés ; méfiance à l’égard des juges, que vous souhaitez contourner ; méfiance à l’égard de l’Internet, diabolisé –, ce n’est pas une bonne loi. Quand une loi a des conséquences aussi disproportionnées sur les libertés numériques, ce ne peut être une bonne loi. Enfin, quand une loi s’enferme dans des solutions impraticables qui défient le simple bon sens, ce ne peut être une bonne loi.

Pour mémoire, je prendrai deux exemples. Le premier est celui du wi-fi public, qui relève aujourd’hui du service public élémentaire : il ne saurait être bridé. Le deuxième, monsieur le rapporteur, est votre proposition d’attribuer un label de « bonne conduite » à tous les sites Internet culturels, qu’ils soient commerciaux ou non : vous rendez-vous compte que le personnel du ministère tout entier n’y suffirait pas ? J’espère que vous allez reconnaître que cette mauvaise idée n’est que le résultat d’un effet d’entraînement.

La communauté des internautes s’emploie à chahuter le projet de loi. Les recettes fleurissent déjà en ligne sur la manière de contourner cette loi alors même qu’elle n’est pas encore votée ! Vous prenez le risque du ridicule, qui est un risque politique.

12/03/2009 Débats HADOPI : dérapage ministériel, avis CNIL, offres commerciales légales, labellisation

Ce qui vient d'être dit me paraît dépasser très largement le cadre normal de l'échange républicain, que nous avons habituellement avec les membres de ce gouvernement, dont nous ne partageons pas, le plus souvent, les options.

Madame la ministre, j'ai un sentiment de malaise depuis hier. Vous ne vous comportez pas, dans ce débat, dans cet hémicycle, en ministre de la culture.

Je l'ai dit hier à la tribune, vous ne vous comportez pas en ministre de la culture.

Dans ce pays, le ministre de la culture est aussi le ministre des libertés.

Il recherche les bons équilibres.

Monsieur Warsmann, vous n'êtes peut-être pas sensible au fait que nous avions les mêmes débats avec M. Donnedieu de Vabres. Nous avions de nombreuses différences d'appréciation, mais jamais M. Aillagon, jamais M. Donnedieu de Vabres, vos prédécesseurs, madame la ministre, n'ont fait référence à la Gestapo, pour intimider les parlementaires, pour disqualifier leurs positions.

Madame la ministre, nos propos reprennent l'avis de la CNIL, présidée par un sénateur UMP.

Pourquoi êtes-vous fébriles ?

C'est donc un sénateur non inscrit ; je le croyais à l'UMP.

Les critiques que nous formulons ce soir, au nom des libertés fondamentales, à propos de ce texte, reprennent ce que la CNIL a écrit dans son avis. C'est ce que de très nombreux juristes ont dit, de façon préventive – encore une fois, je ne comprends pas pourquoi vous allez chercher la Gestapo pour mettre en difficulté l'opposition dans ce débat. Je trouve que ce n'est pas digne. Vous avez retiré ce terme, sentant qu'il avait peut-être dépassé votre pensée. Dont acte ! Peut-être d'autres collègues souhaiteront-ils s'exprimer sur ce point.

Je crois effectivement que Patrick Bloche souhaite faire un rappel au règlement.

Madame la ministre, je voudrais vous lire l'avis de la CNIL, puisque, manifestement, vous ne l'avez pas fait et parce que M. Gosselin, ici présent, qui est membre de la CNIL, au nom de notre assemblée, ne retransmet pas l'avis de la CNIL.

La CNIL relève, sur le respect des droits de la défense et le recours au filtrage – c'est la même question que traite notre amendement, il s'agit de la CNIL et non des députés socialistes – : « Une telle disposition comporte un risque d'atteinte aux libertés individuelles, au rang desquelles figure la liberté d'expression. » Ce n'est pas la Gestapo qui le dit, c'est la CNIL.

On lit un peu plus loin : « La commission propose que le projet de loi prévoie que la compétence de la Haute autorité se limite à pouvoir saisir le président du tribunal de grande instance, qui serait alors amené à statuer dans les conditions actuelles. » Il s'agit notamment de tout ce qui concerne les intermédiaires techniques et donc le passage de la compétence du tribunal, ce qui était le cas jusqu'à présent, à l'HADOPI.

Madame la ministre, s'il est répondu à cette crainte de la CNIL dans le texte actuel ou dans celui qui vient du Sénat, éclairez-nous, puisque le rapporteur ne s'y emploie pas, pas plus que M. Gosselin.

Faites une analyse juridique précise. Cela évitera ces atroces dérapages, qui ne sont pas dignes, je le répète, du successeur de Malraux rue de Valois.

[...]

Il serait intéressant que cet amendement [n° 318] soit expliqué aux députés avant qu'on ne leur propose de le voter, parce qu'il ne va pas de soi. En dehors du regrettable et très désagréable incident de tout à l'heure, nous n'avons pas pris l'habitude, dans ce débat, de voter à la sauvette. Je suggère donc à M. Riester de nous donner quelques explications, après quoi nous pourrons voter son amendement.

[Monsieur Paul, je n'ai pas fait voter à la sauvette : l'amendement a été présenté par la commission.] Il n'a pas été expliqué ! [Si, par le président de la commission.] Très peu ! [J'ai ensuite demandé l'avis du Gouvernement, après quoi il est bien normal de mettre un amendement aux voix.] Pouvons-nous au moins nous exprimer sur l'amendement ?

J'ai pris la parole pour demander que cet amendement soit un peu plus longuement présenté par la commission. Si la commission considère qu'elle l'a suffisamment expliqué, je souhaite, avec votre permission, m'exprimer sur l'amendement. À quel stade en sommes-nous ? Je l'ignore. Peut-être faut-il interroger la commission.

Monsieur le rapporteur, puisque vous avez signé cet amendement, accepté par la commission, je souhaiterais savoir pourquoi il vous paraît indispensable d'étendre à l'offre légale non commerciale la mission de l'HADOPI. On a envie de dire : laissez-les vivre ! Pourquoi faut-il que l'HADOPI ait une fonction d'encouragement et de suivi ? Je crains que ce ne soit en fait davantage de la surveillance que de l'encouragement. Peut-être pourriez-vous nous démontrer le contraire, mais comme la commission a été extrêmement laconique, j'avoue avoir un peu de mal à comprendre ce que contient l'idée de labellisation de l'HADOPI.

Dans quoi allons-nous entrer ? Depuis hier, nous sommes invités à approuver un dispositif de surveillance et de sanction, et voici que l'on confie à l'HADOPI une mission qui s'étend jusqu'à l'offre non commerciale. Les artistes sont de plus en plus nombreux – on ne peut que s'en réjouir – à mettre leur musique en écoute gratuite sur Internet à des fins de promotion ou de découverte : l'HADOPI va-t-elle s'occuper d'eux ? Quelle chance ! Comment va-t-elle faire ? Je voudrais comprendre ce qu'est cette labellisation. C'est nouveau, ça vient de sortir ! Pourriez-vous nous donner quelques explications complémentaires, monsieur le rapporteur ?

[...]

Cet amendement [n° 34], qui vient à l'alinéa 10, est l'occasion d'évoquer à nouveau la question de la labellisation, par l'HADOPI, des sites non commerciaux. Je tiens à attirer l'attention de M. le rapporteur et de Mme la rapporteure pour avis sur deux points concernant les critères de labellisation. De quoi parle-t-on au juste : s'agira-t-il de labelliser un site ou des œuvres ? Comment se feront les mises à jour ?

Certes, les sites commerciaux sont assez concentrés, mais les sites non commerciaux se comptent par centaines, voire par milliers ! L'HADOPI comportera-t-elle donc des magistrats ou des agents supplémentaires, et si oui, madame Marland-Militello, sont-ils prévus dans le budget de 6,7 millions d'euros péniblement redéployés du ministère de la culture aux frais du contribuable français ? Faudra-t-il en plus payer des fonctionnaires chargés de la labellisation des sites de musique non commerciaux qui, je le répète, se comptent par milliers et effectuent d'incessantes mises à jour ? C'est un véritable bataillon qu'il vous faudra pour cela ! Tous les internautes qui nous regardent, et que je salue, apprécieront cette farce extraordinaire !

Vous aurez certainement l'occasion ce soir, monsieur le rapporteur, de revenir sur la question de la labellisation des sites non commerciaux. Même si je ne peux emporter votre conviction sur l'ensemble du texte, convenez que, sur ce point au moins, vous commettez une erreur grossière ! Internet ne cesse de changer ; de nouveaux morceaux de musique y sont en permanence mis à la disposition du public sur des milliers de sites, y compris dans des conditions que vous – comme Mme la ministre – trouveriez « légales » ! Envisageriez-vous de labelliser certains sites et pas d'autres, au risque de provoquer une distorsion de concurrence ? Soyons clairs : ce label est impraticable. N'ajoutez donc pas un poids supplémentaire à cette loi que vous ne saurez déjà pas appliquer en l'état, comme la précédente – les vétérans du débat auquel elle avait donné lieu s'en souviennent. Je vous rappelle à la raison !

[...]

Je ferai deux observations à propos de cet amendement [n° 405].

Premièrement, l'alinéa 12 nous semble tout à fait inutile. M. Riester, parfois moins inspiré, a noté dans son rapport que cette mission devrait revenir plus naturellement, en partie au moins, au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique. Cela fonde sans doute son avis favorable à l'amendement.

Deuxièmement, Patrick Bloche – et il avait également raison – voyait une partie de cette mission dévolue au Conseil de la création artistique, qui est, on le sait aujourd'hui, le véritable ministère de la culture.

Ce sont deux bonnes raisons pour adopter cet amendement.

Sans tomber dans l'obsession, je voudrais revenir un instant, monsieur le rapporteur, au problème de la labellisation. Dans l'économie de marché, que vous défendez tous les jours, seul le pouvoir judiciaire est, selon nous, apte à se prononcer sur le caractère légal ou non des offres. Une autorité administrative ne peut pas se voir conférer ce rôle de façon aussi discriminante. Elle peut sans doute avoir à évoquer la légalité des œuvres, mais il est beaucoup plus compliqué de traiter de la légalité d'un site.

Qu'en sera-t-il également de tous les sites qui sont à l'extérieur de notre pays, auxquels les internautes ont accès et qui ne pourront pas être labellisés par l'HADOPI ? Il y a un immense problème matériel pour la labellisation des sites non commerciaux, mais il y a aussi un problème juridique essentiel pour la labellisation des sites commerciaux par une autorité administrative. Enfin, quid des sites extérieurs ? Ce n'est plus de l'exception culturelle, madame la ministre, c'est du protectionnisme à l'état pur ! Je me demande si cela passera à Bruxelles, d'ailleurs, même sans le traité constitutionnel ! Il s'agit en l'espèce d'une concurrence très faussée. Vous aurez à en rendre compte à chaque étape, et sans doute au-delà de cet hémicycle.

12/03/2009 Débats HADOPI : propagande, DADVSI, information sur la répartition des revenus de la création, streaming, DRM, sanctions, avis CNIL

Madame la ministre, je sais bien que, sous ce régime, la confusion entre l'argent public et l'argent privé, la vie privée et la vie publique, est monnaie courante, mais je vous rappelle que le site dont nous parlons est financé par le contribuable et vous ne m'avez d'ailleurs pas répondu sur son coût. Votre prédécesseur avait, lui aussi, monté un site de propagande appelé « lestéléchargements.com », et il avait fini par avouer, après un certain nombre de suspensions de séance, que son coût était de 180 000 euros, ce qui est très cher.

Je vous invite donc, afin d'éviter le même chemin de croix, à nous dire assez rapidement dans l'après-midi combien a coûté le site « j'aimelesartistes.fr ». Ce site étant financé par les contribuables, le pluralisme pourrait y être la règle.

J'en viens à l'amendement n° 396 auquel nous sommes très attachés. Madame la ministre, vous n'avez en aucune façon évalué la loi DADVSI, votée en 2006, qui est en quelque sorte le péché originel. Vous n'avez pas exercé le devoir normal d'inventaire pour voir si cette loi avait eu un quelconque impact ou intérêt. En 2007, vous avez entrepris la rédaction d'un nouveau texte sans avoir pris le temps de vérifier pourquoi cette loi avait échoué. Le présent amendement vise donc, ni plus ni moins, à abroger la loi DADVSI puisque le constat de son échec est patent.

Nous pourrions tous voter cet amendement s'il n'y avait la page 10 du rapport de M. Riester où il est écrit que : « Le projet de loi soumis à l'examen de l'Assemblée nationale n'entend pas revenir sur l'équilibre trouvé lors de la discussion de la loi du 1er août 2006, dite DADVSI, au sujet du maintien, à l'ère numérique, de notre conception personnaliste du droit des auteurs sur leurs œuvres. Il est seulement question de mieux sensibiliser les internautes aux risques que leurs pratiques font courir à l'innovation culturelle ».

Vous dites que ce texte porte sur la pédagogie – pour notre part nous pensons plutôt qu'il organise la répression –, mais qu'il ne modifie pas l'équilibre, ce qui nous inquiète. Pour sa part, Mme Marland-Militello a plutôt considéré qu'il fallait tourner la page. Mais pour ce faire, la seule solution consiste à abroger cette loi inapplicable et qui n'a pas trouvé le bon équilibre. Elle instaure en effet des représailles massives, à savoir trois ans de prison et 300 000 euros d'amende, pour les internautes qui ne respectent pas les droits d'auteur. Vous avez tenté d'escamoter le problème en disant que cela permettrait de lutter contre la contrefaçon. Mais avant la loi DADVSI, il existait déjà des dispositifs pour cela ; il suffisait de les appliquer. Vous auriez donc intérêt à faire place nette. M. Riester est sans doute le seul ici à considérer que la loi DADVSI avait établi le bon équilibre. Il est donc urgent de l'effacer de notre corpus législatif. Madame la ministre, faites donc du passé table rase !

[...]

L'amendement n° 440 peut, lui aussi, comme le remarquait Jean Dionis du Séjour, transgresser les clivages habituels, voire obtenir l'appui du Gouvernement. En effet, il vise véritablement à défendre les droits d'auteur.

Depuis hier nous avons cité, les uns et les autres, un grand nombre d'exemples relevant des nouveaux modèles économiques de diffusion de la culture, notamment de la musique. On a cité les sites de streaming, qui sont financés pour beaucoup d'entre eux par la publicité, ou les plates-formes de ventes de fichiers musicaux, dont le plus célèbre, qui a une position dominante sur le marché, vient d'outre-atlantique. Tous les renseignements que nous avons obtenus ou toutes les auditions auxquelles nous avons procédé, avec ou sans M. Riester, nous ont conduits à penser que, souvent, ces plates-formes respectaient mal les intérêts des créateurs – auteurs, artistes, interprètes –, la part qui leur est réservée étant trop limitée : lorsqu'un titre est vendu 99 centimes d'euros sur un canal de distribution en ligne, la part qui revient à l'artiste est notoirement plus faible qu'elle ne l'était lorsqu'un CD de vingt titres était vendu 20 euros, c'est-à-dire, finalement, au même prix.

Mme Billard a également évoqué un site de streaming que j'utilise moi-même beaucoup : Jiwa – nous aurions pu en citer d'autres. Or, manifestement, certains des artistes présents sur ces sites, qui sont à vos yeux légaux, ne sont quasiment pas rétribués. Ces modèles émergents posent donc la vraie question de la régulation et des droits d'auteurs, qui n'est pas celle du rapport entre les artistes et le public – c'est la première fois qu'elle est posée en ces termes ! Au XVIIIe siècle, elle était celle du rapport entre, par exemple, Beaumarchais et les comédiens français, avant de devenir, plus tard, celle du rapport entre les auteurs et les éditeurs de musique, les chaînes radiophoniques ou de télévision. Vous le savez bien, du reste, puisque vous êtes, comme nous, des défenseurs du droit d'auteur.

L'amendement n° 440 repose sur ce tronc commun de la philosophie française du droit d'auteur que, je l'espère, nous partageons. Il prévoit en effet que « tout vendeur de phonogramme ou vidéogramme, mais également de fichier de film ou de musique doit, par voie de marquage, étiquetage ou affichage, ou par tout autre procédé approprié, informer le consommateur de la part revenant à la création », c'est-à-dire au créateur, « sur le prix de vente. ».

En assurant ainsi la transparence sur les rémunérations nous ferions, dans la majorité comme dans l'opposition, la preuve de notre attachement au droit d'auteur. Tel est l'objet de cet amendement, madame la ministre, qui ne heurte pas votre philosophie. On peut, en effet, à la fois ne pas la partager et faire, au cours de ce débat, des propositions qui sont de nature à affirmer les nouveaux droits d'auteur dans le monde numérique.

[...]

En défendant cet amendement [n° 413], je voudrais défendre en même temps le précédent [n° 440], puisque leur inspiration est la même. Tout à l'heure, j'ai eu le sentiment que le vote avait été un peu forcé. En tout cas, tout cela a été fait un peu à la hussarde.

Vous souhaitez développer ce que vous appelez l'offre légale. Je n'aime pas ce terme, qui ajoute à la confusion. Parlons d'offre commerciale. Vous souhaitez développer l'offre commerciale, et nous n'y sommes bien sûr pas opposés. C'est une manière – ce n'est pas la seule – de permettre la rémunération des artistes, qui est absolument indispensable. Il n'y a que M. Lefebvre pour feindre de croire que, dans cet hémicycle, il y a ceux qui veulent rémunérer les artistes et ceux qui veulent les appauvrir.

Cet amendement est un amendement de principe. On l'a dit tout à l'heure au sujet des disques ou des fichiers musicaux achetés en ligne, on peut aussi le dire au sujet de la radio, il est souhaitable d'aller dans le sens de la transparence de la rémunération de chacun des acteurs de la chaîne, en particulier les créateurs.

Par rapport à ce que contient ce projet de loi, le dispositif que nous proposons est extrêmement simple à mettre en place, madame Marland-Militello. Les dispositions que nous allons examiner un peu plus tard vont coûter environ 80 millions d'euros par an : un peu au budget de Mme Albanel, et beaucoup aux fournisseurs d'accès. Avec cet amendement, on n'est pas du tout dans cet ordre de grandeur. Ce qui est proposé ici est très réaliste et correspond à une conception du marché qui doit permettre d'afficher la transparence des rémunérations. C'est une vision très walrasienne du marché, madame Marland-Militello. Vous, qui êtes très libérale, auriez dû au contraire applaudir à cet amendement.

Madame la ministre, vous allez avoir un très gros problème de crédibilité si vous refusez tous les amendements qui permettent de rompre avec l'opacité des systèmes de rémunération des auteurs et des artistes. C'était vrai pour l'amendement précédent et c'est également vrai pour celui-ci. Vous ne voulez pas le soutenir, mais vous aurez de plus en plus de mal à prétendre vouloir sincèrement défendre les droits d'auteur et les rémunérations des artistes, puisqu'on ne peut même pas les afficher.

[...]

Je partage à 150 % les propos de Patrick Bloche. Nous avons, en effet, perdu beaucoup de temps et d'argent, lequel aurait dû profiter à la création.

Pour que notre débat n'ait pas été inutile – après quoi vous voterez, mes chers collègues, comme vous l'entendrez –, je souhaite interroger le rapporteur sur la philosophie qu'il défend avec tant de véhémence, mais qui n'est guère convaincante.

Je reviens un instant sur les modèles économiques qui sont en train d'émerger. Il y a deux ou trois ans, on a vu apparaître iTunes, modèle de vente à l'acte prenant appui sur des outils très ergonomiques comme Apple sait les mettre en place, et avec des prix très élevés – comparés au prix du disque – liés sans doute aux frais de marketing et de publicité, ce qui a pour conséquence qu'un morceau de musique sur iTunes ou un CD est à peu près au même prix.

Autre modèle qui se développe : le streaming avec accès gratuit, légal selon Mme Albanel.

Or, il s'agit de millions de titres accessibles à tout instant, et qu'il n'est pas besoin de télécharger. Vous conviendrez tout de même qu'entre un baladeur numérique qui télécharge sur iTunes et le streaming en temps réel, il n'y a pas de différence radicale.

J'aimerais, au contraire, que nous en parlions.

Le streaming permet d'avoir un accès gratuit à des milliers de titres sans qu'il soit nécessaire de les télécharger. En quoi le streaming, qui est en train de faire baisser le téléchargement – beaucoup plus que la loi DADVSI ou le projet de loi actuel –, est-il aujourd'hui freiné par le téléchargement ? Vous prétendez, en proposant de bloquer le téléchargement – que vous appelez piratage –, contribuer au développement du streaming. Mais que je sache, il ne l'a pas freiné ! C'est gratuit dans les deux cas, mais, dans le cas du streaming, il y a de la publicité et les artistes sont rémunérés. Laissons-le donc se développer : le piratage ne le bloque nullement !

Ce qu'on peut se demander, justement, c'est en quoi votre loi permettra au streaming de se développer davantage demain.

Si le streaming se développait à côté d'un univers de gratuité, les artistes devraient vous appeler au secours. Car le streaming, tout en étant légal, n'est pas très rémunérateur.

Nous serons le seul pays au monde où la filière musicale fera une croix sur 400 millions d'euros par an ! Ce dossier ayant été insuffisamment explicité, le débat nous donne l'occasion d'y réfléchir. Peut-on avoir le beurre et l'argent du beurre ? Certainement : on peut concilier publicité, achat à l'acte et contribution créative.

[...]

Nous sommes au cœur des ambiguïtés de ce texte, entre une volonté affichée de tourner la page de la loi précédente, qui comportait des lourdeurs intolérables pour la diffusion des œuvres, en particulier les DRM, et l'envie de laisser subsister malgré tout ces outils devenus obsolètes mais qui avaient revêtu une telle charge symbolique dans notre hémicycle que vous avez du mal à vous en défaire. Il va falloir trancher. Ou bien nous considérons que les DRM doivent rejoindre la machine à filer au musée, ou bien nous considérons que ces mesures de protection ont un avenir.

Tout cela a tout de même un caractère un peu hors-sol et ne donne pas le sentiment que vous ayez prise sur les événements. Il est assez extraordinaire de voir comment, moins de deux mois après l'adoption de la loi DADVSI, les DRM commençaient à être abandonnés aux États-Unis. Alors que votre prédécesseur, madame la ministre, s'était illustré avec un lyrisme extraordinaire dans la défense de ces mesures techniques de protection, deux mois plus tard, les majors, qui ont beaucoup d'avance sur les pouvoirs politiques, lesquels tentent de maintenir l'illusion d'une certaine efficacité sur ces questions, amorçaient le virage stratégique de la sortie des DRM.

En outre, créée par votre majorité dans la loi DADVSI, en 2006, l'Autorité de régulation des mesures techniques ne s'est jamais réunie. Avant même d'être née, elle est au cimetière des autorités défuntes !

En effet : relisez nos débats. Nous allons les mettre en ligne pour que les Français prennent conscience de l'efficacité de l'action publique sur ce dossier depuis quelques années.

Vous proposez de remplacer cette Autorité par la Haute autorité baptisée HADOPI. Cette dernière a un nom de bande dessinée. Elle ne manquera pas de susciter la dérision générale pendant de longues années. Je ne suis pas sûr que l'on parvienne à redonner du crédit à l'action publique avec ce type de texte.

Je vous suggère donc d'appeler à l'adoption de l'amendement [n° 301 Rect.]. Monsieur Riester, si vous étiez un rapporteur un peu plus créatif et moins rigide, vous pourriez proposer de le sous-amender, puisque vous ne voulez pas supprimer les mesures techniques ou que l'énoncé vous choque. Nous pourrions nous contenter de supprimer l'actuel article. Cela aurait le mérite de redonner un peu de lustre non seulement à nos débats, mais surtout à leur résultat. La balle est dans votre camp.

[...]

Pour rester au niveau de Jean-Pierre Brard et d'Octavio Paz, il faut vraiment parler, au sujet de cet article, d'un choc de civilisations. L'HADOPI, à cet égard, est l'emblème technocratique de la contre-civilisation numérique que vous tentez d'imposer ; sa transcription graphique aurait la légèreté d'une raffinerie de pétrole, comme l'a montré l'un de nos collègues.

Cela fait dix ans que l'on réfléchit en France à la régulation de l'Internet. Le droit commun suffit-il, ou en faut-il un spécifique ? C'est une réflexion de fond, madame la ministre.

Et nous apprécions de discuter de ces sujets avec vous.

Quelle voie suivre ? L'autorégulation ? Le recours au juge ? À une autorité administrative indépendante ? Vous avez choisi cette dernière solution, que nous désapprouvons totalement. S'il ne s'agissait que de réguler ou de définir des normes pour faire progresser le débat sur l'Internet, pourquoi pas ; sous la conduite de Lionel Jospin, nous avions ainsi créé le forum des droits sur l'Internet. Les questions, en ce domaine, évoluent avec les technologies et s'avèrent épineuses au plan juridique. Créer des espaces de débat pour élaborer des normes, pourquoi pas ; mais quand il s'agit d'écrire la loi ou de l'appliquer, les choses sont bien différentes : la première mission incombe au Parlement et la seconde aux juges.

Or il s'agit ici de sanctions qui portent sur des questions qui n'ont rien de mineur. Nous pouvons concevoir que des autorités administratives prennent des sanctions s'agissant de questions de vie quotidienne relativement peu importantes : il s'agirait simplement de trouver des voies de recours devant les tribunaux. En l'occurrence, les sanctions prévues mettent en jeu des libertés fondamentales : liberté de communiquer, liberté de s'exprimer, droit au travail, droit à l'éducation – les réflexions du Parlement européen à cet égard sont fondatrices. Et lorsque des questions aussi fondamentales que ces libertés et leur exercice réel sur Internet et grâce à Internet sont en jeu, les sanctions doivent relever, non d'une autorité administrative, mais du juge.

Lors de votre audition devant la commission des affaires sociales et culturelles, madame la ministre, vous avez avancé l'argument d'un risque d'engorgement des tribunaux. Vous avez reconnu par là même que c'est une surveillance et une répression massive que vous envisagez. Je comprends dès lors un peu mieux votre envie de disposer d'une sorte de cour spéciale chargée d'appliquer cette loi très contestable sur le fond.

Voilà pourquoi l'article 2 représente pour nous un monstre juridique. Il repose sur une erreur quant aux principes mêmes de la régulation d'Internet et met en place un dispositif contraire à l'État de droit : absence de procédure contradictoire dès la première recommandation, non-application de la présomption d'innocence et difficultés d'imputation de la responsabilité du délit, nous y reviendrons à travers nos amendements.

Confier la tâche de décider des sanctions à quelqu'un d'autre qu'un juge, exerçant ses fonctions dans le cadre légitime des tribunaux de la République, nous paraît profondément contestable.

Nous voterons donc contre l'article 2.

[...]

Je vais résumer en trois points les motifs de notre opposition à la création de cette Haute autorité, qui répond au délicieux diminutif d'« HADOPI ».

La première raison, qui renvoie à la conception même que nous avons du développement d'Internet et de la diffusion de la culture, est l'inutilité d'une telle autorité. En écoutant les débats cet après-midi, je me disais que la meilleure façon de réduire les téléchargements était de développer les sites de streaming, sachant que certains d'entre eux permettent le stockage, François Brottes l'a souligné hier soir.

Toute la musique du monde sera donc soit en accès gratuit avec un système de publicité qui permettra une rémunération très symbolique des artistes et des ayants droit, soit accessible par téléchargement souvent d'ailleurs de moindre qualité comme c'est souvent le cas sur les réseaux peer to peer. Comment pouvez-vous encore écrire la loi en disant que d'un côté le système est légal tandis que de l'autre il ne l'est pas ? La barrière des espèces est tombée. Cet espace non marchand méritait-il une vraie contrepartie forte permettant de soutenir la filière musicale ?

Le deuxième motif de suppression de l'article 2 concerne l'absence de garanties procédurales solides. La connexion à internet pourra être coupée avant toute possibilité de recours. Cette inversion de la chronologie de la sanction est particulièrement contestable.

Le troisième motif de suppression de cet article concerne le coût de l'HADOPI. Madame la ministre, combien de millions d'euros mettez-vous sur le tapis vert ? Tous les députés, qu'ils soient de l'opposition ou de la majorité, pourraient vous citer des compagnies de spectacle vivant qui sont à deux doigts du dépôt de bilan ou des festivals de musique, de théâtre, de danse, de poésie – en Bourgogne et ailleurs – dont l'activité est menacée parce que les subventions qui leur sont accordées baissent chaque année. Si vous aviez 10 millions de trop dans votre budget, il fallait nous le dire ! Nous vous aurions tout de suite indiqué comment les utiliser. Cessez de dire qu'en créant l'HADOPI vous soutenez la culture. En fait, vous allez détourner du spectacle vivant des millions d'euros.

Vous vous gargarisez des accords de l'Élysée. Mais ce sont des accords bidon qui ne résisteront pas – un certain nombre de FAI les dénoncent déjà. Je lisais tout à l'heure une déclaration de M. Kosciusko-Morizet, un jeune entrepreneur fringant de cette galaxie des startups, qui estime, à juste titre, qu'il faut arrêter les dégâts. Nous aurions pu reprendre cette demande de moratoire. En fait, ce ne sont pas des accords, mais une injonction de l'Élysée adressée au ministre de la culture qui va devoir ponctionner sur son budget de quoi financer ce site de propagande dont on a beaucoup parlé aujourd'hui mais aussi l'HADOPI. Et nous attendons de votre part une évaluation officielle du coût de fonctionnement de cette Haute autorité.

Monsieur le président, nous n'irons pas très loin dans l'examen de l'article 2 tant que nous ne saurons pas combien elle coûte.

[...]

Nous terminons en feu d'artifice cette séance !

Madame Marland-Militello, je suis obligé de constater que c'est, assurément, avec une grande amabilité, mais aussi avec une naïveté confondante, que vous m'avez transmis votre rapport : en effet, celui-ci, sur la question du budget de l'HADOPI, est à charge, puisque ce n'est pas moins de 6,7 millions d'euros qui seront distraits en 2009 du budget du ministère de la culture ! Voilà une information que nous allons placarder dans la France entière ! C'est l'équivalent des sommes que le ministère de la culture consacre à plus d'une demi-douzaine de maisons de la culture ou à une centaine de compagnies conventionnées ! C'est un montant énorme pour un budget en totale paupérisation !

Dans nos régions, des chantiers de restauration de monuments historiques sont arrêtés parce que Mme Albanel n'a plus les moyens de payer les entreprises.

C'est vrai ! Je peux vous citer des monuments sur lesquels des échafaudages ont été laissés à grands frais durant un an ou deux parce qu'il n'y avait plus un euro pour financer les travaux. Et vous allez mettre 6,7 millions d'euros dans l'HADOPI ! Je garderai le rapport à charge de Mme Marland-Militello, car il est digne de figurer dans une anthologie.

Monsieur Gosselin, je ne savais pas que vous étiez commissaire de la CNIL. Je vous en félicite, tout en regrettant qu'aucun député, ni sénateur, je crois, de l'opposition, n'y siège.

Il n'y a donc bien aucun député de l'opposition. Le Sénat fait preuve en la matière d'un plus grand pluralisme que l'Assemblée.

Je suis d'autant plus agréablement surpris que la CNIL, en dépit de ce faible pluralisme, ait rendu cet avant-projet. Je lui en rends hommage.

Mais vous êtes, quant à vous, un bien mauvais commissaire de la CNIL puisque vous n'avez pas cité avec sincérité et loyauté son rapport.

Que M. Riester, dont c'est désormais la marque de fabrique, travestisse le rapport de la CNIL, cela ne saurait plus nous étonner, mais vous, monsieur Gosselin, qui êtes membre de la CNIL, vous auriez dû lire le florilège du rapport, d'autant qu'il n'a été satisfait que sur quelques broutilles – celles que M. Riester a rappelées.

C'est ainsi que la CNIL déplore « que le projet de loi ne soit pas accompagné d'une étude qui démontre clairement que les échanges de fichiers via les réseaux “pair à pair” sont le facteur déterminant d'une baisse des ventes dans un secteur qui, par ailleurs, est en pleine mutation du fait, notamment, du développement de nouveaux modes de distribution des œuvres de l'esprit au format numérique ». La CNIL met en doute les fondations même de votre texte ! De plus, elle considère que la liste des exonérations prévues par le projet de loi est trop « restrictive » – nous entrons sur le terrain des libertés individuelles avec la question de l'obligation de surveillance mise à la charge des abonnés – et « ne permet pas d'appréhender les cas où l'internaute pourrait légitimement mettre à disposition un fichier protégé par les droits d'auteur ».

La CNIL remarque également qu'aucune précision n'a porté sur les critères et les modalités pratiques de mise en œuvre de la procédure permettant d'accepter une transaction. Quant à la nature des personnes concernées par l'obligation de surveillance, la commission estime qu'au-delà des conséquences économiques et sociales que pourrait engendrer la suspension de l'abonnement à Internet d'une entreprise ou d'une collectivité, le respect par l'employeur de l'obligation de sécurisation « comporte » – c'est la CNIL qui le dit, ce ne sont pas seulement les députés socialistes ! – « un risque de surveillance individualisée de l'utilisation d'Internet ».

Sur le respect des droits de la défense et le recours au filtrage, la CNIL relève qu'une telle disposition « comporte un risque d'atteinte aux libertés individuelles, au rang desquelles figure la liberté d'expression, dans la mesure où elle donnerait la possibilité à l'HADOPI de demander à un intermédiaire technique de procéder au filtrage de contenus considérés comme portant atteinte aux droits d'auteur. » Et vous osez prétendre, monsieur Riester, que le projet de loi donne réponse aux questions posées par la CNIL ! Quant à vous, monsieur Gosselin, commissaire de la CNIL, vous devriez en démissionner dès ce soir car vous l'avez tristement représentée ! La CNIL est une conquête de la République : c'est un contre-pouvoir face aux pouvoirs, quels qu'ils soient, qui ont la tentation de faire adopter des lois liberticides. Et vous prétendez que le texte répond aux objections de la CNIL ! C'est scandaleux !


12/03/2009 Débats HADOPI : propagande, industrie du divertissement, droits fondamentaux, accès Internet

Mon rappel au règlement, madame la présidente, est fondé sur l'article 58, alinéa 1, et concerne le déroulement de nos travaux.

Puisque nous allons entamer dans quelques instants, sous votre autorité, l'examen des articles et des amendements, il est important de dire que ce débat se déroule sous influence, et je voudrais le démontrer.

Depuis quelques jours, et Patrick Bloche y a fait référence hier à plusieurs reprises, un site qui est soutenu par la ministre de la culture et qui la soutient également, « jaimelesartistes.com » est accessible sur Internet.

Jusque-là, on pourrait penser que ce sont les grandes orgues de la propagande officielle et simplement s'interroger sur le fait que ce sont les contribuables qui paient ce site.

Cela dit, madame la ministre, nous souhaitons un éclaircissement.

Justement, monsieur Lefebvre, vous êtes mal informé ! Je vais donc ferrer le poisson. Lorsque l'on se rend sur ce site, et que l'on accède aux codes source des pages, on découvre une liste cachée de partenaires, qui ont probablement aidé à son financement et qui s'appellent M6, le SNEP, la SACEM, la SACD, Canal Plus, TF1, Neuf Cegetel, Numéricable, Telecom Italia – pourquoi pas ? – et Orange. Le tout à la rubrique « Partenaires ».

Madame la ministre, nous ne commencerons pas l'examen des articles avant d'avoir reçu des éclaircissements de votre part. Nous avons la conviction que ce site a été financé à la fois par de l'argent public – vous allez nous communiquer les montants – et par des partenaires privés, dont je viens de donner la liste.

Si vous êtes la ministre des lobbies, il faut l'assumer ; cela colorera nos débats. En tout cas, vous n'êtes certainement pas la ministre du pluralisme dans les médias : parmi ces partenaires, il y a Canal Plus et TF1 ; or vous étiez cette semaine sur les plateaux de ces chaînes pour faire la promotion de votre texte !

Ce n'était pas M. Bloche, ni Mme Billard, ni M. Brard, ni M. Mathus qui étaient sur Canal Plus ; c'était la ministre ! Il y a une évidente collusion d'intérêts.

Au nom du groupe socialiste, je vous demande, madame la ministre, les éclaircissements les plus complets sur le financement de ce site. Si vous ne parvenez pas à les donner, nous demanderons autant de suspensions de séance qu'il le faudra pour vous permettre de vous renseigner auprès de vos conseillers.

En tout cas, chapeau pour le pluralisme, et bonjour les lobbies !

[...]

Dans le même esprit que les orateurs précédents, je tiens à remercier notre collègue Patrice Martin-Lalande pour cet amendement empreint d'un grand humanisme.

À une époque où nous aimons tous parler de politique de civilisation, votre laconisme sur la civilisation numérique me surprend, madame la ministre, alors que, historiquement dans notre République, votre ministère est celui des libertés nouvelles, des terres à défricher. C'est comme si vous étiez restée à Versailles – en effet, M. Brard avait raison de rappeler votre parcours –, mais le Versailles d'un autre siècle.

Qu'y a-t-il d'essentiel dans cet amendement ? L'idée que depuis les années soixante-dix, depuis une trentaine d'années, nous sommes entrés progressivement dans la civilisation numérique, quittant peu à peu la civilisation industrielle, et qu'il faut en tirer les conséquences dans le domaine de la vie privée comme celui de la vie de la cité numérique. Cela passe par la reconnaissance de droits. Actuellement, la liberté de communication s'appelle droit d'accès à Internet. Or, porter attente à la liberté de communication, c'est porter atteinte à un droit fondamental. Ce n'est pas une simple commodité de vie quotidienne, monsieur le rapporteur !

C'est le droit à la communication, la liberté de communiquer avec les autres, donc un droit essentiel.

Cela étant, je crains le vote sur cet amendement, monsieur Martin-Lalande, car la majorité n'est pas préparée à ce type de débat. Elle est venue pour un texte qui aurait pu être rebaptisé Surveiller et punir, alors le concept de liberté de communication lui est assez étranger. Tout au long de ce débat, avec les bons interprètes présents, nous allons essayer de faire en sorte que cette langue étrangère, celle d'une civilisation nouvelle, devienne celle de la représentation nationale. En guise de premier travail pratique, je vous propose de voter l'amendement de M. Martin-Lalande.

[...]

Je veux dire à M. le rapporteur et à Mme la ministre que ces questions de principe seront examinées à la loupe par le Conseil constitutionnel, que nous saisirons évidemment, et aussi par les juristes. Peut-être faut-il d'ailleurs consulter ceux du ministère de la culture ; en tout cas, et je m'adresse aussi au président de la commission des lois, il faudrait veiller à répondre aux amendements en discussion, et non à celui qui les a précédés. L'amendement de Patrice Martin-Lalande concernait le droit d'accès ; ceux dont nous discutons ont pour objet de déterminer comment préserver certaines libertés fondamentales par rapport à l'usage de l'Internet. Je vous renvoie, au besoin, à l'excellent rapport du 6 janvier 2009 du Parlement européen, relatif au renforcement de la sécurité et des libertés fondamentales sur l'Internet.

Votre texte, madame la ministre, touche en effet à plusieurs libertés : celle qui relève de la vie privée ; la liberté d'expression et de communication ; celle, enfin et surtout, des droits de la défense s'agissant des libertés fondamentales. C'est pourquoi notre amendement, qui n'a rien à voir avec l'installation des tuyaux dans les hautes vallées alpines ou pyrénéennes, pose la question de l'exercice de ces trois libertés : « Aucune restriction aux droits fondamentaux et aux libertés des utilisateurs de service de communication au public en ligne ne peut être imposée sans une décision préalable des autorités judiciaires. » Il ne s'agit pas du droit d'accès ou de la fracture numérique, mais d'un problème juridique essentiel. Comment préserver, sous le contrôle du juge, certaines libertés fondamentales dans la civilisation numérique ? On ne peut comparer une question de vie privée et de liberté d'expression ou de communication au dopage. Puisque vous persistez à vouloir surveiller et punir, madame la ministre, que ce soit au moins sous le contrôle du juge et non sous celui, inconséquent, de je ne sais quelle autorité administrative.

[...]

Après l'intervention de M. Kert, il me semble important d'éclairer nos débats sur un point. Pendant notre discussion, qui s'étendra sur plusieurs semaines, je souhaiterais que nous bannissions de notre vocabulaire les termes « pirate » et « piraterie ».

Si l'on veut aller dans le sens d'une clarification juridique, il faut savoir que les mots ont un sens. Pour avoir été enseignant dans une vie antérieure, monsieur Geoffroy, vous le savez bien.

Le mot de piraterie désigne une forme de banditisme pratiqué sur mer.

La piraterie est sanctionnée dans le droit maritime. Il existe une convention des Nations unies relative au droit de la mer, dont je ne vous lirai pas le texte à ce stade du débat. Je le ferai cependant, à titre de représailles, si un de nos collègues emploie une nouvelle fois le mot de piraterie, qui ne correspond ni à la pratique du peer to peer ni à celle du téléchargement.

11/03/2009 Débats HADOPI : DADVSI, question préalable, surveillance, sanctions, streaming, accords de l'Élysée, riposte graduée, échanges sur Internet, gratuité, pressions de l'Élysée, listes blanches, contribution créative

Je m'adresse au rapporteur M. Franck Riester, ainsi qu'au rapporteur pour avis M. Bernard Gérard, présents dans l'hémicycle, afin qu'ils nous aident à clarifier les choix de la majorité et à bien ordonner nos débats. Nous venons d'entendre Mme Marland-Militello – et elle a raison – souligner que cette nouvelle loi tourne une page puisque, aux termes de la loi précédente, l'équilibre avait disparu entre deux libertés : celle des internautes et celle des artistes.

Il s'agit de faire en sorte que les rapporteurs jouent totalement leur rôle.

Je renvoie au rapport de M. Riester qui écrit exactement le contraire de ce que vient de déclarer Mme Marland-Militello, puisqu'on peut y lire, page 10 : « Le projet de loi soumis à l'examen de l'Assemblée nationale n'entend pas revenir sur l'équilibre trouvé lors de la discussion de la loi du 1er août 2006, dite DADVSI [...]. »

Je demande donc aux deux rapporteurs présents de se mettre d'accord.

[...]

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous aimerions très sincèrement tourner la page obscure d'une époque où le Parlement n'est saisi de culture que pour surveiller et punir. Ce soir, pourtant, nous sommes invités à faire un choix de société, de civilisation, entre une culture numérique ouverte et cette fable archaïque qu'est la chasse aux pirates.

Le monde d'après s'invente aujourd'hui. Notre confrontation n'est pas une discussion de technophiles. Il n'y est pas simplement question de choix techniques, mais d'orientations plus fondamentales pour nos vies et pour la société que nous choisissons de bâtir. Il ne s'agit pas non plus de siffler la fin de la récréation – une récréation durant laquelle, selon les propagandes en vigueur, une génération de délinquants juvéniles aurait pillé sans scrupule la musique et le cinéma, comme des collégiens indélicats s'en seraient pris à l'étal du pâtissier ou aux rayons du libraire.

Nous ne sommes pas non plus ici pour graduer l'échelle des délits et des peines – comme vous l'avez fait il y a un instant, madame la ministre –, pour inventer des parades techniques toujours illusoires et toujours contournables, pour culpabiliser ou dénoncer, pour légiférer sans jamais rien régler. En vous écoutant tout à l'heure, j'éprouvais un étrange sentiment de malaise : j'avais l'impression que la place Vendôme, le ministère de la justice, s'était emparée du très beau ministère de la rue de Valois et y avait pris le pouvoir.

Non, madame la ministre, c'est un débat sur la société que nous voulons. Nous sommes à un tournant de l'histoire de la culture, pour écrire deux libertés – celle des artistes et celle du public – et pour les rendre mutuellement acceptables. Le débat que nous abordons ce soir est donc, j'ose le dire, le plus important débat de politique culturelle de cette législature.

Depuis plus d'une décennie, ceux qui gouvernent la culture font preuve d'un redoutable aveuglement. La plupart des immenses débats sur l'accès du plus grand nombre aux créations artistiques, ces débats qui remuèrent le ciel d'Avignon au temps de Jean Vilar, sont aujourd'hui taris. Les choix innovants de soutien à la création, aux artistes, à l'économie culturelle, qui ont permis depuis les années quatre-vingt de maintenir une capacité de production musicale et cinématographique, ne trouvent pas aujourd'hui de dignes successeurs. Il est profondément regrettable que, faute pour certains d'avoir compris que pour une ou deux générations, l'éternel combat pour la démocratie et la culture se jouait là, avec la révolution numérique, les nouveaux défis se réduisent à d'interminables controverses pour ou contre le téléchargement.

À cette fable déjà dépassée, nous opposons un récit qui nous paraît autrement plus fondateur : celui de la révolution numérique, qui transforme les conditions de la création. Artistes et producteurs le reconnaissent : elle transforme l'accès aux œuvres de l'esprit, devenu infiniment plus facile, et elle rend possible leur partage désintéressé et sans limites. Elle est l'occasion de conquérir de nouvelles libertés. Ce n'est pas la vulgaire aubaine du voleur de poules que décrivent jusqu'à la caricature les zélateurs de l'ordre ancien.

La révolution numérique transforme aussi les conditions de la diffusion des œuvres. C'est pourquoi nous souhaitons offrir au débat une nouvelle vision des droits d'auteur. Nous pensons en effet que nous les défendons mieux, en les adaptant, que ceux qui tentent de les figer, de les congeler dans le passé, au risque d'être les bâtisseurs naïfs d'un rempart de papier.

Nous ne vous laisserons pas dire qu'au Parlement ou ailleurs, le clivage séparerait ceux qui défendent les droits d'auteur et ceux qui les contestent ou les ignorent au profit d'une consommation sauvage et sans règles. En réalité, le débat sera entre ceux qui se réfugient dans une croisade moyenâgeuse pour le statu quo et ceux qui recherchent un nouvel équilibre des droits.

Là est notre différence. Les droits d'auteur ont survécu depuis deux siècles pour protéger les créateurs contre des intérêts concurrents qui les appauvrissaient, et souvent pour protéger le faible contre le fort. Leur raison d'être n'est pas d'opposer les artistes au public.

À l'âge numérique, des droits d'auteur protecteurs et rémunérateurs sont tout aussi indispensables qu'au xxe siècle – non pas tant contre le téléchargement que contre les positions dominantes des majors, des opérateurs de télécommunications ou des géants de l'industrie numérique. Il nous faut, comme Beaumarchais, préserver les créateurs du bénévolat et de la mendicité, plutôt que de défendre les rentes de nouveaux féodaux.

Il est dommage que M. Lefebvre soit déjà parti car j'aurais aimé lui dire que la révolution numérique nous oblige à imaginer une nouvelle exception culturelle, rendue possible par des rémunérations et des soutiens inédits à la création. La radio, la télévision, la vidéo n'ont tué ni le cinéma, ni la musique. À chaque étape, certes au prix d'adaptations radicales, la France a su envoyer un message positif et progressiste, plutôt que de nourrir d'improbables batailles d'arrière-garde.

De tout cela, il n'est malheureusement pas dit un mot dans la loi exclusivement répressive qui vient devant l'Assemblée nationale et qui divise tous les partis. Pourtant, l'urgence est là. Nous allons donc nous efforcer durant ce débat de vous ouvrir les yeux sur les usages et les nouveaux modèles économiques.

Votre texte nous invite à passer à côté de la transformation de l'économie qui renouvelle radicalement la création, l'édition, la diffusion et l'usage de la musique, du cinéma et, demain, des textes.

Avec les forfaits 3G illimités, avec la fibre optique à domicile, le haut débit quasiment partout, les objets nomades, la marche en avant des technologies se poursuit inexorablement. Elle ouvre, à domicile comme en mobilité, un champ immense de possibles. De nouvelles pratiques de consommation, de production et de diffusion des œuvres émergent. Leur apparition est provoquée moins par l'accroissement vertigineux des débits que par l'assimilation progressive par notre société des principes fondateurs de l'Internet et des possibilités qu'ils ouvrent.

Tous les appareils interconnectés par le « réseau des réseaux » y sont en effet fondamentalement égaux. Ils peuvent être diffuseurs autant que lecteurs de tous types d'informations et de contenus – y compris de contenus culturels. La copie, à coût nul, le partage et l'échange non lucratifs ont pris une place grandissante dans nos vies quotidiennes.

Nous avons la chance fabuleuse d'être les témoins et, pour beaucoup d'entre nous, les acteurs de plus en plus nombreux d'une grande mutation dans notre rapport à l'information et à la culture. Nos petits-enfants trouveront probablement saugrenu, pour ne pas dire archéologique, que nous ayons eu à nous déplacer en magasin pour acheter un CD ou un DVD, afin d'écouter une chanson ou de visionner un film. Peut-être trouveront-ils également bien étrange l'idée qu'il leur aurait été interdit en ce temps-là – le nôtre – d'échantillonner, de mélanger, de modifier, de proposer leur version des œuvres constitutives de leur culture ou des logiciels qu'ils utilisent dans leur vie quotidienne numérique. Cela rappellera un temps où nous étions des consommateurs très passifs, voire captifs, de culture et d'information. Ce temps paraîtra tellement figé et inconfortable !

C'est vrai, la musique cherche son futur. Les années récentes ont vu l'émergence et la cohabitation des nouveaux modèles : vente sur les plates-formes, iTunes en particulier, abonnements, sites gratuits de streaming financés par la publicité. La quasi-totalité des contenus musicaux sont aujourd'hui, légalement – au sens où vous l'entendez, madame la ministre – ou non, pour la plupart disponibles en ligne. Sous une forme souvent peu attrayante, en des copies de qualité aléatoire disponibles sur les réseaux peer to peer, ou via des offres innovantes, le plus souvent acquittées au forfait, qui séduisent peu à peu les Français. Pour ma part, j'aime fréquenter Jiwa, un site commercial gratuit, où l'on peut trouver des millions de titres en écoute libre, comme sur Deezer, cher à Patrick Bloche, ou musicMe, qu'affectionne Didier Mathus.

Le site de Jiwa n'est pas pourchassé par les majors, il est même permis de penser que celles-ci l'ont inspiré et nourri. On gagnerait d'ailleurs à savoir comment, sur ce site comme sur les autres sites de streaming, sont rétribués équitablement les artistes. Ce site me permet d'écouter des albums entiers, sans limite, sans même avoir besoin de les télécharger. J'y ai découvert ainsi, au fil du temps, les artistes Camille ou Rokia Traoré. Comme j'en ai fait la confidence à Mme la ministre, j'y ai même écouté, gratuitement et en streaming, le dernier album de Carla Bruni !

C'est dire, madame la ministre, à quel point la vraie vie est loin du protectionnisme de votre texte, devenu furieusement ringard. Mais puisque vous aimez parler de pédagogie, pouvez-vous me dire comment expliquer à un adolescent de quinze ans que, s'il peut écouter toute la musique du monde en streaming sans être inquiété, en revanche télécharger et partager les mêmes titres, même s'ils sont infiniment moins nombreux, est illégal et menace la connexion Internet de toute la famille ? Pour qu'une loi ait une valeur pédagogique, il faut qu'elle soit crédible et juste ! Votre loi, elle, fait déjà partie de la longue traîne des lois aveugles.

Par ailleurs, je veux rappeler à nos collègues de l'UMP que la pédagogie exige un minimum de vertu.

Peut-être l'UMP a-t-elle confondu téléchargement et contrefaçon, toujours est-il qu'elle s'est rendue coupable de contrefaçon en diffusant, sans autorisation, une chanson du groupe de rock MGMT lors de ses congrès.

Plus grave encore, l'interprétation du titre lors du meeting ne nécessitait pas l'autorisation de ce groupe, mais l'enregistrement du meeting et sa diffusion sur Internet l'exigeaient. C'est une première faute.

Deuxième faute, monsieur Riester : introduire la chanson sur un support vidéo diffusé sans autorisation peut être sanctionné, pour contrefaçon, de trois ans de prison et de 300 000 euros d'amende dans la législation actuelle. Législation que vous n'entendez pas abolir : c'est écrit dans votre rapport.

M. Xavier Bertrand s'est contenté de dire qu'il allait proposer un euro symbolique à MGMT. C'est ce qu'on appelle sans doute, à l'UMP, la responsabilisation et la reconnaissance pour les artistes.

J'en reviens, madame la ministre, à mon propos.

Il est bon d'illustrer son propos !

Je voudrais maintenant faire un voyage de quelques instants dans le cimetière des idées fausses, très nombreuses dans ce texte.

Les orientations que vous défendez exigent de notre part un réquisitoire global, argumenté et implacable. C'est une incroyable saga, avec tous ses rebondissements, que Patrick Bloche a résumée comme un feuilleton. Reconnaissez-le, vous aussi, la controverse traverse tous les partis. À cet égard, je salue la constance, depuis trois ans, de quelques mousquetaires de la majorité, qui sont restés fidèles à leurs convictions, malgré les pressions de M. Copé.

Les derniers jours ont amené l'extraordinaire coming out du rapporteur de la loi DADVSI, M. Vanneste, désormais adversaire irréductible de vos choix, et la vibrante dénonciation de Jacques Attali, qui avait d'ailleurs dénoncé ce texte dans son rapport, dont le Président de la République avait pourtant dit à l'époque : « Je prends tout le rapport Attali », y compris la critique de votre croisade anti-pirates. Les derniers jours nous ont encore amenés au plaidoyer très efficace de l'UFC-Que Choisir – je vous invite à le lire –ou au travail d'expertise citoyenne exceptionnel de la Quadrature du Net, porte-parole de millions d'internautes, et qu'on ne saurait mépriser et résumer, comme l'a fait un de vos conseillers auprès de l'AFP, à « cinq gus dans un garage ». J'ai pensé que c'était là la marque de mépris d'un cabinet ministériel – nous avons l'habitude. Mais vous-même avez évoqué ces millions de « parasites » – je crois que c'était votre terme – qui téléchargent.

Ce sont là des symptômes : il n'y a aucun consensus, ni en France ni en Europe, autour de ce texte. Il y a au contraire un rejet massif, de multiples origines.

Et puis s'est déployé un débat normal, passionnant, au sein des groupes parlementaires – y compris le nôtre –, parfois partagés, au sein des partis politiques. Faut-il s'en plaindre ? En tout cas, le mien a tranché, enfin, et dans la bonne direction. J'en suis fier.

M. Lefebvre, s'il était là, pourrait voir, sur la dépêche de l'AFP qui résumait hier soir notre position, comment le parti socialiste, avec Martine Aubry, vous reproche d'opposer le droit d'auteur à la protection de la vie privée des internautes. Le parti socialiste rappelait encore hier soir que ce texte ne rapportera pas un euro de plus à la création artistique et que c'était un pari perdu d'avance. Vous vouliez une position claire : vous l'avez !

Première idée fausse : la loi DADVSI de 2006 garderait toutes ses vertus. Eh bien non ! Madame la ministre, il faut avoir le courage du devoir d'inventaire, il faut faire haut et fort le constat d'échec de la loi DADVSI. Or ce sont les mêmes, dans cet hémicycle et dans l'industrie culturelle, qui ont conçu cette loi mort-née, qui veulent aujourd'hui nous imposer la loi abusivement appelée « Internet et création ».

Une évaluation sincère s'imposerait. Elle serait brève et peu coûteuse. L'autorité créée à l'époque ne s'est jamais réunie. Elle n'a pas travaillé. Pendant des années, cette question a été laissée à l'abandon. Les rapporteurs ne sont même pas d'accord d'entre eux. M. Riester, qui a disparu, un intermittent du banc peut-être...

Quand on a l'honneur d'être le rapporteur d'un texte comme celui-là, on est assidu à son banc, monsieur Warsmann.

Si vous considérez, encore une fois, que l'opposition est de trop dans cet hémicycle quand il s'agit de défendre les libertés, dites-le et je m'arrêterai ! Après le bâton, le bâillon : on connaît vos méthodes !

Les deux rapporteurs ne sont pas d'accord, et il faudra bien qu'ils s'en expliquent. Mme Marland-Militello nous dit que la loi DADVSI est une page qu'il faut tourner, tandis que M. Riester, qui n'est pas là, indique dans son rapport qu'il ne faut pas toucher aux bons équilibres de la loi DADVSI.

Madame la ministre, la loi DADVSI est un fiasco législatif qui témoigne de l'impuissance publique – c'était d'ailleurs le titre prémonitoire, il y a vingt ans, d'un livre de Denis Olivennes – à appréhender les défis contemporains.

La loi DADVSI est inappliquée et inapplicable, se reposant sur la magie des DRM et proposant comme réponse miracle le mirage des plateformes de vente au morceau en ligne et défendant, comme vous le faites aujourd'hui, la sanction disproportionnée plutôt que l'innovation. Voilà pourquoi la loi DADVSI doit être abrogée. Nous avons déposé un amendement en ce sens.

Deuxième idée fausse : le faux consensus de l'Élysée devrait servir de rampe de lancement au présent texte. Les sociétés d'auteurs et les FAI se sont mis d'accord sur la « riposte graduée », pas sur une meilleure rémunération des artistes. S'y opposent ceux qui n'étaient pas conviés autour de la table, dont le tiers état des consommateurs et des citoyens. Mais aussi les artistes-interprètes qui n'étaient pas là. S'en démarquent plusieurs qui l'avaient signé sous intimidation, craignant les représailles – ils nous l'ont confessé. S'en distingue aussi M. Kosciusko-Morizet, au nom de 180 entreprises de l'Internet – il l'a déclaré hier.

Un accord interprofessionnel de cette nature peut-il à lui seul faire la loi au nom de l'intérêt général, en particulier pour régir les rapports avec le public ?

Troisième idée fausse : le téléchargement serait responsable de tous les malheurs de l'industrie culturelle en crise. Ce serait le bouc émissaire parfait. Henri Poincaré disait : « On fait la science avec des faits comme une maison avec des pierres ; mais une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison. »

Il est pratique de faire du téléchargement le bouc émissaire de la crise de la culture. Alors que le pouvoir d'achat des Français a fortement baissé depuis 2002, alors que les nouveaux moyens de communication, la téléphonie mobile en particulier, ou plus simplement le loyer ou le carburant grèvent une part sans cesse croissante du budget de nos concitoyens, nous sommes aujourd'hui sommés de voir dans le seul téléchargement le responsable de tous les maux de l'industrie du disque. C'est un peu court, pour ne pas dire choquant.

Depuis 2005, je demande, avec Patrick Bloche et mes collègues du groupe socialiste, qu'une mission d'information parlementaire dresse enfin un panorama plus juste et équilibré que celui brossé à grands traits dans des études commandées par quelques lobbies. Sans ce nécessaire travail préparatoire, nous ne construisons pas la nouvelle cité numérique où les auteurs et les artistes pourront se voir conférer de nouveaux droits.

Tant de causes expliquent en effet la crise de la musique : déclin du CD amorcé au début des années 2000, marketing des industries culturelles qui ne doivent s'en prendre qu'à elles-mêmes...

Quatrième idée fausse : la gratuité de l'accès rendrait la rémunération de l'artiste impossible. C'est un de vos leitmotiv, la gratuité c'est le vol. Non, madame la ministre, dans ce nouveau monde, la gratuité n'est pas le vol. Si elle n'est pas encore la règle, elle n'est plus l'exception. Le paiement sera-t-il un jour une relique du passé ? L'accès à la culture contre paiement est-il un modèle dépassé ? C'est ce débat-là que nous devrions avoir. Même si de nouvelles pratiques n'éradiquent jamais totalement les plus anciennes, ces questions méritent d'être posées et le constat d'une très large gratuité de l'accès aux musiques et aux films peut être dressé.

La publicité, bien qu'évacuée de la télévision publique, a droit de cité sur les sites musicaux. De nouveaux éditeurs tentent de valoriser les œuvres et de créer des services autour de l'œuvre elle-même. J'ai évoqué tout à l'heure les sites de streaming. Dans une telle situation, imaginer rétablir l'ordre ancien de la rareté des copies par une loi répressive, c'est comme puiser l'eau avec un filet à papillon. Pirater et stocker des fichiers n'est même plus nécessaire. Oui, la création mérite une rémunération équitable, mais celle-ci emprunte aujourd'hui d'autres voies.

Cinquième idée fausse : cette loi permettrait de créer plus de valeur et de mieux rémunérer les artistes. Je le dis solennellement au nom du groupe socialiste : on vend aux artistes une grande illusion sécuritaire là où il faudrait imagination et courage. C'est pourtant ce que persistent à vouloir Nicolas Sarkozy et ses ministres, jamais avares de textes inapplicables, en rédigeant de nouvelles lois prétendant endiguer l'irrépressible.

Madame la ministre, vous défendez une loi de circonstance et de commande, comme pour l'audiovisuel public, la commande du prince qui, déjà en place au ministère de l'intérieur, tenait conclave avec quelques amis du show-business.

Les lobbies, eux, adorent retarder. Ils trouvent toujours pour cela, ici et là, des partisans actifs ou des complices naïfs.

Quant aux artistes, ils ont raison de taper du poing sur la table, car le monde ancien s'effondre. Faut-il pour autant que de mauvaises réponses leur soient servies comme autant de somnifères ?

Sixième idée fausse : la « riposte graduée » serait un dispositif indolore. La surveillance généralisée du net est, au contraire, une horreur juridique et une redoutable transgression. Mille motifs conduisent à rejeter cette loi abusivement baptisée « Internet et création » : surveillance généralisée du net, absence de recours et de procès équitable avant coupure, identification hasardeuse des « coupables ». Il est assez simple d'y voir l'amorce sans précédent d'une surveillance automatisée des échanges. Comme si l'hypersurveillance était notre horizon inévitable ! La CNIL a eu des mots très durs que nous rappellerons dans le débat.

À cela, et comme l'a dit Patrick Bloche, s'ajoute la triple peine. En effet, à la suspension de la connexion s'additionnent la poursuite du paiement de l'abonnement suspendu et la persistance des poursuites civiles ou pénales.

Septième idée fausse : la « riposte graduée » serait un dispositif applicable et sincère. Ce système de contrôle est-il fiable ou au moins praticable ? On a beaucoup parlé de la wifi du voisin. Je vous renvoie au constat d'huissier que vous pourrez trouver sur le site de l'UFC-Que Choisir. Me Eric Albou, huissier devant le tribunal de grande instance de Paris, qui va entrer dans l'histoire grâce au Journal officiel, a en effet procédé à des tests qui l'ont conduit à dire que n'importe qui peut télécharger depuis votre connexion wifi, y compris quand cette dernière est munie d'une sécurité.

Deuxième constat de cet huissier : les bornes wifi sont de véritables paradis pour télécharger anonymement. Certaines sont sécurisées mais elles sont très souvent libres. Il y en a 37 000 en France.

Vous avez inventé un concept extraordinaire pour prévenir le téléchargement anonyme sur les bornes wifi. Devant la commission des affaires culturelles, qui ne s'en est pas remise – c'est si vrai que son président n'est pas là aujourd'hui –, vous avez dit envisager la création de « listes blanches » prétendant sélectionner les sites dignes de l'intérêt de ceux qui se connectent à l'Internet par des points d'accès publics !

Je le dis aux milliers d'internautes qui assistent à ce débat grâce à l'Internet, qui n'est pas encore totalement filtré. C'est un non-sens absolu, une architecture ubuesque que la plupart des États autocratiques sentent eux-mêmes, et heureusement, hors de portée.

Il y a donc une disproportion totale entre cette confiscation des libertés numériques et les buts que vous poursuivez.

Le catalogue des idées fausses pourrait s'arrêter là. Patrick Bloche a évoqué les réactions européennes, je voudrais pour ma part évoquer la propagande abondante qui s'est abattue sur nous depuis quelques semaines. Elle prend la forme d'incroyables sophismes comme celui-ci : « La création va mal – c'est vrai ; le téléchargement, c'est le mal – ce qui est moins vrai ; donc, combattre le piratage, c'est faire du bien à la culture. » J'y vois une forme de jdanovisme mondain qui renseigne surtout sur la pauvreté de l'inspiration actuelle de notre politique culturelle.

Mais venons-en à nos propositions. Le temps est venu d'écrire les nouveaux droits d'auteur de l'âge numérique. Par un grand débat ici, puis par un débat international, et non par un faux consensus forcé, fût-il dicté par l'Élysée.

Où se situent les vraies priorités ? Nul ne conteste la nécessité de règles. Mais tout indique qu'elles doivent régir en priorité les rapports économiques, que vous avez laissés à l'état de jungle, entre les auteurs, les artistes – dont les interprètes –, les producteurs, les éditeurs, les géants du commerce informationnel et des réseaux de communication. Là, plus que dans ce que vous nommez « piratage », se trouve le triangle des Bermudes qui engloutit les droits des créateurs, le respect dû aux œuvres de l'esprit et leur rémunération.

La bataille principale ne doit plus être livrée contre le piratage mais contre le contrôle des principaux canaux de diffusion de la musique, et demain du cinéma. Aujourd'hui, Apple a conquis la première place, presque monopolistique.

Il faut lever les blocages. Les créateurs et les artistes sont mal rémunérés dans les partages qui s'instaurent. Sur iTunes, près de 80 % des recettes vont au producteur et une petite minorité aux artistes ! La valorisation via l'offre commerciale ne décolle pas. En effet, les éditeurs peinent pour accéder aux catalogues à des prix décents, et le coût des bandes passantes facturé par les opérateurs de télécoms empêche les nouveaux modèles d'être rentables. Nombre d'artistes entreprennent d'ailleurs de se produire eux-mêmes pour échapper à ce qu'ils considèrent comme un racket.

Ainsi, pendant que l'on traque l'internaute qui partage des fichiers musicaux à des fins non lucratives, un monde mal régulé, celui des échanges culturels marchands, peine à rechercher un nouvel équilibre des droits.

Une nouvelle exception culturelle française est possible. Elle ne passe pas par une dérisoire « riposte graduée ». Ouvrons plutôt le chantier d'une contribution créative, dont les revenus manquent cruellement aux acteurs du monde de la culture et aux artistes.

Nous avons travaillé depuis quatre ans, et cette contribution créative n'est pas une version mise à jour de la licence globale. Il s'agit davantage de ce que les juristes nommeraient une licence collective étendue.

L'Internet doit financer la création, là est l'essentiel de la réponse ; comme la télévision a su financer le cinéma depuis les années quatre-vingt. Cela est possible en utilisant la taxe sur les opérateurs, votée ici même : il s'agissait d'une occasion historique, vous en avez fait un détournement de fonds, un racket d'État. Il y aussi les sommes importantes qui vont être engagées par le ministère de la culture pour mettre en place la haute autorité. Enfin, il y a encore les 60 millions d'euros que les FAI vont devoir débourser pour pourvoir à la mise en œuvre de cette loi indigne.

En mettant bout à bout ces trois ressources, l'on assurerait un financement de la musique bien au-delà des désordres actuels : trois cents à quatre cents millions d'euros par an me semblent un objectif raisonnable.

Nous voulons défendre ici l'une des plus belles idées de notre temps : l'idée de l'alliance libre de l'Internet et de la culture. Ce sera notre contribution positive pour échapper à ce cauchemar législatif et surtout pour préparer des temps meilleurs.

16/03/2006 Débats DADVSI : webradios, sanctions, amendement vivendi, copie privée, interopérabilité, logiciel libre

Monsieur le ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, cet amendement vise à garantir l'avenir de la webradio. À l'heure où la rareté des fréquences hertziennes induit une concentration de l'offre musicale autour de quelques stations et une surexposition de titres phares - ce qui a sans doute beaucoup contribué à réduire les revenus des artistes -, la webradio est un vecteur essentiel de la diversité culturelle. C'est pourquoi nous vous invitons à en prendre la défense, d'autant qu'elle assure au public un accès licite à la musique.

Mais elle est aujourd'hui handicapée par un cadre juridique incertain. La tentative de règlement contractuel webcasteurs-producteurs a en effet échoué en raison d'un différend entre producteurs et artistes sur l'exercice des droits numériques de ces derniers. La situation d'insécurité juridique qui en résulte nuit gravement aux initiatives et aux investissements. C'est donc bien l'avenir de la radio, ainsi que des centaines d'emplois qui sont en jeu. Tous les portails et sites web français ayant des projets de webradios publics ou privés sont à l'arrêt depuis plus de deux ans en raison d'une l'incertitude juridique quant au régime applicable ; un secteur entier se retrouve ainsi en panne. Les seules offres de webradios françaises restent cantonnées à une rediffusion en ligne simultanée et intégrale de leur programme hertzien, exploitation d'ailleurs couverte par le régime de licence légale.

L'écoute de la radio en ligne progresse avec l'essor du haut débit. Bientôt, les auditeurs se connecteront grâce aux nouveaux matériels qui se diffusent progressivement dans le grand public. Malheureusement, cet essor ne profite ni aux sociétés ni aux artistes français car l'audience se répartit aujourd'hui autour de quelques centaines de radios essentiellement étrangères. Nous devons remédier à cette situation.

Afin de prendre en compte les évolutions technologiques favorisant la convergence, d'assurer des conditions de concurrence loyales et de faire cesser la discrimination dont sont victimes les webradios, il est urgent de redéfinir le champ de la licence légale en fonction du mode d'accès aux œuvres - qu'il soit en flux continu ou à la demande - dans le respect du droit communautaire et des traités internationaux.

En effet, si la législation internationale affirme un droit de rémunération au titre des droits voisins dans le cadre des services en ligne, le droit exclusif ne s'applique que lorsque l'œuvre est mise à la disposition du public à la demande, de manière à ce que chacun puisse avoir accès de l'endroit et au moment qu'il choisit individuellement.

Or cette définition ne s'applique pas aux services de diffusion numérique en flux continu, car l'œuvre n'est pas accessible au moment choisi individuellement : elle est incorporée dans une programmation identique pour tous, qu'il n'est pas possible d'individualiser ou d'influencer.

Telles sont les raisons pour lesquelles nous vous proposons de modifier le troisième alinéa de l'article L. 214-1 du code de la propriété intellectuelle.

[...]

Cet amendement, bien qu'il ne comporte que quelques lignes, pourrait être pour les webradios ce que fut la loi sur les radios libres au début des années 80. Si vous aviez été ministre de la culture en ces temps d'innovation technologique, monsieur le ministre, auriez-vous laissé dire que les radios libres pouvaient porter atteinte à la diversité culturelle ? Elles ont au contraire donné un souffle considérable à la diffusion de la musique et permis à des générations de musiciens et de chanteurs français de présenter leurs œuvres et d'épanouir leurs talents. Elles ont été interdites pendant des années et puis, à un moment donné, Jack Lang étant ministre de la culture, le Parlement a fait le choix de les autoriser.

Vous allez sans doute refuser cet amendement, mais sachez au moins pourquoi. Le rapporteur a donné des arguments, mais ce n'est pas ce qui est en cause. Les webradios dont nous parlons, et c'est très clair dans l'exposé sommaire, ont une programmation en flux continu.

Si vous vous inquiétez vraiment pour la rémunération des artistes, travaillons à nouveau ce sujet - on peut le faire dans cette séance - et essayons d'améliorer la licence légale. Il n'est pas question de diffuser des contenus ayant un caractère illicite, il s'agit bien de contenus diffusés de façon légale. Nous avons à reconstruire un système de rémunération. Comme le disait Patrick Bloche, c'est à portée de main. Nous sommes dans la même situation qu'en 1981, quand une avancée était possible. Il faut être capable de la saisir. Ce n'est pas une révolution, ce n'est pas une décision iconoclaste. On peut tout à fait respecter les droits des artistes, y compris les droits exclusifs, qui ne sont pas en cause dans ce type de radios.

Je vous demande vraiment de réfléchir avant de prendre votre décision car le Parlement ne reviendra pas sur la question avant au moins dix-huit mois. Il faudra sans doute y revenir dans dix-huit mois parce que cette loi sera forcément éphémère, y compris pour de telles raisons. Il y aura une poussée très forte de la société et des acteurs les plus innovants, de toutes les sensibilités politiques, pour que le Parlement français prenne enfin une loi de sagesse sur ces questions. N'attendez donc pas dix-huit mois, voire davantage, faites-le ce soir.

[...]

Ce soir, il est surtout le ministre de la justice puisqu'il interpelle les parquets, les tribunaux de notre pays, afin de les mobiliser.

Ce n'est plus le texte de M. Aillagon ni celui du mois de décembre, il s'agit d'un amendement n° 263 qui en est à sa deuxième rectification. C'est dire l'effort qui est fait pour accoucher de ce monstre dont, pour ma part, je ne revendique pas la paternité.

Nous sommes passés, mes chers collègues, de la riposte graduée à la riposte dégradée ! La riposte graduée, c'était au mois de décembre dernier. Le monde entier nous regardait, ébloui par le génie français qui se déployait en particulier dans ce texte. La riposte est dégradée pour plusieurs raisons. D'abord, on est passé de la lumière à l'ombre.

En décembre, c'était le Parlement qui décidait. Au mois de mars, la décision sera prise dans l'ombre des bureaux de la rue de Valois qui rédigeront un décret.

Le ministre a fait état de ses offres de présence, mais comme il a mis deux ans à venir à l'Assemblée nationale, cela nous renvoie au mois de mars 2008 !

Nous sommes passés d'un régime pénal très aggravé, que les juges français répugnaient à mettre en œuvre, à un régime contraventionnel qui constitue, à bien y regarder, tant pour les internautes que pour les artistes, la pire des solutions, en tout cas la plus hypocrite.

Pour les internautes, ce sera l'incertitude juridique totale : 38 euros ou 150 euros, ou bien 38 euros et 150 euros ? Multipliés par combien de contraventions ?

Qu'est-ce qu'un acte de téléchargement ? Nous ne quitterons pas l'Assemblée avant de le savoir, puisque c'est la qualification de la contravention que vous avez définie dans le flou le plus absolu.

Par ailleurs, le dispositif ne sera pas dissuasif. Le téléchargement continuera de plus belle, grâce au déploiement du haut débit et aux contournements qui sont déjà en train d'être imaginés parce qu'il existe en la matière un génie planétaire. Les remparts de papier seront donc très vite contournés. Il s'agit en fait d'une sorte de dépénalisation qui ne dit pas son nom. Ce n'est pas la légalisation. La légalisation, c'est ce que nous avons voulu et proposé au mois de décembre, et certains d'entre vous en étaient d'accord. C'est une sorte de dépénalisation qui ne dit pas vraiment son nom et qui pose nombre de problèmes.

Concrètement, comment les choses vont-elles se passer ? Dans le cas des radars automatiques sur la route, pour reprendre une comparaison qui est souvent faite dans la presse, il existe une base légale précise, et les photos permettent au propriétaire du véhicule de contester l'infraction s'il n'était pas au volant. Ici, sur quoi va-t-on se fonder pour savoir qui était devant le clavier ?

Je ne suis pas le seul à m'inquiéter, d'où mon lapsus délibéré. C'est bien le garde des sceaux que nous voudrions voir ce soir dans l'hémicycle.

Laurence Pécaut-Rivolier, présidente de l'Association nationale des juges d'instance, lesquels formeront un maillon de la chaîne alambiquée - on peut à bon droit parler d'un véritable alambic judiciaire pour qualifier le traitement des infractions - déclarait aujourd'hui : « La navette entre les officiers de police judiciaire et le juge de proximité suppose une procédure très complexe pour chaque infraction. Je ne vois pas comment mettre en branle une machine aussi lourde pour 38 euros, ou même 150 euros d'amende. »

« Les juges de proximité - et nous serons tous d'accord avec elle - n'ont actuellement ni le temps, ni les compétences pour absorber ce travail. » Oui, il faudrait entendre le garde des sceaux.

[...]

Pour sous-amender correctement, encore faudrait-il comprendre ce que souhaite M. Mariani, ce qui, du reste, est relativement simple, mais aussi ce que souhaite M. Wauquiez qui, en revanche, est une fois de plus opaque.

M. Mariani est constant dans la défense de l'amendement « Vivendi-Mariani », se relayant patiemment depuis hier avec M. le rapporteur. Je n'y reviendrai pas : nous avons longuement indiqué qu'à vouloir frapper les éditeurs de logiciels on se trompait de cible puisque les logiciels de peer to peer sont une technologie neutre pouvant faire l'objet d'usages très différents, pour le meilleur comme pour le pire.

Ce sont donc bien les usages illicites qu'il faut viser ou éventuellement les intermédiaires s'ils poursuivent des buts commerciaux au détriment des artistes, dans un cadre manifestement illégal. Or, ceux dont vous parlez sont bien les éditeurs de logiciels.

Il apparaît par conséquent de façon très claire, une fois de plus, monsieur Mariani, que vous vous trompez radicalement de cible. D'ailleurs, les réactions que nous enregistrons depuis hier de la part de toute la communauté du logiciel libre, des innovateurs du logiciel en France qui tous ont écouté vos prises de position avec beaucoup d'attention, nous donnent à penser que vous êtes en train de commettre une colossale erreur de stratégie. C'est ce que semble vouloir signifier la réaction de l'un des meilleurs spécialistes de ces questions, que je lisais encore tout à l'heure, en la personne de M. Philippe Aigrain, que vous connaissez, monsieur Carayon, puisqu'avant d'avoir inspiré nos réflexions, il a inspiré les vôtres.

Nous ne saurions donc un instant accueillir favorablement l'amendement de M. Mariani. Le but de ce sous-amendement n° 327 était, au fond, de lui permettre de retrouver éventuellement un peu de crédit en lui assignant le but de mettre fin à certaines pratiques que nous pouvons d'ailleurs dénoncer d'un commun accord.

Plus étrange est le sous-amendement de M. Wauquiez dont on ne sait réellement qui il vise. En effet, monsieur Wauquiez, si vous semblez à l'oral assez convaincant dans l'exposé des motifs de votre sous-amendement, puisque vous paraissez avoir enfin compris, après sans doute vingt-quatre heures de méditation et de remords qu'un logiciel de peer to peer ne pouvait faire l'objet d'une sanction judiciaire pour les motifs que vous évoquez, vous n'êtes en revanche pas convaincant à l'écrit quand vous sous-amendez l'amendement « Vivendi-Mariani » ou « Mariani-Vivendi », je ne sais plus qui en est le père ou l'auteur ou encore le porteur.

À relire ce que serait l'amendement « Mariani-Vivendi-Wauquiez », au-delà de la nouvelle rédaction que vous proposez du premier alinéa de cet article, reste qu'au deuxième alinéa, c'est bien l'éditeur du logiciel qui est frappé par les mesures que vous souhaitez voir votées par le Parlement.

Vraiment, monsieur Wauquiez, nous ne pouvons pas vous suivre sur ce sous-amendement. Depuis deux jours, nous voyons une méthode cosmétique gagner du terrain : la majorité veut donner l'impression d'entendre le cri de tous ceux qui se révoltent devant les mauvais choix qu'elle fait, mais, quand il s'agit d'écrire précisément la loi, elle se retrouve encore à contresens.

[...]

Vous vous employez - je ne sais si c'est délibérément ou par méconnaissance - à étouffer l'innovation avec ces amendements successifs. Dès ces mesures adoptées, les « déclinologues » ne manqueront pas de les citer en exemple des mauvais choix - un de plus ! - faits pour la France.

Sur le plan juridique, comment cela se passera-t-il concrètement ? Les usagers, les exploitants commerciaux de plateformes de logiciels peer to peer peuvent, certes, être incriminés dans certains cas. Mais que les éditeurs le soient au titre de la responsabilité pour autrui me paraît une construction juridique tout à fait baroque.

Du point de vue informatique - et c'est un débat que nous aurions dû avoir bien en amont de notre discussion dans l'hémicycle -, comment identifier le fautif quand un logiciel de peer to peer aux usages multiples est élaboré, selon les principes du logiciel libre, par dix, cent ou mille développeurs ? On peut se dire que ces amendements ne servent à rien et ne seront jamais appliqués, mais vous ne semblez pas l'entendre ainsi.

On a l'impression ce soir que se révèlent les incohérences qui existent au sein de l'UMP. Au début de l'année, M. Sarkozy avait pris des engagements que nous avions écoutés avec beaucoup d'attention. Puisque ses conseillers se pressent ce soir aux portes de notre hémicycle, sans doute inquiets des positions que vous prenez, je voudrais vous rappeler les engagements qu'il avait pris devant la communauté des arts, des lettres, des éditeurs de logiciels, des internautes et quelques sociétés de droit judicieusement choisies : garantir l'interopérabilité, ne pas empêcher le développement de l'industrie de l'internet et des nouvelles technologies, en particulier du logiciel libre, laisser les innovations telles que les webradios se développer. Mes chers collègues, ce soir vous avez, délibérément ou par méconnaissance, piétiné deux des saints principes que le président de l'UMP avait voulu offrir en étrennes à la France au début de l'année 2006 !

Cela laisse augurer une sérieuse reprise en mains de vos troupes dans les jours à venir !

[...]

Une partie des sommes perçues au titre de la redevance pour copie privée est affectée à des fonds de soutien aux auteurs et aux artistes-interprètes. Cependant l'accès à ces fonds est souvent conditionné à l'adhésion à une société de gestion collective.

Notez bien que notre objectif n'est pas de remettre en cause l'existence ou le fonctionnement de ces sociétés. Nous avons d'ailleurs à de nombreuses reprises, tout au long de ce débat, voulu vous convaincre que la gestion collective des droits constituait une solution, parmi d'autres, promise à un grand avenir à l'ère numérique. Si l'Internet doit financer la culture, nous estimons que c'est en partie par le biais de modes de gestion de ce type, appelés à évoluer.

Mais pour corriger la discrimination qui existe actuellement, notre amendement s'inspire de nouvelles méthodes juridiques de diffusion des œuvres, telles que les licences Creative Commons, en rendant les fonds de soutien accessibles aux non-adhérents des sociétés de gestion.

Vous avez là l'occasion de faire un geste d'ouverture et de montrer que vous êtes à l'écoute de la modernité.

[...]

S'agissant de l'amendement n° 5, nous défendons depuis le début de ce débat, et même depuis le printemps 2005, l'idée selon laquelle tout intéressé - entreprise ou particulier - doit pouvoir demander au président du tribunal de grande instance statuant en référé d'enjoindre sous astreinte à un fournisseur de mesures techniques de fournir les informations essentielles à l'interopérabilité.

Un autre scénario était effectivement possible : le recours au Conseil de la concurrence, ce qui n'était pas une mauvaise idée, monsieur Cazenave. Toutefois le périmètre n'est pas le même. Notre proposition permet aux particuliers, qui ne se trouvent pas dans une logique strictement commerciale, de faire appel au juge. Nous ne voyons, en effet, pas pourquoi le Conseil de la concurrence deviendrait dans notre pays le garant de l'interopérabilité, alors que cette garantie nous paraît relever de la compétence du juge judiciaire et, en l'espèce, du tribunal de grande instance.

Par ailleurs, cet amendement introduit l'idée selon laquelle tout intéressé peut se voir fournir presque gratuitement les informations essentielles à l'interopérabilité. En effet, il prévoit que, seuls, les frais de logistique sont exigibles en contrepartie par le fournisseur.

[...]

Je comprends bien que la commission, en refusant cette seconde délibération, entend en quelque sorte voter une seconde fois l'amendement Vivendi. C'est sa responsabilité, mais il était de la nôtre de proposer de le réécrire afin de préserver les intérêts des éditeurs de logiciels libres français et de soutenir l'innovation. Nous savons bien que vous êtes majoritaires et que vous pouvez imposer ce soir vos décisions, mais nous savons aussi que, depuis plusieurs semaines, une bataille d'idées s'est engagée dont nous avons le sentiment que nous sommes en train de la gagner.

Nous avons souhaité, avec tous nos collègues socialistes et communistes, utiliser ce soir toutes les ressources de la procédure pour éviter les conséquences gravissimes qu'auront de nombreux articles de cette loi. Cela nous a ainsi conduits à demander une réunion de la commission des lois, qui s'est en effet déroulée dans le climat qu'a décrit Patrick Bloche, et à amender la deuxième rédaction de l'article 7 proposée par M. Cazenave. Nous avons fait feu de tout bois jusqu'à quatre heures du matin pour tenter d'améliorer ce texte. Nous n'y sommes hélas parvenus que sur un article, sur la trentaine que compte ce texte, celui relatif à l'interopérabilité.

Monsieur le président, il n'y a rien de consensuel ni d'œcuménique dans notre démarche. Ce texte demeure très mauvais. Un mauvais texte donnera probablement une mauvaise loi. Reste à espérer que le Sénat l'améliorera. Notre rôle a été de nous battre pied à pied, de pointer les erreurs et les mauvais choix du Gouvernement et leurs conséquences gravissimes.

Ne vous méprenez pas sur notre état d'esprit ! Même si nous avons voulu, à chaque instant, apporter notre contribution, cela n'a été possible que bien peu de fois. Outre le coup d'arrêt porté en décembre dernier, seules deux avancées considérables ont été réalisées : l'exception prévue pour les bibliothèques et les mesures que nous venons de voter sur l'interopérabilité.

Telle est, ni plus, ni moins, la photographie de nos débats. Nous n'en tirons ni gloire, ni avantage, mais il m'apparaissait important que nous nous quittions ce matin sur une vision précise de ce qui s'est déroulé depuis plusieurs semaines dans cette assemblée.

16/03/2006 Débats DADVSI : sanctions, DRM, logiciel libre

Monsieur le ministre, je ne peux m'empêcher de vous faire une réflexion, que beaucoup d'entre nous, je crois, partagent. Quand nous avons repris le débat il y a quinze jours, nous étions persuadés de pouvoir enfin participer à un grand débat de politique culturelle. Nous pensions qu'était enfin venu le temps de débattre de la manière dont l'Internet allait faciliter l'accès à la culture, des solutions concrètes que vous alliez proposer, qui concilieraient le respect du droit des auteurs et cet objectif de culture pour tous, qui doit être, me semble-t-il, le but de tout ministre de la culture. Or hier, nous avons eu l'impression d'entendre un ministre de l'intérieur bis, mettant en place sa police de l'Internet, et aujourd'hui, plutôt un garde des sceaux bis, égrenant, tel un moderne Beccaria, son échelle des délits et des peines.

Il vous reste quelques heures, monsieur le ministre, pour prouver qu'il existe encore en France un ministère de la culture, et non pas simplement un nouveau rédacteur du code pénal. La lecture de nos débats témoigne du temps que nous avons consacré aux différents sujets : on a beaucoup parlé de business et de répression, mais pas beaucoup de culture !

S'agissant de l'article 14, je souhaiterais savoir comment vous entendez faire constater ces infractions.

Nous n'avons toujours pas compris, tant vos réponses furent évasives, si nous étions dans le modèle du radar automatique ou dans celui de la contredanse pour stationnement interdit.

S'agit-il d'automatiser ces constats ? À ma connaissance, il n'existe à ce jour aucune base légale pour utiliser un constat automatique des contraventions de téléchargement, ce qui risque de vous causer quelques soucis avec la CNIL, le Conseil constitutionnel et peut-être les associations d'intérêt public qui défendent les intérêts des consommateurs. S'agit-il de procéder à des sortes de prises d'otages auxquelles on assiste depuis un an et demi, qui consistent à sélectionner quelques internautes pour les conduire devant les tribunaux ? Quelle serait la valeur d'un tel constat dès lors qu'il n'existe aucune base légale pour asseoir la force probante d'un constat informatisé des contraventions pour téléchargement ? Comment seraient collectées ces infractions ? Telles sont les questions que pose l'article 14.

[...]

Je disais donc, avant d'être interrompu, que la directive précise dans son article 6-3 que les mesures techniques justifiant une protection juridique ont pour objet de prémunir contre « les actes non autorisés par le titulaire d'un droit » et dans son article 6-4 qu'elles ne doivent pas porter atteinte au bénéfice des limitations ou exceptions légales, notamment de copie privée. Il y a donc lieu d'exclure du nouveau délit de contournement visant à assurer la protection juridique requise par la directive, les actes portant sur des mesures de protection ou informations électroniques appliquées à des œuvres n'étant plus soumises au droit exclusif d'autoriser - celles qui sont dans le domaine public - ainsi que ceux ayant pour seul objet l'exercice des usages licites du consommateur - accès à l'œuvre, copie privée notamment. La légitimité d'un contournement ne trouve donc pas nécessairement sa source dans l'acquisition de droits sur une œuvre et toute référence, réductrice, à une telle acquisition doit être supprimée.

[...]

Ce sous-amendement qui vise à défendre les consommateurs - argument auquel vous serez certainement sensibles, mes chers collègues - est très proche d'un autre sous-amendement déposé à l'article 13. Mais comme l'a souligné le ministre, il y a une continuité entre l'article 13 et l'article 14, ce dernier n'étant que la poursuite de la répression par d'autres moyens.

Les consommateurs sont aujourd'hui confrontés à une multiplication des systèmes de protection auxquels recourent certains éditeurs pour contrôler les usages possibles d'une œuvre. Ces systèmes ne sont pas sans conséquences sur la capacité des consommateurs à lire les copies qu'ils acquièrent légalement sur leurs appareils habituels.

Le présent sous-amendement vise donc à garantir le droit du consommateur à faire toute copie nécessaire au contournement d'une limitation dont il n'a pas été informé lors de l'achat afin d'écouter l'œuvre grâce à l'appareil qu'il pensait légitimement pouvoir utiliser.

[...]

Ce sous-amendement vise à compléter l'article 14 par le paragraphe suivant : « Les dispositions du présent titre ne permettent pas d'interdire la publication du code source et de la documentation technique d'un logiciel indépendant interopérant pour des usages licites avec une mesure technique de protection d'une œuvre. »

Cette rédaction peut paraître ésotérique, mais elle est d'une grande importance. Elle vise à s'assurer que le logiciel libre ne sera pas affecté par les dispositions prévues pour réprimer le contournement des mesures techniques de protection à des fins de contrefaçon, épée de Damoclès qui pèse sur la tête des développeurs de logiciels libres depuis l'adoption d'un fameux amendement que beaucoup de députés de la majorité considèrent comme détestable en leur for intérieur.

Le sous-amendement se justifie par la nature juridique du logiciel libre. Je rappelle à cette occasion ce qui définit le logiciel libre et ce sera peut-être la première fois au Parlement que l'on prend le temps de comprendre quelle réalité il recouvre. Un logiciel est dit libre si sa licence d'utilisation donne quatre libertés à son utilisateur : celle d'exécuter le logiciel, comme il le souhaite, sans avoir à payer quoi que ce soit, et j'insiste sur ce point ; celle d'étudier le fonctionnement de ce logiciel ; celle de le modifier ; enfin, celle de le redistribuer.

Ces quatre libertés imposent, en pratique, la fourniture du code source du logiciel, en l'absence duquel les développeurs doivent passer par des démarches extrêmement longues et coûteuses, que seuls quelques-uns sont en mesure d'entreprendre.

Ce sous-amendement est très attendu par tous ceux qui ont à cœur que le développement du logiciel libre ne soit pas durablement freiné par des décisions trop hâtives et insuffisamment éclairées.

15/03/2006 Débats DADVSI : amendement vivendi, sanctions, standards ouverts, interopérabilité, sécurité

Patrick Bloche vous l'a dit avec force, nous voyons dans cette charrette d'amendements « Vivendi » un risque immense. Si de tels dispositifs avaient existé il y a quelques années, le peer-to-peer n'aurait peut-être jamais vu le jour. Or le peer-to-peer n'est pas le diable. Ce sont des logiciels d'un enjeu considérable pour l'Internet, puisqu'ils permettent, à grande échelle et de façon particulièrement efficace, le partage à la fois de contenus - y compris légaux selon votre logique - et de logiciels libres. Il y a également un enjeu d'optimisation de la bande passante. Le peer-to-peer est donc en quelque sorte consubstantiel à l'Internet, en tout cas un outil essentiel.

La confusion est volontairement entretenue entre des logiciels indispensables et des sites ou des usages qui peuvent être discutables. Nous ne sommes pas d'accord sur le traitement à réserver aux échanges musicaux grâce aux logiciels de peer-to-peer : nous souhaitons les légaliser, vous entendez les interdire. Mais ne confondez pas l'outil et l'usage, les logiciels de peer-to-peer et les usages qui en sont faits ! C'est comme si l'on supprimait les fusils de chasse sous prétexte que Dick Cheney a provoqué un accident ! On ne doit pas confondre l'arme et la manière de s'en servir.

Se battre contre le peer-to-peer - donc voter ces amendements -, c'est vraiment se battre contre l'Internet.

M. Frédéric Dutoit. Très juste !

M. Christian Paul.

Vous pouvez essayer, mais c'est une vague qui vous emportera.

Il faut savoir ce que l'on veut : un réseau où chaque échange est tracé, contrôlé, analysé, rendu de plus en plus difficile, ou un réseau libre et ouvert, comme l'est l'Internet aujourd'hui, ce qui est sa philosophie essentielle ?

Pour notre part, nous souhaitons que vous renonciez à vos amendements. Au cas où la démonstration de Patrick Bloche n'aurait pas réussi à vous en convaincre, nous avons prévu un sous-amendement n° 324 à l'amendement n° 150 deuxième rectification de M. Mariani, qui tend à ajouter après les mots « un dispositif manifestement », les mots « et exclusivement ». Bien sûr, ce ne serait qu'un pis-aller, un garde-fou pour vous prémunir contre vos propres erreurs. Je vous invite fortement à prendre en considération le sous-amendement de Patrick Bloche, mais si vous n'acceptiez pas de le voter, vous laisseriez passer une solution de rattrapage.

Encore une fois, tel n'est pas le but essentiel du groupe socialiste, qui est bien d'éviter l'éradication dans le droit français des logiciels de peer-to-peer. Du reste, ce sont des réalités qui échappent pour une bonne part au cadre national. Vous pouvez forger des sabres de bois, mais le Parlement de la République a mieux à faire !

[...]

Mes chers collègues, les intentions que vient d'exprimer M. Carayon sont tout à fait louables, mais pas les sous-amendements qu'il défend. Relisons le sous-amendement n° 364 deuxième rectification : « Ces dispositions ne sont pas applicables aux logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche ou à l'échange de fichiers ou d'objets non soumis à la rémunération du droit d'auteur. » De telles dispositions ne protègent rien, puisque les logiciels en question sont les mêmes que les autres ! Tant que l'on refusera de distinguer le logiciel, qui n'est ni bon ni mauvais, mais neutre, et son usage, qui peut, dans certains cas, être condamnable, nous ne nous comprendrons pas.

J'ai cité ce sous-amendement parce qu'il me paraît évident qu'il n'apporte aucune réponse. Nous sommes face à un choix de politique législative.

À titre d'illustration, on pourrait - une fois n'est pas coutume - songer à la décision que rendit la Cour suprême des États-Unis au sujet des magnétoscopes. Certains prétendaient qu'ils n'étaient construits que pour voler l'industrie du film, mais la Cour suprême décida qu'on ne pouvait interdire le magnétoscope comme technologie illégale tant qu'il existait « un potentiel d'utilisation substantiel sans infraction ». Nous sommes devant le même choix.

Soit on considère que, dès lors qu'on peut, avec un logiciel peer-to-peer, commettre éventuellement, mais de manière marginale, des actes illégaux, il faut le mettre en cause, soit on considère que le logiciel lui-même est neutre et que c'est l'usage qu'on en fait qui est éventuellement condamnable.

Nous ne devons pas condamner la technologie en tant que telle.

N'insultons pas l'avenir : nous ne connaissons pas tous les usages qui seront faits de ces logiciels.

Nous avons déposé des sous-amendements, monsieur Carayon, mais, quel que soit le talent des parlementaires présents ce soir, il est des dispositions qui ne peuvent être mises au point lors d'un simple échange de sous-amendements et qui nécessitent que l'on se donne quelques minutes de réflexion la plume à la main, surtout lorsqu'il s'agit d'un enjeu stratégique pour notre pays.

Il faut garder ouvert le champ des possibles pour ces logiciels et préserver l'innovation. Or l'amendement initial est pour l'Internet une sorte de lettre de cachet. Nous ne pouvons donc pas l'accepter en tant que tel. C'est pourquoi nous voulons pouvoir y travailler, même brièvement.

[...]

Pendant la suspension de séance, nous avons tous tenté loyalement de confronter nos points de vue et de trouver une solution. Il s'agit là d'un enjeu évident d'innovation informatique. Nul, ici, n'a envie de voir partir vers d'autres continents les développeurs informatiques français et européens les plus talentueux. Mais il faut aussi que chacun ait à l'esprit qu'une loi insuffisamment débattue peut entraîner des dommages collatéraux.

Je rappellerai après Patrick Bloche qu'un outil logiciel peut avoir plusieurs usages. Vous avez reconnu sans difficulté les uns comme légaux, qu'il s'agisse d'échanger des biens culturels, des œuvres ou des logiciels libres. En revanche, vous refusez ce statut à d'autres. C'est pourtant le même outil qui est en jeu. Et si vous condamnez le concepteur ou l'éditeur, vous allez porter un coup d'arrêt au développement de logiciels de partage des fichiers.

Il est donc essentiel de préciser clairement ce qui peut être fait et ce qui ne peut l'être. Si vous acceptez d'introduire dans le texte de cet amendement, qui évoque un dispositif - ou plutôt un logiciel compte tenu du sous-amendement n° 363 - manifestement destiné à la mise à disposition du public non autorisée d'œuvres ou d'objets protégés, l'adverbe « exclusivement » pour cibler ceux des outils, peu nombreux, c'est vrai, qui auraient spécifiquement cette fonction, vous limiteriez le risque de sinistre industriel majeur qu'occasionnera la mesure.

Nous vous invitons à réfléchir à cette proposition. Nous pourrions, au moins sur ce point-là, rassembler nos efforts. À défaut, vous prendrez une grave décision.

[...]

L'exposé du ministre nous a permis de comprendre l'enjeu de cet amendement : pour calmer une illusion sécuritaire et satisfaire certains intérêts économiques dans le domaine de la culture, nous venons de créer une insécurité juridique durable pour l'ensemble de l'innovation logicielle dans notre pays. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, a tenté au mois de janvier de séduire ceux qui représentent la créativité, l'innovation et l'intelligence de notre pays en matière logicielle. M. Sarkozy pourra faire tous les discours qu'il voudra. Reste que vous venez ce soir de réduire à néant, et pour longtemps, les efforts de beaucoup d'entreprises françaises !

[...]

Monsieur le ministre, à ce stade du débat tant attendu par tous les tenants de la logique répressive, nous allons devoir parler des sanctions.

C'est vrai, et nous pourrions considérer qu'il s'agit d'une victoire symbolique, le téléchargement n'est plus de la contrefaçon. J'observe d'ailleurs que le mot « piratage » est de moins en moins entendu dans nos débats, peut-être parce que vous enfin compris qu'il relève du droit maritime et non pas de notre droit pénal ! Cela a commencé avec une montagne répressive, et la question ce soir est de savoir si cette montagne accouche d'une souris : la fameuse amende de 38 euros ?

Vous conviendrez que, dans ce mouvement de balancier, il y a tout de même plus de déraison que de raison. C'est d'autant plus vrai que, dans les ingrédients de la farce dont vient de parler Patrick Bloche, il y a beaucoup d'hypocrisie.

Fin décembre, début janvier, on a voulu faire passer en direction des internautes - qui, par dizaines de milliers, se réjouissaient, c'est vrai, de l'acte politique voulu par notre assemblée - un message selon lequel, sans bien sûr légaliser le pee-to-peer, le Gouvernement, M. de Villepin, qui s'est exprimé, pouvaient peut-être ouvrir un peu la porte. Or mes chers collègues, nous sommes extrêmement inquiets de l'hypocrisie qui est en train de s'installer, parce que c'est bien de cela qu'il s'agit ! La solution que vous proposez par les articles 13 et 14 est une sortie de cette crise par l'hypocrisie !

Pourquoi parler d'hypocrisie ? Parce qu'une amende de 38 euros n'est pas dissuasive. Comment entendez-vous administrer cette amende, monsieur le ministre ? Sera-t-on plus proche du radar automatique ou de la contravention pour stationnement interdit ? S'agira-t-il, par une méthode d'abattage automatisé, de procéder à des sanctions de masse ? S'agit-il, au contraire, d'agir par l'intermédiaire d'une police de l'Internet, privée ou publique - nous ignorons si ce sont des agents assermentés ou des services de police ou de gendarmerie qui seront mobilisés ? Quel sera le contrôle du juge avant, pendant et après, puisque vous avez, en commission des lois, parlé du juge et de son rôle ?

Telles sont les questions que nous allons vous poser.

Ce dont nous sommes sûrs, car vous êtes maintenant parti pour réaliser le pire, c'est que cette décision que vous allez prendre aboutira à un système perdant-perdant : pas un euro de plus pour les artistes et, bien évidemment, poursuite exponentielle du téléchargement de musique ! En effet, parmi les ayants droit, parmi les sociétés de gestion, y compris celles ayant commis l'erreur de vous faire confiance pour régler l'ensemble de ces problèmes et adapter notre droit, nous entendons déjà un vent de fronde parce que chacun sait bien que c'est la pire sortie de crise que vous êtes en train d'imaginer !

[...]

J'ai le sentiment que notre rapporteur découvre, tel Christophe Colomb, le numérique.

Un standard est dit ouvert en particulier lorsqu'il est librement utilisable par tous.

Le tarifer, c'est comme tarifer la langue française. Un standard ouvert, c'est une langue commune. Faut-il, monsieur le rapporteur, tarifer désormais la langue française et les standards ouverts ? Je crains que votre réponse sur l'amendement n° 340 défendu par Patrick Bloche ne figure dans le long bêtisier de ce débat.

Je reviens à l'amendement n° 341. Son adoption pourrait vous permettre de réparer en partie le mal commis à l'article 7.

Nous proposons en effet une définition de la compatibilité et une définition de l'interopérabilité pour faciliter la bonne compréhension de nos débats et sans doute demain les décisions du juge. En effet, mes chers collègues, vous êtes en train de construire un nid à contentieux. Il nous semble donc essentiel de clarifier ces notions :

« On entend par compatibilité la capacité de deux systèmes à communiquer sans ambiguïté. » On voit tout de suite les enjeux, en particulier pour les consommateurs dans les échanges et la lecture des œuvres.

« On entend par interopérabilité la capacité à rendre compatibles deux systèmes quelconques » pour aujourd'hui et pour demain. « L'interopérabilité nécessite que les informations nécessaires à sa mise en œuvre soient disponibles sous la forme de standards ouverts. »

Nous souhaitons que ces précisions soient écrites dans la loi de la République, sans ambiguïtés. En adoptant cet amendement, vous pourriez peut-être réparer en partie les dégâts commis lors des débats précédents.

[...]

Les actes de contournement d'une mesure technique peuvent être effectués pour de multiples raisons. L'une des motivations d'un tel contournement peut être la contrefaçon industrielle visant à tirer profit de l'exploitation d'une œuvre sans acquitter aux ayants droit les licences qu'ils peuvent exiger. Ce type de contournement doit être combattu, nous en sommes bien d'accord.

Une autre motivation d'un contournement peut être de passer outre une limitation introduite par une mesure technique faisant obstacle à la jouissance d'une exception. La motivation d'un contournement par la mise en œuvre de l'interopérabilité pouvant être difficile à établir, il semble judicieux d'offrir un second critère d'appréciation au juge : la recherche de profit.

L'utilisation de ce critère permettrait d'augmenter la sécurité juridique, d'une part, des utilisateurs qui contournent une mesure technique à des fins personnelles - la copie d'un CD pour pouvoir l'écouter sur l'appareil de son choix, comme son autoradio, doit être à l'évidence autorisée - et, d'autre part, des personnes qui proposent des outils ou des services permettant à leurs amis techniquement moins experts d'effectuer les actes de contournement à des fins d'interopérabilité ou pour pouvoir, de façon tout à fait loyale et usuelle, bénéficier d'une exception.

Cette seconde sécurité juridique nous paraît essentielle si l'on veut que le droit de contournement à des fins d'interopérabilité prévu par cet article ne soit pas seulement théorique pour la majorité des consommateurs, faute de disponibilité de moyens de contournement.

[...]

L'article 13, ainsi que l'article 14 que nous examinerons demain, visent à pénaliser le contournement des mesures techniques de protection, à en organiser en quelque sorte la sanctuarisation juridique. Les utilisateurs des œuvres deviennent très démunis devant ces interdictions techniques, dont certaines peuvent être tout à fait indues. D'où la nécessité, puisque la directive semble nous imposer de sanctionner le contournement, de prévoir des exceptions à la pénalisation du contournement - c'est-à-dire des autorisations de contournement - les plus larges possibles. Cela vaut en particulier pour l'interopérabilité, dont l'exigence est aussi demandée par la Commission européenne.

Nous devons donc trouver à la fois les moyens de satisfaire la directive - je sais que c'est votre vœu le plus cher alors que nous sommes moins ardents sur ce point - et répondre à l'exigence d'interopérabilité telle qu'elle est demandée par la Commission européenne.

C'est l'objet de l'amendement n° 344 que, avec Patrick Bloche et nos collègues du groupe socialiste, nous avons déposé et que je vais maintenant défendre, après avoir resitué, à l'intention du rapporteur qui ne semblait pas accorder suffisamment d'importance à ce sujet, le paysage juridique et législatif, national et communautaire dans lequel se situe notre débat.

Le sous-amendement n° 344 tend à créer une autorisation de contournement des mesures techniques de protection pour les actes réalisés à des fins de sécurité informatique.

Pourquoi ? Parce que les mesures techniques de protection - et je voudrais vous en convaincre, mes chers collègues - peuvent comporter certaines exigences incompatibles avec la sécurité du système d'information sur lequel elles sont exécutées. Certaines peuvent même envoyer des statistiques d'utilisation d'œuvres, voire des pans entiers de documents édités par leurs rédacteurs. Il est donc essentiel de permettre à leurs utilisateurs de les contourner ...

Il est donc essentiel, disais-je, de permettre aux utilisateurs de ces systèmes d'information de contourner ces mesures techniques afin de s'assurer de leur innocuité.

L'intérêt de cet amendement se mesure d'autant mieux que l'on prend en considération le fait que les mesures techniques de protection concernent tous les types d'œuvres, hormis le logiciel. Les documents produits par les outils de traitement de texte sont, en particulier, également concernés par ces dispositions. La société Microsoft - qui, comme l'a montré Patrick Bloche, réclame vraiment toute notre vigilance - fait d'ailleurs déjà de la publicité pour ses DRM permettant de contrôler finement la circulation des textes.

Ce sous-amendement n° 344 est donc particulièrement important.

[...]

Le sous-amendement n° 371 vise à autoriser le contournement de certaines mesures techniques. En effet, mesdames, messieurs les députés, dans le monde orwellien, que vous préparez à nos enfants, certaines mesures techniques, visant à contrôler le plus finement possible les faits et gestes des utilisateurs des œuvres qu'elles encapsulent, modifient en profondeur le système d'exploitation sur lequel elles sont installées. Tout le monde en convient.

M. Carayon se souvient sans doute des déclarations enflammées et des tribunes, oubliées ce soir, avant qu'il n'ait renié ses engagements antérieurs pour voter l'amendement Vivendi, véritable machine à trahir de ce texte.

Il y a - vous l'avez reconnu à différentes reprises - des risques à modifier les systèmes d'exploitation. Les systèmes informatiques sont fragiles par leur complexité. La suppression d'une mesure technique peut parfois être requise pour remettre un ordinateur en état de marche, quand il a fait l'objet d'une intrusion de cette nature.

Certaines mesures techniques, tristement célèbres, récemment utilisées par Sony-BMG installent en quelque sorte des portes dérobées, rendant le système vulnérable à l'attaque de crackers particulièrement avertis - et ils sont nombreux à travers le monde - compromettant donc la sécurité de nos ordinateurs.

Il est impératif de permettre aux utilisateurs de se protéger et de pouvoir contourner ces mesures techniques fautives. Il est par ailleurs essentiel d'autoriser la recherche sur les mesures techniques de protection. Elle permet, en effet, de révéler ou de confirmer leur dangerosité, de détecter leurs éventuelles vulnérabilités, dont la connaissance éclaire utilement le choix de ceux qui acceptent de les utiliser.

On peut d'ailleurs remarquer que l'absence de provisions pour le contournement à des fins de recherche dans la législation américaine - qui est la soeur de la directive « droit d'auteur », le fameux Digital Millenium copyright Act - avait conduit à beaucoup d'abus, certains chercheurs se voyant menacés du paiement d'une amende forfaitaire s'ils publiaient leurs travaux.

C'est pourquoi nous demandons, à des fins de recherche et de sécurité informatique, la possibilité de contourner les mesures techniques.

[...]

Vous avez, ce soir, mes chers collègues, très maladroitement contribué à expulser le logiciel libre par la porte. Nous allons donc par le sous-amendement n° 384 tenter de le faire entrer par la fenêtre.

Le sous-amendement n° 384 tend à compléter le texte proposé pour l'article L. 335-3-1 du code de la propriété intellectuelle par le paragraphe suivant : « IV. - Les dispositions du présent titre ne permettent pas d'interdire la publication du code source et de la documentation technique d'un logiciel interopérant pour des usages licites avec une mesure technique de protection d'une œuvre. »

Le sous-amendement vise à s'assurer que le logiciel libre ne sera pas concerné par les dispositions prévues pour réprimer le contournement des mesures techniques de protection à des fins de contrefaçons. La nature juridique du logiciel libre est en cause.

Un logiciel est dit « libre » si sa licence d'utilisation donne, monsieur le rapporteur, quatre libertés à ses utilisateurs. Vous sembliez ignorer tout à l'heure la première, qui permet d'exécuter le logiciel, comme on le souhaite, notamment sans avoir à payer quoi que ce soit. Je sais, mes chers collègues, que le mot « gratuité » est pour vous une hérésie.

Nous avons le sentiment, en défendant le logiciel libre, de prêcher un peu dans le désert.

Le vœu secret de M. le rapporteur serait de rendre payant l'accès au logiciel libre, pour parvenir au code source.

Les trois autres libertés associées à ces logiciels sont d'étudier leur fonctionnement, de les modifier et enfin de les redistribuer.

Ces quatre libertés imposent, en pratique, la fourniture du code source du logiciel. Sans celui-ci, les développeurs doivent passer par une étape de décompilation longue, pénible et donc extrêmement coûteuse.

Afin qu'un logiciel libre interopérant avec une mesure technique puisse exister, il faut permettre la publication de son code source et de toute la documentation technique produite par ses développeurs.

Cet amendement est encore plus nécessaire à une catégorie particulière de logiciels libres dits copyleft, dont la licence impose la fourniture aux utilisateurs d'un logiciel de toute version modifiée faisant l'objet d'une redistribution.

Ne pas adopter ce sous-amendement contraindrait les développeurs de mesures techniques, réputées efficaces, qui nécessiteront typiquement l'insertion de modules dans le noyau Linux d'un système d'exploitation GNU/Linux par exemple, afin de contrôler les ouvertures et fermetures de fichiers, à se mettre dans l'illégalité.

[...]

La rédemption est encore possible, mes chers collègues ! Nous avons longuement insisté tout à l'heure sur la nécessité que les mesures techniques de protection soient connues des consommateurs ; nous avions d'ailleurs une divergence de fond avec le rapporteur, qui a donné lieu à un épisode assez piquant. Chacun a bien compris que, quand une œuvre n'est pas lisible, ce n'est pas répréhensible et qu'il suffit d'apporter une étiquette sur la boîte du CD pour informer le consommateur !

Ce qui est dramatique, monsieur le rapporteur, c'est d'aboutir à l'interdiction de la lecture d'une œuvre qui n'est pas gratuite !

Vous êtes au pied du mur. Les consommateurs vont être confrontés à une multiplication des systèmes de protection - c'est votre modèle auquel recourent les producteurs pour contrôler les usages possibles d'une œuvre. Or ces systèmes ne sont pas sans conséquence - nous ne cessons de le dire depuis le mois de décembre - sur la capacité des appareils de lecture à lire les copies acquises légalement. Le sous-amendement n° 346 autorise le consommateur à faire toute copie nécessaire au contournement d'une limitation dont il n'a pas été informé lors de l'achat de l'œuvre afin de faire jouer l'œuvre par l'appareil de lecture qu'il pensait légitimement pouvoir utiliser.

Nous avions au mois de décembre signalé que les vendeurs de musique de grands magasins bien connus à Paris et en province donnaient des conseils aux clients sur la manière de contourner les mesures techniques de protection.

Tel est le sens de notre sous-amendement « rédempteur » que je vous invite, avec Patrick Bloche, à voter.

15/03/2006 Débats DADVSI : autorité administrative indépendante, copie privée

Je voudrais souligner l'importance à nos yeux du sous-amendement n° 326 que Didier Mathus a présenté tout à l'heure et qui vise à encadrer le rôle et la mission de ce collège des médiateurs, dont nous n'approuvons pas le principe. Comme vous avez néanmoins décidé de le créer, il faut bien que nous nous efforcions de lui donner sa feuille de route.

Sur ce sous-amendement comme sur l'ensemble de l'article 8, nous aurions pu avoir un vrai débat de politique culturelle à propos de la musique et de la filière musicale, que nous n'assimilons pas seulement à un capital, ne partageant pas votre approche de l'art en termes de rente.

Nous avons en revanche la conviction qu'il faut préserver la liberté de création et ses mécanismes de financement, ici en jeu. Les consommateurs en effet ne sont pas dupes. Si l'on en vient à interdire la copie d'œuvres sur les supports assujettis à la rémunération pour copie privée - et c'est vers cela que l'on se dirige désormais à pleine vitesse -, il est évident que les consommateurs se révolteront et refuseront d'acquitter une redevance, contestable non sur son principe mais sur son montant, dès lors que l'on restreint progressivement la possibilité de copie sur les DVD ou les CD vierges.

Vous parlez beaucoup aujourd'hui, monsieur le rapporteur, des DVD vierges, parce que vous êtes traumatisé par la décision de la Cour de cassation et que vous pliez le genou devant les juges. Mais les risques sont multiples, et demain une autre juridiction peut statuer sur un autre support ou le collège des médiateurs peut prendre une mauvaise décision sur le nombre de copies possible sur tel ou tel support numérique. Nous ne sommes donc à l'abri de rien.

[...]

Le périmètre de l'amendement n° 87 est beaucoup large que celui de l'amendement n° 31. Il s'agit en effet d'informer le consommateur sur toutes les mesures techniques de protection que comporte l'œuvre qu'il achète : non seulement celles qui viendraient limiter la lecture ou la copie - c'est indispensable -, mais aussi celles qui pourraient avoir pour conséquence la collecte de données personnelles de l'utilisateur au profit du fournisseur. M. Carayon s'est lui-même inquiété hier de tels procédés ! C'est donc un débat très grave. Nous courons aussi le risque que ces mesures techniques de protection soient considérées comme des sources de vices cachés et limitent l'usage du produit, au-delà de sa lecture initiale. Il est donc indispensable que les consommateurs sachent comment ils pourront utiliser ce qu'ils achètent et connaissent les conséquences sur le plan pratique de ces mesures techniques. Celles-ci peuvent également entraver l'interopérabilité, en dépit de toutes les précautions que vous prenez et dont nous ne sommes pas dupes. L'amendement n° 87 nous paraît donc essentiel pour la protection du consommateur. Il a pour objectif de l'informer sur l'utilisation de ses achats et sur le contenu précis des mesures techniques. Il va donc bien au-delà de ce que prévoit l'amendement n° 31 que vous avez défendu, monsieur le rapporteur.

[...]

La décision que vous proposez à l'Assemblée nationale, monsieur le ministre, est loin d'être innocente. Lorsque nous avions lancé les rencontres parlementaires sur la société de l'information, il y a quelques années - Patrick Bloche s'en souvient - nous nous étions demandé si la révolution numérique créait une révolution juridique, c'est-à-dire, en particulier, si les modes de régulation à l'âge numérique devaient évoluer de façon substantielle ou si, au fond, les institutions de la République suffiraient : le Parlement pour voter la loi, le juge pour l'appliquer, éventuellement d'autres autorités de régulation dans leurs missions propres.

Je crains que ce collège des médiateurs ne crée une confusion des genres, si ce n'est des sentiments, en dessaisissant à la fois le Parlement et le juge.

Dans des domaines aussi complexes, on peut imaginer des modes de régulation d'une nature différente, mais, bien évidemment, avec un objet plus limité. Le développement des technologies, la nécessité de procéder à des expertises, la diversité des intérêts en présence peuvent inciter, en effet, dans certains domaines - Patrick Bloche vient de l'indiquer pour la propriété littéraire et artistique - à créer une instance qui ait un rôle à la fois de conciliation, de proposition, d'avis - en direction du Gouvernement ou du Parlement -, de facilitation et - pourquoi pas ? - de médiation. Mais, en l'occurrence, vous sautez de la stricte médiation à la sous-traitance : le collège des médiateurs va édicter une norme et l'appliquer.

Patrick Bloche a cité un excellent rapport. J'en citerai un autre, moins excellent, intitulé « Du droit et des libertés sur l'internet » rédigé il y a cinq ans. Je vais vous le faire porter, monsieur le ministre. Il doit encore y en avoir un exemplaire à la bibliothèque. Il a été publié en 2000 sous Creative Commons. Aujourd'hui, on l'éditerait de manière à ce que son accès soit plus facile, y compris pour les ministres de la République.

Dans ce rapport, nous disions très clairement qu'il ne fallait pas abdiquer la nécessité de faire des lois dans le domaine de l'Internet. On peut imaginer une co-régulation, un mode nouveau de régulation, mais le Parlement doit jouer son rôle.

M. Jean Dionis du Séjour. Bien sûr !

M. Christian Paul.

Et le juge, quand il s'agit de trancher véritablement un différend, doit également prendre toute sa part.

L'autorité administrative présumée indépendante que vous mettez en place dénote une information insuffisante de ce que doit être l'État de droit à l'âge numérique. C'est un des vices évidents de ce texte. Il est sans doute encore temps d'y remédier. Nous défendrons donc des amendements pour essayer de limiter la casse. C'est notre rôle dans ce débat puisque vous ne vous départissez pas, monsieur le ministre, d'une assurance qui frise l'entêtement et que vous n'acceptez aucun amendement de l'opposition ni même de la majorité - quand des amendements sont adoptés, ils le sont contre vous, ce qui sera peut-être le cas sur cet article ? Vous conviendrez que ce n'est pas une bonne manière d'aider le Parlement à faire son travail.

14/03/2006 Débats DADVSI : DRM, interopérabilité, justice, autorité administrative indépendante, formats ouverts, copie privée

En effet on commence seulement à mesurer les effets pervers de la directive et les dangers contenus dans l'article 7, dans la rédaction proposée par le Gouvernement, ainsi que, pour être complet, dans les articles 13 et 14, qui sont censés réprimer le contournement de ces mesures, dans des conditions dont on débattra tout à l'heure. Il semble donc que la majorité, et vous-même, monsieur Dionis du Séjour, à en croire le contenu de votre amendement, ayez commencé à prendre la mesure du phénomène. Mais ce que vous proposez reste très incomplet.

Il ne faudrait pas, monsieur le président, que ce débat se réduise à une partie de poker menteur. À entendre les propos que vous avez tenus cet après-midi, monsieur le ministre, monsieur Carayon, on a le sentiment que « tout va très bien, madame la marquise : on a trouvé la pierre philosophale qui nous protégera de la nocivité des DRM. » Or les garanties qu'on nous a présentées jusqu'ici étaient purement verbales. Tant que vous ne nous dites pas comment vous comptez vous y prendre exactement, monsieur Carayon, le débat n'aura pas plus d'intérêt qu'une partie de poker menteur.

Quant à ce qui concerne l'interopérabilité, monsieur le ministre, vos propos sont restés à un niveau extrêmement superficiel. On a l'impression d'une interopérabilité de façade, qui s'apparente plutôt à une compatibilité temporaire entre des formats différents.

Nous voulons être certains que chacun pourra utiliser le fichier de son choix sur l'appareil de son choix, sans entrave et sans contrainte, et de façon durable. C'est à cette seule condition que l'interopérabilité sera un droit effectif. Ce ne sera pas le cas aussi longtemps qu'on se contentera de proclamer ce droit, sans dire comment il pourra s'appliquer dans les faits.

C'est pour cette raison, monsieur le ministre, que nous vous avons demandé à plusieurs reprises votre définition de l'interopérabilité.

C'est trop facile de la définir du seul point de vue du consommateur car cela dispense d'indiquer les moyens de la réaliser concrètement. Nous voulons savoir comment vous comptez assurer véritablement cette compatibilité entre tous les systèmes, présents à venir, car c'est cela le but. La meilleure solution serait que les informations nécessaires à la mise en œuvre de l'interopérabilité soient disponibles sous forme de standards ouverts.

Nous reviendrons sur ce débat, monsieur le président, à l'occasion de l'examen des articles 13 et 14. Pour l'instant nous ne pouvons pas voter en faveur de cet article 7, à moins que le Gouvernement ou le rapporteur ne l'amendent en séance. Mais les amendements qui nous sont proposés pour l'instant ne nous paraissent pas apporter des garanties sérieuses.

Vous ne nous proposez en effet qu'une interopérabilité de façade, fruit de la mauvaise conscience exprimée par plusieurs d'entre vous depuis que vous avez découvert que les mesures techniques de protection ne faisaient pas bon ménage avec l'interopérabilité, et qu'en outre elles faisaient peser un risque sur le logiciel libre. Un tel état de fait videra de toute effectivité le droit à la copie privée - c'est tout l'objet du débat amorcé lors de la séance précédente -, qui deviendra un simple droit à la copie de transfert.

[...]

Je rappelle que la directive prévoit qu'une protection juridique doit être assurée aux mesures techniques appliquées volontairement par les titulaires de droits.

Nous proposons par cet amendement la possibilité pour le tribunal de grande instance de faire cesser, à la demande d'un ayant droit, droit d'auteur ou droit de l'artiste interprète, tout usage abusif de mesures techniques de protection. Nous proposons même que le tribunal puisse être saisi par vous, monsieur le ministre en charge de la culture. Il s'agit d'éviter qu'une mesure technique puisse interdire un usage licite d'une œuvre ou d'un objet protégés, et à cette fin tout utilisateur doit pouvoir saisir en référé le tribunal de grande instance.

Dans le contexte d'insécurité juridique où nous plongera ce texte, si vous persistez à le défendre et s'il est finalement adopté, ouvrir aux consommateurs ou aux artistes la possibilité de faire cesser des abus notoires dans le cadre d'une procédure contradictoire est à mes yeux une protection minimale.

[...]

À moins de chambouler la Constitution et l'organisation des pouvoirs, le collège des médiateurs n'est pas une instance judiciaire. Nous sommes opposés au rôle que vous voulez lui faire jouer. Peut-être pourrait-on admettre intellectuellement qu'il soit chargé de fixer des normes et de codifier les pratiques, mais il me semble abusif de vouloir lui faire jouer, comme le suggère le rapporteur, le rôle d'une instance judiciaire et arbitrale. Il faut rappeler que le droit au juge est un droit constitutionnellement garanti.

Non seulement il nous semble que le Parlement démissionne en sous-traitant l'édiction de certaines règles, mais vous nous paraissez également vouloir dessaisir le juge. La coupe est pleine.

[...]

J'en reviens aux sous-amendements. Bien sûr, l'amendement de M. Le Fur ne fait pas de mal, mais je crains que nous soyons encore dans cette partie de poker menteur que je dénonce avec Mme Billard et Didier Mathus depuis tout à l'heure. Cet amendement, qui va semble-t-il être voté, n'est qu'une déclaration d'intention. Les sous-amendements, eux, notamment notre sous-amendement no 402, mentionnent le recours aux formats ouverts ; ils ne se contentent pas de donner comme objectif le libre usage mais indiquent comment y parvenir. Il y a tout de même un avantage évident à être plus précis, à ne pas se contenter de donner des garanties de façade. C'est ce qui manque ce soir dans votre plaidoyer, monsieur le ministre. C'est donc pourquoi nous défendons le sous-amendement n° 402.

[...]

Je voudrais d'abord faire un bref retour en arrière, car l'intervention de M. Wauquiez est révélatrice du risque que le Gouvernement fait encourir au débat parlementaire.

M. Wauquiez nous a déclaré que l'amendement n° 233, troisième rectification, allait permettre de déverrouiller les fichiers MP3 des plateformes commerciales.

C'est oublier, monsieur Wauquiez, qu'il n'y a pas de DRM sur les fichiers MP3 ! C'est d'ailleurs pour cette raison que nous sommes favorables à l'amendement.

Serait-ce le mariage de la carpe et du lapin ? Vous vous en expliquerez et rectifierez le cas échéant au Journal officiel.

Quant à l'amendement de M. Carayon, ce qui est préoccupant, c'est le danger que représentent les DRM, pour lesquels il voudrait que le Parlement façonne un sabre de bois alors que nous proposons de les supprimer. La manière dont vous les décrivez, monsieur Carayon, laisse planer un doute sur les risques pour les libertés publiques. Vous y répondez partiellement, pour le compte de l'État et des intérêts stratégiques de notre pays - nous ne sommes d'ailleurs pas en désaccord avec vous sur ce point -, mais beaucoup moins pour la vie privée des citoyens.

Or c'est bien de cela qu'il s'agit puisque, comme vous le reconnaissez vous-même dans le premier paragraphe de votre amendement, le potentiel des DRM permet de contrôler à distance - directement ou indirectement - certaines fonctionnalités de l'ordinateur, donc d'accéder à des données personnelles.

Une déclaration préalable auprès de l'État permet peut-être de préserver les intérêts de ce dernier, mais pas forcément ceux du citoyen.

Le sous-amendement n° 403 permet d'assurer un peu plus de transparence : aussi, je ne doute pas que MM. Carayon et Cazenave le voteront. Il vise à assurer la publication au Journal officiel des conditions déterminées par l'État, évoquées dans l'avant-dernier paragraphe de votre amendement, deuxième rectification.

Afin que les intérêts des citoyens soient préservés comme ceux de l'État, nous souhaitons faire bénéficier le public des capacités de celui-ci à expertiser les logiciels et les mesures techniques. Certes, pour des raisons de sécurité nationale, l'État doit pouvoir se prémunir contre les effets néfastes des mesures techniques de protection, mais les citoyens et les entreprises doivent aussi avoir cette possibilité.

Par la publication au Journal officiel que nous préconisons, tous les Français pourront bénéficier de l'expertise de l'État.

[...]

Nous ne voterons pas l'amendement de M. Carayon.

Ce n'est, en effet, qu'un amendement cosmétique qui pourrait se résumer ainsi : il faut, ce soir, sauver à tout prix le soldat DRM ! Et, bien qu'il prétende rechercher l'efficacité, il s'en tient à la façade.

Nous avons défendu un sous-amendement qui, visiblement, ne fait pas recette. Du reste, mes chers collègues, vous ne l'avez pas bien compris : les conditions qu'il s'agissait de rendre publiques n'étaient pas celles évoquées par le décret en Conseil d'État, qui concernaient l'application de l'ensemble de l'article, et François Bayrou a eu raison de parler à ce propos d'usine à gaz, privatisée sans aucun doute, puisque c'est dans l'air du temps !

Il s'agissait en réalité des conditions dans lesquelles les logiciels peuvent être utilisés par les systèmes de traitement automatisé de données des administrations de l'État et des collectivités territoriales. En fait, vous ne souhaitez pas aller plus loin dans l'amélioration du texte.

Sans en faire une querelle personnelle, je voudrais revenir à la question du format MP 3, qui est bien au cœur du sujet. Plusieurs visions du monde s'affrontent à ce sujet : on l'a bien vu à propos de la rémunération des artistes, quand il s'est agi de trouver une solution concrète pour le financement de la culture.

S'agissant du contenu des échanges sur Internet, non, monsieur Wauquiez, les fichiers que vous téléchargez certainement sur iTunes ne sont pas réellement des fichiers MP 3. Il peut y avoir des algorithmes communs mais - et je pense que vous serez sensible à cette remarque - les fichiers que vous téléchargez sur iTunes sont encodés avec un DRM qui s'appelle FairPlay. Il ne s'agit donc pas de la technologie européenne du MP3, qui est une technologie franco-allemande, que nous sommes très heureux de voir prendre une place importante dans les échanges de musique.

Dans cette affaire, mon cher collègue, vous avez, en quelque sorte, fait la promotion de Boeing contre Airbus ! Je le déplore.

[...]

Dans ce débat où nous sommes censés rechercher l'équilibre des droits, nous avons le sentiment, et cela provoque un profond malaise chez un grand nombre d'entre nous, que l'on va plutôt aboutir à une régression.

Bien sûr, vous tentez d'afficher un droit, ce qui a l'attrait de la nouveauté, mais vous l'encadrez et vous le limitez tellement strictement que, au-delà de l'aspect cosmétique du procédé, cela nous paraît être une véritable opération régressive.

L'exception telle qu'elle existait jusqu'à présent avait au moins le mérite d'être appréciée par le juge. Dans le dispositif qui se met en place, nous avons le sentiment que, au fond, ce n'est plus l'exception pour copie privée dans sa forme historique et maintenant bien établie en droit français, mais, de plus en plus, une sorte de droit d'usage acquis par l'achat de l'œuvre, une sorte de copie contrôlée en quelque sorte, avec un degré zéro de l'usage, l'impossibilité dans un certain nombre de cas de faire des copies.

Vous prétendez créer un droit ce soir, ce ne sont que des mots. Je pense, comme un grand nombre de députés sur tous les bancs, qu'empêcher la copie, c'est vraiment empêcher le développement du numérique et que la copie est consubstantielle à la civilisation numérique. Au fond, il aurait peut-être été plus utile de renforcer l'exception pour copie privée, en créant par ailleurs les conditions d'une rémunération nouvelle et équitable pour les artistes, plutôt que de réduire la rémunération et de créer un droit pour l'encadrer immédiatement, dans des conditions tout à fait régressives. Tel sera, je crois, le bilan que tous les Français, et en particulier les internautes, tireront de la loi que vous allez peut-être voter.

[...]

Ce retrait est symptomatique de ce que souhaite la majorité. C'est une scène à laquelle nous sommes maintenant habitués : ce texte est un Clemenceau permanent ! Ça s'en va et ça revient...

Il faut maintenant arrêter cette partie de bonneteau, qui n'est pas digne du législateur. Vous avez tout simplement décidé de créer un droit à limiter le nombre des copies. Assumez-le et fixez un nombre, même si c'est zéro ! Vous en serez quittes pour être considérés comme les Terminator de la copie privée !

Fixer un cadre à l'exception pour copie privée comme vous êtes en train de le faire, c'est la restreindre considérablement.

Une copie, c'est une sauvegarde. Cinq ou six, ce sont des copies d'usage. La restriction que vous imposez met les citoyens dans l'incapacité de transmettre le patrimoine culturel. L'exception pour copie privée ne peut pas être limitée. Nous nous acheminons vers une régression considérable de ce droit que nous aurions aimé soutenir et que vous êtes en train de faire disparaître.

14/03/2006 Débats DADVSI : licence légale, copie privée, exceptions au droit d'auteur, DRM, logiciel libre

Monsieur le ministre, certains d'entre nous ont mis à profit les quelques jours qui nous séparent de la fin de notre débat de la semaine dernière pour relire les débats parlementaires sur la loi de 1984, dernière grande loi relative aux droits d'auteur. Cette relecture fait apparaître que vous aviez aujourd'hui le choix, monsieur le ministre, entre deux attitudes : ou bien adapter ces droits à la nouvelle donne issue de l'économie de l'Internet, ou bien procéder à leur « glaciation », au risque de dommages collatéraux considérables, qui ont été rappelés tant par Patrick Bloche que par Alain Suguenot. Ayant choisi la deuxième option, vous vous privez d'une rémunération substantielle - plusieurs centaines de millions d'euros dès la première année - et vous mettez en péril la rémunération pour copie privée.

Vous feriez bien, monsieur le ministre, de vous inspirer de cette grande loi qui a très largement rassemblé à l'époque les différents groupes politiques. Vous nous avez opposé, la semaine dernière, une très forte résistance - que nous saluons - sur d'autres points du texte, mais, s'agissant du financement de l'Internet par les fournisseurs d'accès, vous pourriez faire preuve d'ouverture.

Voilà pourquoi nous sommes nombreux, sur tous les bancs, à soutenir cet amendement.

[...]

J'ai rendu hommage à votre entêtement, monsieur le ministre. J'aimerais pouvoir faire de même quant à votre vision de l'avenir. Et sur la question du financement de la culture - et notamment de la musique, car c'est surtout de cela que nous discutons -, nous aimerions vous entendre dire qu'une redevance sur les fournisseurs d'accès, même si elle n'est pas possible immédiatement, sera mise en place d'ici quelques mois, au plus dans un an. Or, vous ne dites rien de tel. Ce silence est préjudiciable pour la suite du débat.

L'amendement n° 96 rectifié répond à une exigence d'équité. Il faut trouver un équilibre entre les ayants droit - notamment les artistes - et le public. C'est pourquoi le taux de la redevance pour copie privée doit tenir compte des mesures techniques de protection. C'est ce que semble admettre le rapporteur, puisque, pour la première fois depuis le mois de décembre, il prophétise une baisse de la rémunération pour copie privée. Avec Didier Mathus et Patrick Bloche, nous avions déjà annoncé qu'une telle évolution serait l'issue naturelle de ce débat mal engagé.

Or, en refusant d'envisager des rémunérations nouvelles, vous exposez l'ensemble des créateurs à une perte substantielle de financement, et placez la culture dans un cercle vicieux.

[...]

Monsieur le ministre, vous ne lisez visiblement pas les rapports parlementaires. En effet, et cela a été précisé au moins trois fois la semaine dernière, le rapport de M. Dassault, député de la majorité, fait apparaître, pour la période de 2005 à 2006, une diminution de 8,5 % des subventions allouées au spectacle vivant. Et ce qui intéresse les artistes et organisateurs de festivals, c'est ce qui se passera en 2006, monsieur le ministre, et non en 2001 alors que la dotation était correcte. C'est sur cette évolution que vous devez rendre des comptes au Parlement, et non sur ce qui s'est passé depuis cinq ans ! J'insiste donc, monsieur le ministre, le rapport de M. Dassault, parlementaire UMP, laisse apparaître une chute vertigineuse des subventions pour le spectacle vivant de 8,5 % !

Monsieur le ministre, si vous aviez disposé de bonnes études émanant notamment de la commission pour copie privée, cela aurait éclairé le débat que nous poursuivons maintenant depuis plusieurs semaines dans des conditions tout à fait déplorables ! Nous souhaitons, en conséquence, que cette commission puisse contribuer à sa manière à éclairer les choix publics.

Selon M. le rapporteur, 1 % serait trop. Mais cette rémunération va évoluer à la baisse. Ce sera, alors, 1 % sur une assiette qui décroît.

Non, c'est le texte que vous êtes en train de faire voter au Parlement qui la provoquera inexorablement. La jurisprudence de la Cour de cassation a d'ailleurs sonné le glas de la rémunération pour copie privée, on l'a déjà abondamment souligné.

Vous avez visiblement beaucoup de difficultés à entendre que les fournisseurs d'accès doivent contribuer au financement de la musique et de la culture, monsieur le ministre. Je vais donc vous donner des raisons de changer d'opinion.

Pour les fournisseurs d'accès à Internet, le téléchargement est un produit d'appel depuis des années, sans aucune contrepartie pour la culture, et cela continuera si vous ne prenez aucune disposition à l'occasion de l'examen de ce texte.

Par ailleurs, il y a un précédent avec la redevance sur les supports vierges.

Vous nous dites depuis le mois de décembre que, grâce à l'accord que vous avez obtenu à la veille du débat législatif, les fournisseurs d'accès vont participer à la création cinématographique et audiovisuelle et que cela représentera 2 % des services de vente en ligne dans ce domaine. Sur quel montant comptez-vous en 2006 et en 2007 ? S'agit-il d'une évolution réelle, tangible, ayant un effet d'entraînement sur la création audiovisuelle, ou bien s'agit-il de ce qu'on appelle au ministère des finances une recette de poche, qui ne représenterait qu'un peu d'argent de poche pour le cinéma ? De quel montant parlez-vous quand vous parlez de 2 % sur la VOD ?

Je profite du fait que M. Dionis du Séjour soit encore dans l'hémicycle pour lui apporter, ainsi qu'au rapporteur, quelques éléments d'information sur l'évolution des montants de la rémunération pour copie privée, dont chacun semble penser que, par la magie des nouvelles technologies, elle est sur une pente ascendante. Elle l'est peut-être pour le financement de certaines manifestations locales, mais non dans son ensemble. Entre 2004 et 2005, elle a même baissé de 4,5 % pour l'audiovisuel et de 5,2 % pour le son. On voit qu'il n'y a pas de magie. Les décisions que nous allons prendre risquent même de mettre en danger cette ressource fragile.

À ce sujet, j'aimerais citer une question posée par un de nos concitoyens à propos de la remise en cause de l'exception pour copie privée. Pendant notre débat, véritable exercice de démocratie en direct, nous recevons en temps réel des centaines de courriers électroniques, tout comme le Gouvernement, j'imagine. Nous ne les citons pas systématiquement dans l'hémicycle, mais il est important de nous faire de temps à autre l'écho des préoccupations de nos concitoyens.

Je veux donc évoquer une situation concrète, car un internaute qui suit notre débat souhaiterait vous poser deux questions, monsieur le ministre.

D'abord, que devient dans les faits le droit à la copie privée ? Supposons que l'on télécharge une chanson écrite par un artiste de vingt ans.

La protection de cette œuvre durera cent trente ans : l'auteur n'a que vingt ans, son espérance de vie est de quatre-vingts ans et ses descendants toucheront encore des droits soixante-dix ans après sa mort. Comment imaginer que cinq copies - pour reprendre le chiffre du collège des médiateurs - suffiront pour faire migrer cette œuvre légalement acquise d'un support à l'autre pendant cent trente ans, durée pendant laquelle le format des lecteurs ne peut que changer un grand nombre de fois ?

Le même internaute pose une autre question. Supposons qu'il achète l'enregistrement d'un opéra de Puccini interprété par Maria Callas en 1958,œuvre qui tombera dans le domaine public dans seulement deux ans. Protégée par le droit voisin des interprètes, l'œuvre sera cadenassée bien au-delà de la période des droits légaux.

Je conviens que la copie privée est en danger, mais, en agissant de la sorte, le Gouvernement pousse la France tout entière vers le peer-to-peer et je le regrette, non dans le second cas, mais dans le premier.

[...]

En ce qui concerne la licence globale, j'insiste sur le fait que le principe du forfait ne s'applique qu'à la perception. Quant à la répartition, nous avons toujours soutenu, depuis le début de la discussion, que celle-ci devait être individualisée le plus possible. Quand vous combattez la licence globale en critiquant le principe d'une rémunération forfaitaire, monsieur le rapporteur, votre argumentation n'est pas recevable : la licence globale n'a jamais signifié une rémunération forfaitaire, mais au contraire une répartition individualisée de la façon la plus fine, ce que permettent les technologies actuelles.

L'amendement n° 99 rectifié que nous défendons plaide en faveur d'une rémunération équitable. Il vise à trouver un équilibre, dès lors que les mesures techniques de protection vont être déployées très largement et sanctuarisées par la loi, entre les droits du public et les justes prétentions des ayants droit. Notre amendement va donc dans le sens d'un Internet équitable - celui que vous appelez de vos vœux, monsieur le ministre - alors que le projet de loi favorisera le développement d'un Internet prédateur.

Certes, monsieur Cazenave, il faut faire preuve de modestie dans ce débat car il n'y a pas de gourou de l'Internet dans cet hémicycle. Mais modestie ne signifie pas aveuglement.

À cet égard, notre amendement prend en compte que les mesures techniques de protection, sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement, diminueront la copie privée. Nos collègues de la majorité, et notamment M. Carayon et M. Cazenave, ont présenté, quant à eux, un amendement qui tend à donner une définition très brutale des DRM. Ils expliquent en effet dans leur exposé sommaire qu'il s'agit de mesures techniques permettant le contrôle à distance direct ou indirect d'une ou plusieurs fonctionnalités de l'ordinateur, ou l'accès à des données personnelles, et que ces mesures doivent donc être soumises à une déclaration préalable auprès des services de l'État. Contrôle à distance et accès à des mesures personnelles : voilà ce dont on veut consteller la culture !

[...]

Je voudrais, toujours dans un esprit de synthèse, vous rappeler que deux grands services publics s'appauvrissent aujourd'hui dans notre pays, du fait de choix politiques récents : l'hôpital et le secteur de la santé - visés par ces amendements - mais également l'école et l'éducation, sujet auquel vous êtes sensible, monsieur Geoffroy. Le groupe socialiste se rallierait volontiers à l'amendement n° 177 s'il était sous-amendé pour que soient également concernés les supports à des fins éducatives, de façon à répondre aux problèmes de l'école comme à ceux de la santé.

Je veux bien que l'on améliore la situation de nos hôpitaux, mais l'amendement tel qu'il est rédigé pourrait concerner les laboratoires médicaux, par exemple, si le ministre de la santé en décidait ainsi. Pour ma part, je ne souhaite pas voir exonérer de ce prélèvement les laboratoires médicaux ! Cet amendement devrait concerner à la fois les hôpitaux et les écoles. Ainsi sous-amendé, il pourrait être voté par l'ensemble de l'Assemblée nationale.

[...]

À cette heure tardive de l'après-midi, nous entrons à pas comptés dans l'examen de l'article 7 de ce texte, qui nous apparaît, à Patrick Bloche, à mes collègues socialistes et à moi-même, comme un véritable champ de mines pour l'Internet français et européen, puisque l'inspiration de la directive n'est pas éloignée de l'objectif que vous poursuivez.

Oui, monsieur le ministre, nous sommes profondément hostiles à la généralisation des DRM que vous souhaitez introduire dans notre droit, et cela pour quatre raisons que nous développerons longuement au cours du long débat qui s'annonce sur cet article. Selon nous, la généralisation des mesures techniques de protection et leur sanctuarisation par la loi s'opposent, en effet, à quatre catégories d'intérêt.

Aux droits des usagers, d'abord, qui doivent pouvoir jouir dans des conditions normales des œuvres qu'ils acquièrent ou partagent.

Aux libertés publiques et privées, ensuite, remises en cause - et pas seulement par les seuls socialistes, mais également par MM. Carayon et Cazenave - par le contrôle à distance, direct ou indirect, d'une ou plusieurs fonctionnalités des ordinateurs personnels, que ces mesures permettent ou non l'accès à des données personnelles.

Troisième catégorie d'intérêts remis en cause : le développement des logiciels libres - nous montrerons quels obstacles vous dressez à leur encontre.

Dernière catégorie : les intérêts stratégiques de notre pays et de l'Europe, sujet auquel vous devriez, comme nous, être sensibles.

Telles sont les quatre raisons pour lesquelles cet article 7, même modestement amendé par vos soins, ne nous paraît pas satisfaisant.

Je voudrais néanmoins, monsieur le ministre, afin d'être sûr que nous parlons de la même chose, que vous nous donniez votre définition de l'interopérabilité, terme apparu dans nos débats depuis le mois de décembre. S'agit-il simplement, comme je le crains, d'une compatibilité temporaire entre des systèmes qui communiquent pendant un temps donné, ou bien d'un véritable lien durable et évolutif ? Je vous le demande d'emblée afin que nous puissions faire sauter l'un des verrous du texte de l'article 7.

09/03/2006 Débats DADVSI : licence légale, copie privée, plateformes commerciales

Mais venons-en à la reconnaissance du téléchargement comme copie privée.

Monsieur le ministre, vous l'avez dit ici même et écrit ces jours derniers dans une tribune publiée dans Le Figaro : « Internet doit être libre pour les consommateurs mais équitable avec les auteurs ». Or il est furieusement verrouillé et l'est chaque jour davantage, mais nous y reviendrons lorsque nous aborderons la question des DRM.

Pour illustrer ce que nous pensons de votre Internet équitable, je vais effectuer une petite démonstration pédagogique. Pour cela, j'ai fait réaliser un schéma que je tiens à la disposition du Gouvernement et de l'Assemblée.

Monsieur le ministre, ce que vous appelez un Internet équitable est en réalité prédateur pour les artistes. Je vais essayer de vous le démontrer avec ce schéma qui traduit la répartition du prix de vente d'un morceau de musique vendu un euro sur une plateforme payante.

Télécharger un morceau de musique sur une plateforme commerciale coûte 99 centimes d'euro. Sur cette somme, 6 ou 7 centimes sont versés aux auteurs, 3 à 4 vont à l'interprète principal - mais rien aux accompagnateurs - 66 centimes au producteur et 16 centimes reviennent à l'État sous forme de TVA. En effet, vous n'avez pas été capables d'abaisser le taux à 5,5 %, comme cela était demandé par toute la filière musicale.

Comme vous le voyez, c'est vraiment un Internet prédateur pour tous les artistes : les auteurs comme les artistes interprètes.

J'en viens à ces plateformes commerciales que vous affectionnez tant, monsieur le ministre.

Vous qui nous invitez à réfléchir sur le modèle économique unique, sachez que 80 % de ce marché sont tenus par ces plateformes commerciales, au premier rang desquelles le iTunes du grand constructeur informatique Apple. Or, pour trouver un équilibre économique, Apple a dû commercialiser un baladeur numérique. Ce marché est donc doublement prédateur : les artistes ne gagnent pas grand-chose et les constructeurs informatiques ont fait main basse sur le marché des baladeurs.

Depuis des mois, monsieur le ministre, avec une parfaite mauvaise foi, vous plaidez pour la diversité des ressources.

Monsieur le ministre, je vous rappelle qu'en France, ces plateformes musicales ont représenté 20 millions d'euros en 2005. Nous vous présenterons un amendement, à l'article 2, visant à faire participer Internet dans une large mesure au financement de la filière musicale. Cette participation pourrait atteindre dès la première année - qui pourrait être l'année 2006, si vous avez le courage de voter cet amendement - un montant dix fois supérieur au chiffre cumulé de ces plateformes. De plus en plus d'artistes se rallient à cette suggestion. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les sociétés de gestion de droits ont intenté, ces dernières années, des procès aux plateformes contre leur comportement prédateur.

[...]

Peut-être n'ai-je pas été suffisamment précis. Je tiens donc à souligner de nouveau que l'Internet et les plateformes commerciales sont réellement prédatrices. En effet si c'est Apple qui a fixé l'économie de ce modèle, cette société ne se rémunère pas essentiellement sur ces plateformes : elle se rémunère sur la vente de ses baladeurs numériques.

Cela signifie que tous ceux qui appliquent ce modèle qu'Apple a imposé sont prédateurs à l'égard des artistes.

[...]

Cet amendement vient illustrer ce que nous défendons avec vigueur dans ce débat, à savoir la nécessité d'une véritable reconnaissance par la loi du fait que le téléchargement relève de la copie privée. La jurisprudence tranche d'ailleurs fréquemment en ce sens, ce qui prouve que le juge, lui, a commencé à trouver le point d'équilibre, celui de la société. Or cette observation de la société vous fait tellement défaut que vous prenez une voie à sens unique, celle décrite par le ministre, c'est-à-dire la voie du tout marchand, de l'hyper-marchandisation de la culture.

Si j'ai insisté sur le schéma que j'ai présenté et qui reflète vraiment le marché de la musique en ligne tel qu'il se développe actuellement, c'est parce que sont concernés, dans ce pays, des dizaines de milliers d'artistes et d'interprètes, qui ne doivent pas être oubliés dans nos débats. J'ai pour tous les auteurs un immense respect et, comme vous, j'ai regardé samedi soir avec beaucoup de plaisir et de bonheur Les Victoires de la musique.

Quand des talents émergent, comme nous l'avons constaté pendant cette soirée ; quand apparaît une véritable relève de génération dans la chanson française, nous nous en réjouissons. Cela est le fruit du travail des auteurs, des interprètes - certains sont à la fois auteurs et interprètes -, des musiciens et si, demain, monsieur le ministre, l'Internet doit être équitable, c'est bien en apportant à chacun une rémunération équitable. Il ne saurait s'agir pas seulement de celle issue du modèle des plateformes commerciales ; il faut aussi un prélèvement sur les fournisseurs d'accès et une participation des internautes. Alors oui, vous pourrez dire que l'Internet commence à être équitable.

[...]

Je tiens à répondre au rapporteur que j'ai entendu colporter l'une de ces certitudes paresseuses que l'on entend depuis le mois de décembre à propos de la répartition du prélèvement opéré sur les internautes aux fins de financer la culture. Il nous a en effet dit avec beaucoup d'aplomb que notre système ne permettrait pas de financer les jeunes artistes - les talents émergents - ni les producteurs innovants. Mais qu'en savez-vous, monsieur Vanneste ? Quand avons-nous eu, dans cet hémicycle ou en commission - s'il y en a encore une ! - un vrai débat sur cette question ? N'est-ce pas pourtant celle qu'il faut se poser si l'on veut un système de gestion collective adapté à l'ère numérique ?

Ce système de gestion collective, mes chers collègues, nous baignons dedans en permanence. Ce n'est donc pas une régression, ou alors il faut demander tout de suite à la SACEM, à la SACD, à l'ADAMI, à la SPEDIDAM de fermer leurs portes ! Les systèmes de gestion collective, nous vivons avec. Ils sont sans doute perfectibles, et aller vers plus de transparence et d'équité est un combat sans fin à mener avec ces organismes. Mais, monsieur le rapporteur, qu'est-ce qui vous permet de dire que le système que nous défendons ne permettrait pas de promouvoir les jeunes artistes ?

Tel est le type de débat que nous aimerions avoir à chaque étape de la discussion. Nous souhaiterions pouvoir présenter à l'Assemblée les moyens techniques qui existent, les systèmes de fonds de soutien pour les jeunes artistes ou les nouveaux producteurs. Là, nous parlerions enfin de l'Internet équitable, monsieur le ministre.

[...]

Je voudrais prolonger la démonstration très précise de Didier Mathus puisque cet amendement nous permet d'évoquer non seulement l'avenir de la copie privée, qui est une de nos préoccupations, mais plus encore l'avenir de la redevance pour copie privée, qui a rapporté près de 200 millions, comme cela vient d'être rappelé.

Si vous constellez l'univers culturel de DRM, si vous faites l'application qui vous est chère du test en trois étapes, dans la foulée de la décision récente de la Cour de cassation, vous allez réduire progressivement le produit de la redevance pour copie privée. Quand la copie privée ne sera plus possible, en tout cas très difficile, il est évident qu'en dépit de vos grandes déclarations à l'UNESCO ou dans cet hémicycle sur l'avenir de la diversité et sur l'exception culturelle, vous serez pris en flagrant délit de contrefaçon, monsieur le ministre.

La redevance pour copie privée est un moyen de favoriser l'exception culturelle, c'est une source de financement mutualisé pour la culture, qui permet de s'extraire partiellement des lois du sacro-saint marché, même si elle est prélevée au moment de l'acquisition d'un support numérique.

Je vous ai déjà dit que votre refus opiniâtre de prélever sur les fournisseurs d'accès notamment les moyens de financer la culture représenterait un manque à gagner de 200 millions. Ajoutés aux 200 millions de recettes qui vont progressivement se tarir au fil des années, ce sont au total 400 millions qui vont manquer à ce secteur, somme qu'il convient de comparer aux 20 millions de chiffre d'affaires en 2005 des plates-formes commerciales.

J'espère que les chiffres de ce préjudice colossal auquel va conduire cette démarche vers le tout-marché, au détriment de la redevance pour la copie privée, vont cheminer dans l'esprit des artistes auxquels on a transmis tellement de fausses informations depuis Noël, parce qu'ils sont la réalité de l'économie de la musique que vous tentez d'imposer.

[...]

De même que je disais au rapporteur qu'il abordait le problème de la répartition du prélèvement sur l'Internet sans avoir suffisamment approfondi la question, je voudrais signaler à M. Cazenave qu'à ma connaissance nous n'avons jamais eu dans cet hémicycle de débat sérieux sur la perception de ce prélèvement.

Vous parlez d'une nouvelle taxe sur les consommateurs, mais cela pourrait aussi bien être un prélèvement sur les fournisseurs d'accès, à moins que cela ne soit un tabou et qu'il n'y ait de votre part une volonté d'exempter définitivement ces fournisseurs, lesquels ont pourtant largement profité, lors du déploiement de l'Internet à haut débit, de la publicité qu'ils faisaient pour le téléchargement sans se soucier de savoir s'il était légal ou illégal. Lorsqu'on parle de prélèvement, vous ne pensez visiblement qu'à l'internaute, mais pas nous !

Un vrai débat sur le prélèvement, sa perception et sa répartition aurait rendu cette loi sur les droits d'auteur dans la société de l'information utile à la culture et à la musique en particulier, dont je rappelle que le budget qu'y consacre votre ministère décroît cette année. Mais ce sont des questions qui gênent le Gouvernement, déjà embarrassé par le problème des intermittents, la paupérisation de son budget et son absence totale de réflexion sur la manière dont l'Internet peut financer la musique en dehors des sacro-saintes plateformes commerciales.

[...]

Cet amendement va dans le même sens.

La notion centrale qui a fondé la redevance pour copie privée, lors de sa création il y a une vingtaine d'années, c'est l'existence d'un préjudice. Le système que vous mettez en place, essentiellement fondé sur le développement des DRM, va empêcher la copie privée. J'appelle sur ce point l'attention de tous ceux qui nous écoutent, pas seulement les internautes, mais tous ceux qui bénéficient de la copie privée, et ils sont nombreux ! En n'entendant pas ce message, le Parlement sape les fondements juridiques de la copie privée. Nous allons ainsi nous priver de moyens qui ont vraiment permis, à hauteur de 200 millions d'euros, de soutenir la création et la diversité culturelle, notamment dans le domaine musical. Chaque fois que l'on s'attaque à cette redevance, par légèreté ou par choix dogmatique comme vous le faites, on réduit les moyens affectés à la création et à la diversité culturelle, notamment dans le domaine de la musique. Et cela n'est pas, monsieur le ministre, avec votre budget, dont les crédits d'intervention fondent comme neige au soleil, en particulier dans le domaine du spectacle vivant, que l'on compensera cet assèchement ! Les directions régionales des affaires culturelles sont aujourd'hui asséchées, paupérisées, régulées. Vous ne pouvez dire le contraire. Le spectacle vivant n'est du reste pas le seul poste budgétaire de votre ministère qui est asséché. Nous pourrions aussi parler des monuments historiques !

Vous sapez les fondements de la redevance pour copie privée et supprimez l'allocation de moyens pour la création et la diversité, et non seulement vous ne compensez pas cette perte, mais votre budget diminue chaque année. C'est une approche suicidaire pour la création et je pense que les artistes français vont s'en apercevoir très vite. Vous pouvez toujours vous réfugier derrière un rideau de fumée en attisant la peur pendant quelques semaines, mais la logique intrinsèque de la stratégie que vous avez choisie va très rapidement apparaître aux yeux de tous.

Pour limiter les dégâts que vous causez, nous avons souhaité insister ce soir sur la nécessité d'une rémunération prélevée auprès des fournisseurs d'accès. Cela n'est pas un tabou pour nous. C'est visiblement une chasse gardée pour l'UMP : on ne touche pas aux fournisseurs d'accès. Il faudra que vous vous en expliquiez devant le pays, mes chers collègues.

09/03/2006 Débats DADVSI : licence légale

Je voudrais vous donner une information encore inédite, mes chers collègues, afin de vous faire comprendre pourquoi nous nous sentons parfaitement assurés du soutien des Français quand nous défendons les positions qui sont les nôtres et pourquoi nous avons au contraire le sentiment, en vous entendant, que vous voulez légiférer contre la société.

Le dernier sondage qui a été réalisé sur cette question les 3 et 4 mars 2006 nous donne une indication très claire de l'opinion des Français - et pas seulement des lobbies - quant à notre débat : 72 % des Français sont favorables à l'instauration d'un système légal d'échange et de téléchargement non commerciaux entre les particuliers moyennant la création d'une redevance payée avec l'abonnement à Internet « pour rémunérer les auteurs, les artistes, les interprètes, les producteurs, en complément de l'offre payante ».

Et ce chiffre, et c'est sans doute cela qui vous gêne le plus, atteint 87 % pour les moins de vingt-cinq ans ! Alors, oui, la jeunesse de France est contre vous, qu'il s'agisse du contrat premier embauche ou du téléchargement et de la culture sur Internet.

08/03/2006 Débats DADVSI : exceptions au droit d'auteur

Puisque nous en sommes à justifier l'exception dont peuvent bénéficier les personnes handicapées, notamment aveugles ou non voyantes, je souhaiterais que le ministre nous apporte une précision.

En effet, si la rédaction actuelle, qui prévoit que ces documents font l'objet d'un dépôt sous forme d'un fichier numérique, témoigne d'un progrès par rapport à celle du mois de décembre, nous avons cependant, à la demande de nombreuses associations et en dialogue avec elles, introduit dans nos propositions l'idée d'un véritable dépôt légal. À défaut de ce dépôt légal, il conviendrait donc d'éclairer l'Assemblée nationale quant au degré de l'obligation faite aux éditeurs de transmettre ce fichier numérique, qui est la condition de possibilité d'une transcription en braille ou de la mise en œuvre de systèmes de reconnaissance vocale au profit des personnes handicapées.

[...]

Monsieur le ministre, dans cette nouvelle rédaction, vous avez fait prévaloir une formulation très restrictive et, me semble-t-il, très malthusienne de cette exception pour les bibliothèques, en la réduisant à des aspects de conservation patrimoniale qui s'appliquent exclusivement à des œuvres épuisées ou à des formats obsolètes. La directive européenne vous donnait pourtant un champ considérable pour construire une véritable exception en faveur des bibliothèques.

Parce que nous croyons à l'importance des bibliothèques, qui sont des services publics essentiels pour l'accès à la culture, et parce qu'il faut aujourd'hui en faire des pôles de ressources numériques accessibles à tous, nous souhaitons une transposition ouverte de la directive. De ce fait, ce sous-amendement ne fait que reprendre littéralement le texte de la directive de 2001. Ne nous répète-t-on pas, chers collègues, qu'il faut transposer la directive, toute la directive et rien que la directive ? Il me semble que nous pouvons trouver là un véritable consensus, pour le bien des bibliothèques, des bibliothécaires et, plus encore, du public de toutes générations qui a accès à ces bibliothèques.

07/03/2006 Débats DADVSI : licence globale, copie privée, exceptions au droit d'auteur

Nous vous proposons de reconnaître une exception pour copie privée concernant le téléchargement d'œuvres musicales, en particulier. La plupart des décisions de justice, la plus grande part de la jurisprudence de notre pays ces derniers mois ont retenu cette position quand des procès ont conduit des internautes devant les tribunaux. La plupart des décisions de justice ont reconnu à la copie privée le caractère d'une exception au droit d'auteur. Nous vous proposons d'inscrire clairement cette exception dans notre droit.

Nous vous proposons également, et c'est une avancée intéressante par rapport au débat du mois de décembre, d'inscrire très clairement dans le droit une nouvelle redevance pour copie privée. Cette redevance existe depuis des années en droit français. La redevance sur les supports vierges est reversée aux artistes et aux ayants droit d'une façon qui peut toujours être améliorée. Nous vous proposons de l'abonder de façon substantielle en l'appliquant à la fourniture de l'accès à Internet.

L'Internet doit contribuer au financement de la culture, en particulier de la musique ; c'est un point sur lequel nous sommes d'accord. Comme l'a dit tout à l'heure Patrick Bloche, nous croyons que, pour le cinéma, les termes sont différents en raison de la chronologie des médias, des ordres de grandeur, des modèles économiques. Mais, pour la musique, nous pensons que le soutien massif de la filière musicale par un prélèvement sur les fournisseurs d'accès est crédible.

La répartition de la redevance pour copie privée est connue : les auteurs en perçoivent 50 %, les interprètes 25 %, et les producteurs 25 %. Ce mode de répartition a fait ses preuves, ce qui ne signifie pas pour autant qu'il soit intangible. Mais nous avons là un modèle connu et qui fonctionne.

Nous souhaitons, vous et nous, trouver une façon de faire de cette loi une avancée réelle pour les deux ou trois ans qui viennent. Nous croyons tous au développement possible des plateformes commerciales. Mais n'oubliez pas qu'en 2005 elles ont drainé au plus 20 millions d'euros. Avec un prélèvement de l'ordre de 2 euros sur chaque abonnement pour l'accès au haut débit, acquitté par les fournisseurs d'accès, nous proposons de mettre à la disposition de la filière musicale 200 millions d'euros dès la première année, soit dix fois plus. On ne peut pas dire que cette proposition ne témoigne pas d'une volonté très forte de soutenir la création et de faire en sorte que l'Internet finance la musique.

Ajoutons qu'il est possible de donner à cette disposition un caractère transitoire afin d'en examiner toutes les conséquences. À cet égard, le ministre a souligné, de manière intéressante, que, si les plateformes voulaient se développer, il fallait qu'elles ne se contentent pas de vendre des fichiers, mais aussi qu'elles apportent de réels services aux passionnés de musique.

D'autres sous-amendements, notamment le sous-amendement n° 307, reflètent le même esprit que celui-ci. Nous tenons-là un dispositif gagnant-gagnant, pour les artistes comme les internautes.

[...]

Je le répète : vous avez solennellement promis à la représentation nationale la communication de ces conventions. Elles intéressent des centaines de milliers d'enseignants, du secondaire ou de l'université qui, vous le savez, ont besoin d'accéder à des extraits de livres, d'œuvres cinématographiques ou musicales.

C'est pourquoi, monsieur le ministre, concernant ces accords, je souhaite vous poser deux questions touchant à deux points essentiels.

Première question : qu'en est-il du mécanisme ? S'agit-il d'une autorisation préalable ? Dans le cas d'une dictée tirée d'un auteur contemporain, faudra-t-il demander l'autorisation à l'auteur lui-même ou à son éditeur ? Pour l'extrait d'une œuvre cinématographique, dans le cadre de l'enseignement à l'image, faudra-t-il demander l'autorisation au producteur ou au réalisateur ?

Seconde question...

Monsieur le ministre, vous avez évoqué un montant de 2 millions d'euros : qui paiera ?

Comme, manifestement, vous êtes dans l'impossibilité de nous transmettre le texte des accords ou de nous répondre, je demande, au nom du groupe socialiste, une suspension de séance afin de vous donner le temps nécessaire à la communication des documents que nous vous demandons.

[...]

Je ne doute pas que le ministre répondra à la question très précise qui vient de lui être posée !

En adoptant la proposition de M. Suguenot, le Parlement a la possibilité de reconquérir le droit d'amendement qui lui a été subrepticement ôté dans la nuit de lundi à mardi. Depuis des semaines, nous essayons de construire une solution acceptable par tous et permettant de sortir par le haut de ce débat. Nous avons considéré que la licence globale, ou le prélèvement sur l'Internet sous quelque forme que ce soit, ne devaient pas être optionnels : il faut au contraire les généraliser. Cette solution répond aux demandes exprimées au cours du débat dans notre pays.

De votre côté, monsieur le ministre, vous avez fait une avancée que je reconnais bien volontiers : vous avez enfin cessé de considérer le téléchargement comme de la contrefaçon. Ce n'était pas le cas lorsque vous êtes entré dans l'hémicycle en décembre avec votre projet sous le bras ! Certes, vous nous expliquerez bientôt que la copie relève d'un régime contraventionnel, ce qui trahit une vision encore très archaïque, selon nous, de l'usage de la copie à l'ère numérique. Il n'en reste pas moins qu'il y a eu une avancée. Dès lors, nous devrions nous appuyer sur la jurisprudence, invoquée à tort par M. le rapporteur : s'il y a bien eu des décisions de justice condamnant des internautes, elles se sont raréfiées au fil des mois.

Mon dernier argument en faveur de ce sous-amendement sera celui de l'exception culturelle. Celle-ci repose assurément sur la qualité des artistes français et européens, mais aussi sur la manière de conduire la politique culturelle. Les échanges culturels bénéficient de règles différentes car ils ne peuvent être assimilés à des échanges de services. Les financements sont différents, bien souvent mutualisés grâce à des systèmes de licence, tel celui qui est en vigueur pour la radio, ou de redevance, comme c'est le cas pour la copie privée. Le financement public y a une grande importance.

Ce que nous proposons, c'est de jeter aujourd'hui les fondements de l'exception culturelle à l'âge numérique. Ne pas le faire reviendrait à considérer que la diffusion de la culture peut rester cantonnée à l'univers marchand et aux plateformes commerciales, donc à récuser l'exception culturelle. Voilà pourquoi il faut adopter ce sous-amendement.

07/03/2006 Débats DADVSI : sanctions

Le texte que vous avez défendu au mois de décembre, monsieur le ministre, avait au moins le mérite de la cohérence, même si c'était une cohérence répressive : vous considériez alors qu'en dehors des plateformes commerciales, il n'y avait point de salut et qu'une répression bien organisée permettrait en quelque sorte de les sanctuariser et de les développer. Le texte que vous nous présentez aujourd'hui au Parlement, cette version 2.0 en quelque sorte, n'a même plus de cohérence.

Une amende de 38 euros n'aura pas d'effet dissuasif. Quand vous avez tenté - heureusement les juges n'ont pas suivi ! - d'éviter le téléchargement à coup de procès et d'amendes de plusieurs dizaines de milliers d'euros, cela n'a pas suffi. Une amende d'un montant équivalent au prix d'un stationnement interdit, cette « contredanse pour la musique », que vous voulez instaurer ne sera pas suivie d'effet. Première incohérence que nous devons décoder pour ceux qui nous écoutent ou nous liront.

Après la riposte graduée, vous nous parlez maintenant, par un artifice « cosmétique », d'Internet équitable : il y a un progrès de vocabulaire, mais il n'y en a pas sur le fond. C'est une stratégie « perdant-perdant », monsieur le ministre, que vous nous proposez. Les internautes vont y trouver encore l'insécurité juridique à cause du flou de votre texte et l'impossibilité, à travers des jurisprudences qui seront forcément différentes, de trouver véritablement quelle est la règle de droit. Quand aux artistes, ils n'y gagneront pas un euro de plus, parce qu'avec les 38 euros, ce sera en fait la licence globale pour le Trésor public !

22/12/2005 Débats DADVSI : interopérabilité

Avec cet article 7, apparaît dans notre droit, à l'occasion de la transposition de la directive, le terme d'« interopérabilité ». Tel est l'enjeu de cet article qui est loin d'être anodin. C'est même le point essentiel de notre débat.

Ayant constaté qu'il était utile, pour être entendu dans notre hémicycle, de faire référence à des situations concrètes, je citerai deux exemples tirés de notre vie quotidienne...

Ce matin, je me suis rendu dans un magasin parisien, comme sans doute nombre d'entre vous, pour procéder à quelques achats de Noël.

J'ai choisi d'offrir à un être qui m'est cher un baladeur numérique. Ce faisant, j'ai pu constater que l'interopérabilité n'était pas de ce monde. Car, quel que soit le type d'appareil, aucun ne permettait d'accéder à l'ensemble de l'offre musicale offerte par les plateformes commerciales chères au ministre de la culture, ou par internet et les réseaux peer to peer.

Mon deuxième exemple est tiré, lui aussi, de la vie quotidienne de chacun d'entre nous. Je vous invite, mes chers collègues, à essayer d'accéder à l'enregistrement vidéo de nos séances sur le site de l'Assemblée, en utilisant un ordinateur muni d'un logiciel libre, de type Linux. Vous n'y parviendrez pas, car c'est sous un format Microsoft que sont stockées les archives de l'Assemblée nationale. Je livre cet exemple à votre réflexion : il s'agit bien d'une limitation d'accès, désormais banale, à ce qui n'est pas en l'occurrence une œuvre d'art, car si nos débats sont démocratiques, ils ne sont pas toujours des chefs-d'œuvre artistiques ! Voilà en tout cas deux exemples qui illustrent parfaitement l'absence d'interopérabilité.

Alors, que faudrait-il faire, monsieur le ministre, dans ce projet de loi, ou dans un autre, une fois que nous aurons repris plus sérieusement ce travail, comme beaucoup le souhaitent ici ? L'enjeu essentiel est de créer, pour les industriels et les développeurs de systèmes informatiques, en particulier de logiciels libres, les conditions de la compatibilité de l'ensemble des systèmes. Or - Frédéric Dutoit l'a dit tout à l'heure avec passion et conviction - l'article 7, dans sa rédaction actuelle, ne permet pas d'atteindre cet objectif. C'est pourquoi le groupe socialiste a déposé un amendement, n° 85, qui vise à en améliorer la rédaction. Le moment venu, j'espère, monsieur le ministre, que vous voudrez bien attacher quelque crédit à cet amendement.

Pour respecter la tradition en cette veille de Noël, monsieur le ministre, je vais vous offrir le livre d'un auteur américain, pour que chacun comprenne bien que notre débat n'est pas franco-français. Nous traitons en effet d'une question politique d'ordre mondial. Je vous offrirai donc tout à l'heure, monsieur le ministre, l'ouvrage d'un universitaire et juriste américain, Lawrence Lessig, qui fut le conseiller du Président Clinton lors du contentieux qui l'opposa à Microsoft. Ce livre, L'avenir des idées, montre le déploiement à l'échelle mondiale de l'offensive menée par les grands de l'informatique pour confisquer la culture et internet. J'espère que, lorsque nous reprendrons ces travaux dans quelques semaines - ou, je l'espère, dans quelques mois - vous aurez médité cette œuvre de Lawrence Lessig dont je me sens très proche.

[...]

L'amendement de notre collègue Cazenave ne nous pose pas de problème majeur, mais je veux appeler l'attention de nos collègues de la majorité sur le fait que son périmètre paraît trop étroit, car il n'ouvre qu'à une catégorie d'acteurs industriels la possibilité d'accéder aux informations essentielles à l'interopérabilité. Si on fait référence à des pratiques anticoncurrentielles, c'est parce que l'on tente de préciser la manière dont les acteurs commerciaux peuvent se voir offrir les possibilités d'accéder à ces informations indispensables à l'interopérabilité.

Cet amendement est nécessaire, mais pas suffisant. Si seul l'amendement n° 253 était voté, on priverait un certain nombre d'acteurs, développeurs de logiciels libres non commerciaux notamment, de la possibilité d'accéder à ces informations essentielles à l'interopérabilité.

Je vous renvoie donc à notre amendement n° 85 tout en notant que M. Dutoit a présenté à l'instant un amendement assez proche.

Qu'avons-nous voulu faire avec cet amendement n° 85 ?

Nous avons d'abord voulu dénoncer les limites de la rédaction actuelle du projet de loi. Tel qu'il est rédigé, l'alinéa 3 de l'article 7 ne garantit pas véritablement l'interopérabilité. Or, nous souhaitons établir une capacité de l'ensemble des systèmes à échanger des données. Pour cela, il nous faut apporter la garantie que les œuvres protégées peuvent être converties dans un format accepté par les systèmes de lecture dont disposent les consommateurs qui en font l'acquisition. Les fournisseurs de mesures techniques ne doivent pas rendre leurs clients captifs en bloquant la concurrence ou en faisant de la rétention d'informations essentielles à l'interopérabilité.

Le texte initial prévoit simplement une licence obligatoire, mais ne permet pas à tous les acteurs concernés, notamment les développeurs de logiciels libres, commerciaux ou non-commerciaux, de disposer de la possibilité pratique de mettre en œuvre l'interopérabilité. Certes, le projet donne des directions, mais, en ces domaines, il n'est pas suffisant de fixer des objectifs théoriques, il faut dire concrètement comme ça marche. Quand on donne le menu, il faut aussi indiquer la recette et les ingrédients. Nous ne devons pas avoir une approche trop restrictive de la question car le développement des logiciels libres représente un enjeu majeur.

Je constate toutefois que, sur cette question totalement ignorée de la représentation nationale il y a encore deux ou trois ans, tous les groupes ont fait des progrès dans la compréhension du monde dans lequel nous vivons. C'est très important.

Je vous rappelle en outre, mes chers collègues, que de nombreux parlementaires européens, notamment des socialistes français, ont évité le pire, au début du mois de juillet, en s'opposant à ce que la Commission européenne et le Parlement européen organisent le brevet logiciel. Ce coup d'arrêt porté à cette dérive donne au Parlement français quelques obligations. Veillons à ce que, à notre tour, nous soyons à la hauteur de cet enjeu. Nous n'avons pas été saisis de la question du brevet logiciel, mais, sur la question de l'interopérabilité, je souhaiterais que le Parlement français prenne ce soir une décision courageuse en adoptant l'amendement que nous proposons.

[...]

Si l'on peut s'émouvoir, c'est bien du vote de l'amendement n° 253 amputé des propositions de Patrick Bloche. Il y a là quelque motif légitime d'indignation et de regret. L'amendement n° 253 prive en effet une part importante de la communauté du logiciel libre de la possibilité de revendiquer le droit d'accès à l'interopérabilité, ce qui est une erreur.

22/12/2005 Débats DADVSI : test en 3 étapes, webradios

C'est pourquoi, monsieur le ministre, je vous demande, au nom du groupe socialiste - vous en avez la possibilité -, de faire procéder, le moment venu, à une seconde délibération sur l'article 3. Très sollicités, les députés de la majorité qui l'ont voté ne se sont sans doute pas aperçus - preuve de l'improvisation de nos travaux - de son importance. Cet article introduit, en effet, le test en trois étapes en droit français, concernant la protection juridique des bases de données. D'inspiration anglo-saxonne, comme d'autres, ce dispositif a certainement sa place dans les instruments internationaux, mais pas dans une loi de la République française.

Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, connaître votre point de vue. Une seconde délibération sur ce point serait sans doute un geste utile.

[...]

Monsieur Vanneste, je n'ai pas lancé d'invective, mais j'ai voulu faire une très modeste démonstration. Je ne remettais pas en cause le test en trois étapes.

J'ai même consacré quelques minutes, hier soir, à essayer de vous démontrer que nos amendements sur l'extension de copie privée au téléchargement respectaient ce test ; je me suis, pour cela, appuyé sur des études universitaires que je crois incontestables.

Nous pensons - c'est pourquoi nous débattons sur ce point - que nos propositions sont conformes aux engagements internationaux de la France. Nous considérons toutefois que ce test, qui a sa place dans des traités internationaux, n'a rien à faire en droit français. Nous disposons de la marge de manœuvre qui convient pour les exceptions. Nous ne sommes pas obligés de recopier les traités internationaux.

[...]

Je reviens sur la question des webradios.

Dans l'histoire de la radio, il y aura eu quelques grands moments de débat. Avant la seconde guerre mondiale, on disait que la radio allait tuer la musique.

En effet, mais on l'a dit alors et aujourd'hui certains disent que les webradios vont tuer la musique.

Mais les éditeurs de musique ont montré leurs capacités d'innovation et inventés de nouveaux produits : 45 tours, 33 tours, haute fidélité...

Puis il y a eu un autre moment important dans l'histoire de la radio et nous savons qui était aux avant-postes du combat pour les radios libres en 1981 et comment on est passé d'un monopole à une situation qui a permis l'épanouissement de nombreuses radios dans un climat de liberté.

Un mouvement analogue pourrait se produire avec les webradios, si elles pouvaient se développer dans un climat de sécurité juridique dont elles ne bénéficient pas. Aujourd'hui, en France, les webradios sont en panne. Or elles constituent un élément important de la diffusion culturelle, de la musique bien sûr mais pas seulement. Peut-être le benjamin de l'Assemblée nationale, M. Wauquiez, est-il utilisateur de webradios et pourrait-il apporter son témoignage à ceux ne sont pas des utilisateurs aussi réguliers.

Par cet amendement, nous voulons étendre aux webradios un système qui a fait ses preuves et qui apporte chaque année au financement de la création, aux artistes et aux musiciens, des sommes non négligeables. Il y a aujourd'hui, sinon une convergence, du moins une certaine neutralité de la technique. Les webradios sont utilisées quotidiennement par des millions de Français de tous âges. Elles sont devenues leurs radios.

Faut-il brider ces moyens de diffusion et d'expression ou faut-il leur appliquer un système qui marche, celui de la licence légale ? Ce n'est pas une transgression du droit d'auteur que nous proposons, mais simplement une adaptation de notre droit et cela n'est pas contraire aux engagements internationaux de la France - je tiens à le répéter parce que c'est un pont aux ânes que nous allons entendre dans ce débat - puisque la législation internationale indique clairement qu'un droit de rémunération au titre des droits voisins existe dans le cadre des services en ligne, mais que le droit exclusif ne s'applique que lorsque l'œuvre est mise à la disposition du public à la demande. Avec les webradios, nous sommes bien dans une émission en continu, n'est-ce pas monsieur Wauquiez ?

21/12/2005 Débats DADVSI : exceptions au droit d'auteur, licence globale

Cet amendement concerne très directement ce qu'il est convenu d'appeler l'exception pour enseignement et recherche, qui est demandée par de très nombreux enseignants, notamment universitaires, ainsi que par les collectivités territoriales.

L'activité d'enseignement et de recherche requiert en effet quotidiennement l'utilisation d'œuvres protégées auxquelles les nouvelles technologies offrent des facilités d'accès sans précédent. Toutefois, en l'état actuel de la législation, aucune solution globale, simple et rapide ne permet de sécuriser juridiquement l'usage de ces contenus par les enseignants.

Parmi les exceptions prévues par la directive que nous transposons figure l'utilisation à des fins exclusives d'illustration. Néanmoins, ce cas n'est pas véritablement prévu dans la rédaction actuelle du code de la propriété intellectuelle ni dans le projet de loi. Dès lors, si nous n'amendons pas ce texte, le régime qui sera appliqué sera plus restrictif que dans la plupart des autres pays européens.

En outre, le Gouvernement nous paraît avoir différé, ou en tout cas ne pas être parvenu à la conclusion d'un accord précisant quelle serait la participation budgétaire de l'État en cas de compensation. Certes, la directive ne prévoit pas à proprement parler de compensation, mais il serait sans doute équitable de consacrer ce principe par voie législative. À défaut de contribution de l'État, la charge risquerait d'être abusivement reportée sur les collectivités locales.

Nous souhaitons donc, d'une part, que cette négociation aboutisse au plus vite, afin de sortir les enseignants et les chercheurs de l'incertitude juridique où ils se trouvent actuellement et, d'autre part, apporter, par notre amendement, quelques améliorations à ce texte consacrant une exception pour l'enseignement et la recherche. Dans le cadre de ces seuls usages, nous proposons ainsi d'introduire la notion d'extraits, qui nous paraît moins restrictive que celle de « courtes citations » et d'étendre le droit de citation à des domaines aujourd'hui exclus par la jurisprudence, en particulier aux œuvres autres que littéraires.

[...]

Nous comprenons évidemment fort bien que des négociations aient lieu - avant ou après le vote de la loi - et que la loi et le domaine contractuel aient chacun leur champ d'action.

Cependant, monsieur le ministre, il y a deux points sur lesquels j'aimerais connaître votre point de vue.

Premièrement, prévoyez-vous une participation budgétaire de l'État pour cette compensation que nous jugeons nécessaire, et le cas échéant, selon quelles modalités ?

Deuxièmement, je m'interroge sur la rédaction de la loi, laquelle relève logiquement de la compétence du législateur plutôt que du domaine contractuel : il nous paraît nécessaire de remplacer la notion de « courtes citations », très restrictive, par celle d'« extraits », qui correspond davantage aux besoins des enseignants dans le cadre du travail pédagogique qu'ils assument avec leurs élèves.

Quelle est votre position sur ces deux points, monsieur le ministre ?

[...]

Donc si je comprends bien, monsieur le ministre, vous refusez l'introduction dans notre droit d'une exception pour l'enseignement et pour la recherche. Nous le déplorons.

Nous pensions même pouvoir vous aider par la loi. Le vote de ces amendements vous aurait permis de conclure dans de meilleures conditions les discussions un peu erratiques menées depuis quelques mois. Si vous aviez dit clairement devant la représentation nationale que le Gouvernement était prêt, y compris sur le plan budgétaire, à travailler à la mise en place de compensations équitables pour les éditeurs, la négociation aurait été facilitée.

Mes chers collègues, si nous écrivons dans la loi cette exception, nous contribuerons, sans vouloir faire le bonheur du Gouvernement malgré lui, à faire bénéficier l'enseignement et la recherche d'un véritable progrès.

[...]

Ces deux amendements importants nous placent au cœur du débat puisqu'il s'agit d'un choix de stratégie.

Je suis très heureux de tordre le cou, dès l'article 1er, à l'idée selon laquelle il y aurait ici, d'un côté, les partisans de la gratuité et, de l'autre, les partisans du soutien à la création. Au fond, il y a deux stratégies du soutien à la création, qu'il faut explorer avant que l'Assemblée nationale ne choisisse.

Nous ne sommes pas, mes chers collègues, en train de découvrir je ne sais quelle terra incognita ! Les licences existent déjà - pour les radios, par exemple - ainsi que les systèmes de gestion collective. Les licences n'ont pas tué la musique et les systèmes de gestion collective ont été initiés dans la loi Toubon de 1994 sur la reprographie. Nous pouvons donc nous appuyer sur des pratiques qui existent dans notre pays depuis des décennies pour trouver des solutions.

Quel est le problème ? Nous voulons mettre en place une rémunération alternative pour l'ensemble des auteurs, artistes, créateurs et ayants droit. C'est bien de cela qu'il s'agit dans ces amendements et, au fond, dans l'ensemble de ce texte. Encore une fois, il n'y a pas d'un côté les apôtres d'une liberté sans limites, sans contrôle et sans règles, qui défendraient la thèse de la gratuité totale, et de l'autre les vertueux serviteurs de la culture. Ce soir, nous commençons à dépasser cette fausse opposition qu'on essaie d'installer depuis hier.

Il ne s'agit pas non plus de compenser un préjudice. Cette question, elle aussi, mérite un débat. On ne peut pas avaler toutes crues les revendications d'un certain nombre d'acteurs économiques qui crient au loup, ou plus exactement au pirate pour expliquer à leurs actionnaires ou aux fonds de pension qui les contrôlent pourquoi leur reporting européen et français n'est pas au meilleur niveau.

J'aimerais que le Gouvernement cesse de mettre en avant dans l'exposé des motifs de ses amendements la crise du marché du disque comme si elle était entièrement due au téléchargement !

Le ministre a évoqué tout à l'heure le respect des engagements internationaux de la France. Sur ce point essentiel, je signale que certains juristes, spécialistes reconnus de la propriété intellectuelle, considèrent que ces amendements ne contredisent pas la règle du test en trois étapes. Je profite du droit de citation accordé à l'opposition pour citer le professeur André Lucas, qui fait autorité en la matière : « Si la gestion collective est imposée dans un cas précis, bien défini et de portée étroite, on peut sans doute y voir un cas spécial » - première étape - « ;ensuite, on peut admettre que cette solution ne porte pas atteinte à l'exploitation normale des droits, dès lors qu'il est pratiquement impossible à l'auteur titulaire du droit d'auteur de recourir à des dispositions d'octroi d'une licence privée » - deuxième étape - « ; enfin, dans la mesure où le système envisagé assure une rémunération équitable des ayants droit, il ne cause pas de préjudice injustifié à leurs intérêts légitimes ». La troisième étape, monsieur le ministre, est également satisfaite. Nous sommes bien en train de construire une nouvelle rémunération qui permette de soutenir les artistes et la création.

D'autres possibilités s'offrent à vous, mais vous misez à 100 % sur les plateformes de vente de musique en ligne. Nous pensons, pour notre part, que la cohabitation est possible entre ces différents canaux de diffusion et nous sommes persuadés que les artistes peuvent envisager favorablement une nouvelle ressource permettant de soutenir la création française à un moment où elle en a grand besoin.

[...]

Je ne sais pas si nous prendrons ce soir sur tous les sujets des décisions historiques, mais ce dont je suis sûr c'est que, sur cette question-là, nous pouvons, en soutenant l'amendement de M. Warsmann, créer une nouvelle exception en faveur de l'enseignement et de la recherche française. Sans doute sera-t-il nécessaire par la suite de parvenir à des solutions contractuelles par la concertation, mais la négociation ne doit pas nous empêcher de faire naître ce soir, en France, cette exception culturelle qui répond à l'attente de dizaines de milliers de professionnels et de toutes nos collectivités.

[...]

La question soulevée par cet amendement et par d'autres, qui seront discutés après, est à nos yeux essentielle car elle concerne une avancée très importante. C'est pourquoi le groupe socialiste, qui a déposé quatre amendements relatifs à l'exception des personnes handicapées, notamment des personnes non-voyantes, soutient évidemment l'amendement de Mme Billard.

Je suis néanmoins un peu surpris, madame la présidente, que les amendements nos 164 et 165 à l'article 1er, qui ont le même objet que l'amendement n° 121, ne soient pas discutés en même que lui.

Monsieur le ministre, je suis en désaccord avec votre présentation des choses : si nous voulons que cette exception ne reste pas purement théorique, mais qu'elle ait une portée pratique, nous devons comprendre la situation actuelle et y adapter nos propositions.

Actuellement, une transcription en braille d'ouvrages à l'intention de personnes malvoyantes implique de scanner l'ensemble de ces ouvrages, ce qui est une tâche très lourde, dont le coût est considérable et qui rend presque prohibitive l'édition en braille. Mme Billard l'a d'ailleurs rappelé : à peine 2 000 ouvrages ont été ainsi transcrits.

Or, ce que nous souhaitons sans mégoter - c'est ainsi que je le dis -, c'est qu'à l'arrivée les personnes non-voyantes aient accès au patrimoine littéraire, ainsi qu'aux ouvrages scolaires et universitaires. Cela ne sera rendu possible que par le biais de fichiers numériques ouverts, et pas seulement « adaptés », monsieur le ministre : ce serait insuffisant, surtout si nous confions aux éditeurs le soin de définir ce qui est adapté et ce qui ne l'est pas. Nous proposons donc des amendements visant à ce que, à l'occasion du dépôt légal, les éditeurs remettent des fichiers ouverts permettant immédiatement et à coût réduit la transcription en braille ou par des logiciels de reconnaissance vocale. Ce serait un progrès essentiel, notamment pour des centaines de milliers de personnes non-voyantes ou malvoyantes.

C'est pourquoi je vous invite, dans le cadre de l'amendement de Mme Billard ou de ceux qui seront examinés un peu plus tard, à réfléchir aux décisions que nous devons prendre afin de faire le maximum en faveur de ces personnes. Il ne s'agit pas là d'une question de rémunération, mais d'efficacité.

21/12/2005 Débats DADVSI : riposte graduée, économie numérique

Plus préoccupant, cet amendement dessaisit le juge de son rôle dans l'appréciation des infractions au droit d'auteur et de la validité des poursuites pouvant être engagées contre les internautes. On transfère en fait à une autorité administrative à créer le pouvoir de décider du bien et du mal dans ce domaine.

J'informe d'ores et déjà le Gouvernement que le groupe socialiste, en raison de la gravité des dispositions qui vont être proposées à la représentation nationale, souhaite que le garde des sceaux soit présent au moment de la discussion de cet amendement. Nous utiliserons tous les moyens de procédure pour rappeler, à chaque étape de l'examen de cet article et de ce amendement, qu'il nous paraît indispensable que le garde des sceaux participe à nos travaux.

[...]

Monsieur le ministre, permettez-moi de reprendre ici le court extrait d'une intervention : « La ligne Maginot que veut mettre en place le projet de loi sur le droit d'auteur et les droits voisins dans la société de l'information nous semble incohérente avec les positions historiques de la France en ce domaine, inadaptée au regard des nouvelles pratiques numériques et techniques dangereuses. C'est une occasion manquée, deux cents ans après l'apport des Lumières, de donner l'exemple d'un droit adapté à l'économie numérique plutôt que de favoriser le maintien d'oligopoles apôtres de l'obscurantisme technologique. » Ces propos, que j'aurais pu tenir, à la virgule près, hier soir, en défendant ma question préalable, émanent en fait de M. Bernard Carayon, député UMP du Tarn.

[...]

Nous pensions que ce débat allait être l'occasion de montrer que la culture et les technologies de l'information pouvaient échapper aux lois d'airain de l'économie mondialisée, et que c'était un message que la France pouvait porter. Nous pensions aussi que ce débat allait être l'occasion de refonder la légitimité de l'intervention publique en matière culturelle.

Or vous proposez, à la manière d'un ministre de l'intérieur ou d'un garde des sceaux, mais sûrement pas d'un ministre de la culture, de raffiner la répression qui est censée s'abattre depuis des mois sur les internautes.

Vous faites cela parce que vous être confronté à quelques difficultés. En effet, les juges refusent de plus en plus de sanctionner. Ils se rebellent car la CNIL, elle, a déjoué le piège en refusant d'accréditer les méthodes d'identification des infractions. En réaction, vous êtes en train d'inventer une usine à gaz répressive, à base d'interceptions électroniques, de dénonciations, en utilisant un régiment de gardes assermentés. Il faut choisir entre la Bastille ou le pilori !

On attendait Malraux, ce fut Maginot !

20/12/2005 Débats DADVSI : question préalable

Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, il est vrai qu'en 2005, sept millions de Français, huit millions peut-être, ont téléchargé de la musique sur l'internet et que plus de trois millions ont téléchargé des films. On les appelle - ou plutôt vous les appelez - des « pirates ». Mais est-ce bien sûr ?

La plupart d'entre eux l'ont fait en échangeant des fichiers numériques à des fins non commerciales, dans le cadre de l'abonnement qu'ils ont légalement contracté avec un fournisseur d'accès. Ces Français ne sont pas différents de centaines de millions d'êtres humains qui chaque jour échangent, partagent et copient des œuvres culturelles. Ces pratiques sont massives, irréversibles. Elles modifient, bouleversent même, depuis près de dix ans la diffusion de la culture, les modes d'accès à la musique, aux images et aux textes.

J'ai ici deux baladeurs numériques. Les plus puissants de ces appareils, dont le coût est accessible, permettent de charger, de stocker et d'écouter près de 60 000 morceaux de musique, soit l'équivalent de 3 000 CD. Désormais, la musique s'échange, elle est nomade et accessible au plus grand nombre avec une simplicité inégalée. Ces pratiques sont l'un des fruits de la révolution numérique qui transforme l'économie tout entière, pour le meilleur et pour le pire.

Dans le domaine culturel, heureusement, le pire n'est pas toujours sûr. Au coût et à la rareté de l'œuvre sur un support physique se substitue l'abondance, puisque la reproduction est sans limite et pour un coût presque nul. Cette grande transformation ne laisse pas indemnes, il est vrai, les métiers de producteur et d'éditeur. Plus profondément encore, elle renouvelle les conditions de la création elle-même, car elle redéfinit la place des auteurs et des interprètes, mais aussi du public. La révolution numérique déplace les lignes, elle redistribue les rôles et la valeur et, dans la création contemporaine, elle modifie les frontières traditionnelles entre le public et les créateurs.

Monsieur le ministre, vous avez tout à l'heure présenté ce débat comme historique, et le groupe socialiste a envie de vous prendre au mot - mais pour vous dire que de ces changements naissent aujourd'hui des espoirs. La légalisation des échanges culturels non commerciaux sur l'internet n'est pas une utopie : elle est pour demain. Ne brisons pas ces espoirs par ignorance ou par dogmatisme.

Devant cette mutation, nos règles et notre droit, en France comme en Europe, apparaissent d'un autre âge. Nos principes sont solides, à commencer par le droit d'auteur, mais nos techniques juridiques, pour être efficaces, doivent se remettre en question.

La culture, vous le savez, ne s'invente pas au Parlement. Et quand arrive le temps d'écrire la loi, comme nous en avons l'exemple ce soir, il est souvent trop tard ou trop tôt. Sur ces questions, monsieur le ministre, vous avez rendez-vous avec le Parlement depuis longtemps. Et pourtant, ce rendez-vous que vous honorez tardivement, il aurait été sage de l'annuler. Plus de cent mille internautes vous ont interpellé en ce sens, vous demandant de renoncer à ce texte qu'ils perçoivent à juste titre comme une menace. Comme beaucoup d'entre nous, ils jugent déraisonnable de placer ce débat sous le signe de l'urgence qui, dans un domaine aussi sensible, sera mauvaise conseillère.

Vous objecterez, car c'est de rigueur, le temps passé à la concertation. Mais, dans une démocratie, quand il privilégie un seul point de vue et néglige tous les autres, le dialogue est truqué. Vous-même et votre prédécesseur, Jean-Jacques Aillagon, avez sur ces sujets une pensée, une conviction, mais trop exclusives.

Devant l'âpreté de cette controverse, qui d'ailleurs ne se joue pas seulement en France, mais aussi en Europe et à l'échelle planétaire, il fallait organiser une confrontation sincère, et non un simulacre. Vous n'en avez pas la volonté - en tout cas pas la force.

Ce projet de loi est devenu le drapeau d'une croisade répressive que vous menez avec constance.

Nous la jugeons moyenâgeuse, injuste et inefficace.

C'est pourquoi je vous demande, au nom du groupe socialiste, de l'interrompre. La manière la plus rapide d'y parvenir serait, pour notre assemblée, de voter cette question préalable. À défaut, ce serait de modifier sur des points essentiels un texte dangereux, inadapté et lacunaire.

Il est de mon devoir, de notre devoir car Frédéric Dutoit l'a très bien fait avant moi, d'alerter le Parlement. Il ne s'agit ni d'un sujet mineur ni d'un texte anodin. En dépit de son apparence très technique, voire hermétique, ce projet de loi, ses motifs et ses contenus sont en effet au cœur de l'avenir de la propriété littéraire et artistique dans la société de l'information.

Faut-il, inspirés par la nostalgie d'un hypothétique âge d'or aujourd'hui révolu, durcir à l'excès le droit d'auteur ou, au contraire, le repenser et lui redonner sa légitimité en l'adaptant à la réalité des pratiques d'aujourd'hui ? Faut-il imaginer pour les artistes, les créateurs et les interprètes de nouvelles formes de rémunération auxquelles ils n'ont pas droit aujourd'hui ou bâtir, au contraire, des lignes Maginot techniques ou juridiques pour préserver - en vain, selon nous - l'ordre ancien ?

À l'évidence, il ne s'agit pas simplement de défendre ou de redéfinir les droits en présence. Nous sommes devant un choix majeur de politique culturelle. Ce qui est en jeu pour les décennies à venir, c'est l'accès libre à la culture. Dans notre histoire, chaque avancée vers l'accès libre à la culture est une victoire de la démocratie.

Avant d'entrer plus avant dans l'examen de ce texte et de ses dangers bien réels, je voudrais vous faire partager ma conviction. À l'occasion de la transposition de cette directive, le Parlement est en effet invité à choisir entre deux visions, deux voies désormais bien distinctes tant il est vrai que, depuis plusieurs années, le débat se déroule en dehors de lui : une voie répressive et une voie progressive.

La première voie, celle de la répression, s'illustre par les poursuites engagées, en Amérique puis en France, contre les internautes pour des faits de téléchargement et de mise à disposition de musiques ou de films. Ce sont les perquisitions à l'heure du laitier, la saisie des disques durs, les sanctions pour l'exemple. J'y vois comme une prise d'otages.

Nous avons été nombreux, au parti socialiste et sur d'autres bancs de l'Assemblée, à demander un moratoire sur ces poursuites, pour donner à la société française le temps de mieux appréhender, collectivement, la complexité de cette question. Ce moratoire n'a pas été accordé.

Assumant ces poursuites engagées en particulier par les producteurs de disques, vous dites combattre la « piraterie ». Cette notion n'est pas reconnue en droit, sinon peut-être en droit maritime !

Je sais ce qu'est la contrefaçon. Elle relève de trafics à but lucratif, parfois de réseaux criminels organisés. Elle constitue un danger pour le public comme pour les créateurs, et elle doit être réprimée sans états d'âme.

J'ignore, en revanche, ce qu'est la « piraterie » au sens où vous l'entendez et, jusqu'à la fin de nos débats, je m'abstiendrai d'utiliser trop souvent ce terme, pour ne pas risquer de qualifier de « pirates » vos enfants et vos petits-enfants, et donc d'en faire des délinquants passibles de lourdes peines.

Vous dites combattre de tels actes d'échange. Pourtant, la quasi-totalité de la jurisprudence française récente considère que le téléchargement de morceaux de musique ou de films ne constitue ni un crime ni un délit, mais au contraire un acte légal de copie privée, à usage strictement privé et sans but commercial.

Vous réclamant déjà de la voie répressive - car vous faites preuve, monsieur le ministre, de beaucoup de constance -vous aviez déclaré, peu de temps après votre arrivée rue de Valois, dans Le Monde du 19 juin 2004 : « La piraterie sur internet, crime contre l'esprit ». Dix-huit mois plus tard, permettez-moi de craindre, au moment où vous présentez ce texte devant la représentation nationale, que le verrouillage de l'internet soit une offense à notre intelligence collective. Hier, dans le même journal, vous refusiez, et je peux le comprendre, d'arbitrer « entre la jungle et la taule ». Mais en vous lisant, en vous écoutant tout à l'heure, en relisant votre texte, on pouvait penser que vous aviez plutôt choisi le centre éducatif fermé.

Non, cher collègue, je récuse ce manichéisme : il ne s'agit pas de choisir entre le non-droit et le verrouillage. Car il existe une seconde voie possible, une voie de réforme progressive. C'est la poursuite d'une histoire longue et tumultueuse, mais positive. À chaque étape de notre histoire depuis deux siècles, il a fallu rechercher un équilibre entre les droits des auteurs, des ayants droit et du public.

Depuis le déploiement de l'internet, cette seconde approche, celle que nous défendons, a souvent été caricaturée. Encore ce soir, avec excès, sans vergogne, vous la décrivez comme le mythe de la gratuité totale, alors que nous n'avons jamais défendu la gratuité, encore moins la gratuité totale.

Vous présentez nos positions comme des fables libertaires ou comme une philosophie de pacotille. Pour ma part, je prends au sérieux les bouleversements qui s'opèrent sous nos yeux et je crois à la recherche de solutions pratiques pour permettre de dégager des ressources nouvelles, de financer des rémunérations compensatoires et des aides à la création.

Qui affaiblit le droit d'auteur, au risque de le tuer ? Ceux qui envisagent des adaptations aux nouveaux usages culturels, ou les majors de la musique quand elles mènent cette croisade répressive et régressive en s'arc-boutant sur des pratiques obsolètes ? Qui risque de tuer le droit d'auteur ? Ceux qui veulent démocratiser la création, permettre à tous les artistes de diffuser et de vivre de leurs oeuvres grâce aux technologies d'aujourd'hui, ou ceux qui fabriquent, salarient, puis vendent, comme un produit de supermarché, de jeunes artistes en prime time ?

Qui est réaliste et raisonnable ? Ceux qui proposent des remparts de papiers, ou ceux qui proposent d'inventer de nouveaux modèles culturels et économiques adaptés au monde qui vient ?

Il est vrai que dans l'approche que nous proposons, que nous opposons avec parfois un peu de passion à la vôtre, il y a à la fois de la raison et de l'idéal.

Oui, il y a de la raison car nous refusons l'idée de gratuité totale, que d'ailleurs personne ne défend sérieusement dans ce débat. Il ne faut donc pas travestir notre position. Il n'y a pas de création sans ressources pour les créateurs.

Mais, dans notre position, il y a aussi de l'idéal, car nous pensons possible que les technologies et les réseaux numériques permettent une avancée considérable, à la mesure peut-être de celle que fut l'invention du livre imprimé à la fin du XVe siècle. Sans ignorer Beaumarchais, nous n'entendons pas mépriser l'idéal de Condorcet, celui de la culture ouverte au plus grand nombre. Et nous n'entendons pas oublier l'appel de Victor Hugo - nous avons lu, monsieur le ministre, les mêmes textes, mais nous n'en faisons pas le même usage -, qui proclamait en 1878 : « Constatons la propriété littéraire, mais en même temps fondons le domaine public. »

C'est donc à la lumière de cette histoire et de ces principes que nous devons évoquer les dangers que recèle ce texte.

Ce projet de loi est d'abord dangereux par son inspiration. Il ne recherche pas l'équilibre entre des droits légitimes qu'il convient de concilier. Il cède à la panique, celle qui a saisi nombre d'acteurs économiques, parmi les plus puissants, mais aussi des artistes, devant les conséquences, apparentes du moins, des évolutions que nous observons.

Le marché du disque, c'est vrai, a connu des soubresauts ces dernières années. Personne ne le méconnaît. Cette crise a de multiples causes, et la preuve reste à faire, même après vous avoir écouté, que le téléchargement en est la principale. Certes, depuis le début du XXIe siècle, une chute des ventes de disques a été régulièrement constatée. Mais au-delà de ces analyses trop simples, pour ne pas dire simplistes, qui l'imputent entièrement ou très majoritairement aux échanges peer to peer, d'autres facteurs peuvent largement expliquer cette crise : c'est la fin d'un cycle de ce produit qu'est le disque. Nous savons bien, puisque nous en sommes, que les consommateurs ont aujourd'hui reconstitué pour l'essentiel leur collection de disques au format CD. Il y a également la crise économique, qui est bien là : le pouvoir d'achat des ménages est en baisse. C'est une dure réalité que personne ne peut ignorer au moment du choix d'un achat. Il y aussi l'essor des nouvelles technologies de communication, avec les téléphones portables, les ordinateurs, l'accès à internet, qui opèrent une nouvelle ponction sur le budget des ménages et plus particulièrement sur celui des adolescents. Il y a enfin cette concentration de l'offre, en particulier dans le domaine de la musique, autour de quelques artistes, selon les règles d'un marketing qui tue la diversité culturelle.

L'étude universitaire la plus récente qu'il nous a été donné de connaître, menée en relation avec une association de consommateurs et financée par le ministère de la recherche - ce qui doit a priori garantir sa qualité, voire son indépendance -, est très catégorique : même s'il y a bien sûr parfois des exceptions, elle considère que l'intensité des usages peer to peer n'a globalement aucun effet sur l'achat de CD et de DVD.

Il y a aussi, et nous ne la méconnaissons pas non plus, la fragilité structurelle du cinéma. Mais, monsieur le ministre, si vous voulez soutenir le développement des ventes en ligne, en particulier celle de la vidéo à la demande, vous avez le loisir d'abaisser à 5,5 % la TVA sur ces produits culturels, comme vous le demande le cinéma français. Si vous le faisiez, ce ne seraient pas des discours à l'UNESCO, mais des actes - Patrick Bloche vous le disait tout à l'heure.

À chaque révolution dans les technologies de diffusion et de reproduction, après des affrontements musclés - y compris dans cet hémicycle -, on a trouvé un nouvel équilibre.

À l'époque des pianos mécaniques, monsieur le ministre, les ayants droit de Verdi attaquaient l'un des inventeurs, et les grands compositeurs s'opposaient aux boîtes à musique. Mais le législateur, quelques années après, rendait légale la fabrication d'appareils de reproduction de musique et, quelques décennies plus tard naissait l'industrie du disque, que ce choix avait rendu possible. Puis il y eut la radio : la musique devenait gratuite pour l'auditeur, la qualité du son était meilleure. Vives protestations alors des producteurs de disques, dont les ventes ne repartiront, c'est vrai, notamment après la guerre, qu'au prix d'un certain nombre d'innovations : le 45 tours, le 33 tours et la haute fidélité.

Et le magnétoscope ? Là on s'en rappelle, on y était, et aux premières loges : on a cru à la mise à mort du cinéma. Jack Valenti, le lobbyiste du cinéma américain, déclarait alors - ce qu'on pourrait entendre aujourd'hui à propos du peer to peer - que « le magnétoscope est au cinéma ce que l'étrangleur de Boston est aux femmes seules chez elles ». Deux ans plus tard, contre Hollywood, la Cour suprême des États-unis légalisait le magnétoscope. Et le cinéma est toujours là.

Puis il y a eu le baladeur numérique : le premier modèle fut attaqué en 1998 par les maisons de disques. Il est aujourd'hui dans des millions de poches. Ensuite, quand les logiciels d'échange de musique de pair à pair sont apparus, Napster puis Kazaa en tête, les mêmes entamèrent une nouvelle croisade.

La démonstration que nous devrons accepter, maintenant ou plus tard, est évidente : il y a place pour la cohabitation, pendant longtemps, pour les canaux de diffusion de la culture. La cohabitation des modèles de diffusion dans le domaine musical - disques, plateformes de vente en ligne et échanges non commerciaux sur des réseaux peer to peer - est possible et souhaitable.

Ce texte, dangereux par son inspiration, l'est aussi par son contenu même. Vous faites le choix de sanctuariser par le droit les mesures techniques de protection, donc la gestion numérique des droits. J'y vois trois conséquences, qui sont autant de risques.

D'abord, il y a un risque pour la copie privée. Vous allez bien sûr le démentir, mais nous en débattrons pied à pied dans les jours qui viennent. Nous pensons que les dispositifs anti-copie que ce texte défend et veut généraliser - implicitement ou explicitement - vont inéluctablement réduire, puis supprimer la copie privée.

Ce n'est peut-être pas consciemment votre objectif, du moins je l'espère, mais c'est le but avoué de beaucoup des grands acteurs de ce domaine. Dans le même mouvement, en même temps que l'on réduira, puis supprimera, la copie privée, on tarira la rémunération pour copie privée que perçoivent aujourd'hui, à juste titre, les artistes.

Ensuite, il y a un risque pour les libertés. Depuis le début de cette législature, nous sommes confrontés à une redoutable récidive : c'est la tentation du filtrage, du fichage et, osons le dire, du flicage de l'internet.

En 2004, trois textes - en trois mois ! - sont allés dans ce sens. La loi Perben 2 a durci les sanctions contre la contrefaçon, en particulier pour dissuader l'échange de fichiers musicaux sur internet. La loi dite de « confiance »...

La loi dite « de confiance dans l'économie numérique » a cédé à la tentation - nocturne, on s'en souvient ! - de mettre en œuvre le filtrage des contenus et de renforcer à l'excès la responsabilité civile et pénale des fournisseurs d'accès. Beaucoup de ceux qui sont ici ce soir étaient déjà présents cette nuit-là. Ils seront d'ailleurs ici demain aussi, tout au long de la nuit.

Même le Conseil constitutionnel a émis d'expresses réserves sur la nature de ces mesures.

Troisième exemple de cette récidive : la loi réformant la Commission nationale de l'informatique et des libertés. Cette loi, débattue non pas la nuit mais dans la chaleur de l'été 2004, a prévu la possibilité pour les sociétés de gestion de droits de constituer des fichiers d'internautes en infraction.

Là, le Conseil constitutionnel n'a pas réagi. Mais la CNIL elle-même, au nom des libertés qu'elle garantit, a refusé en 2005 les modalités techniques qui lui étaient proposées pour détecter automatiquement les infractions au code de la propriété intellectuelle. Quel désaveu ! Et ce n'était pas volé ! Avec la protection légale donnée aux DRM, à ces mesures techniques de gestion des droits numériques, le risque pour la vie privée se confirme. C'est un véritable contrôle de l'usage des œuvres et, potentiellement, le traçage des préférences littéraires et artistiques, puis de tous nos échanges en ligne qui nous attend.

Après les risques pour la copie privée et pour les libertés, il y a enfin un troisième risque, monsieur le ministre, celui qui pèse sur l'interopérabilité, c'est-à-dire sur la capacité de deux systèmes d'information à communiquer entre eux, par exemple la possibilité de lire un CD ou un DVD sur le lecteur de son choix. Le contre-exemple nous a d'ailleurs été fourni cet après-midi, à votre corps défendant, par les plateformes en ligne qui étaient en démonstration à quelques mètres de cet hémicycle, parce qu'avec le baladeur que j'ai ici, je ne peux rien télécharger sur ces plateformes.

Au moment ou les députés discutent de ce projet de loi, de très nombreux Français achètent des baladeurs pour Noël. Il va s'en vendre peut-être des dizaines de milliers, et parmi eux, beaucoup comme celui dont je viens de parler. Mais les Français qui les achètent, et nous les députés qui discutons de ce texte, savons-nous que ce projet de loi transforme potentiellement les acheteurs de baladeurs en délinquants ?

Je ne voudrais pas vous infliger un voyage au bout de l'enfer numérique, mais tout de même, monsieur le ministre, prenons quelques exemples dans la vie quotidienne parce que chacun peut les comprendre, qu'il soit de bonne ou de mauvaise foi, qu'il soit passionné ou indifférent à ces questions.

Les mesures techniques qui sont d'ores et déjà installées sur les CD par les producteurs de disques ne sont pas lisibles sur les baladeurs de la même marque. Si j'achète tout a fait légalement un titre sur les plateformes payantes qui, à votre initiative, étaient en démonstration à l'Assemblée nationale cet après-midi, et que je transfère ce titre sur ce baladeur-là, je ne pourrai pas l'écouter. Les formats et les mesures techniques de protection de ces plateformes, fournies par Microsoft - pour ne pas le nommer - sont en effet incompatibles avec les formats que mon baladeur, lui, sait lire. Après avoir acheté ce titre - même si, en faisant distribuer des enveloppes prépayées, vous avez donné cet après-midi aux parlementaires une leçon de gratuité - je vais devoir, pour l'écouter sur mon baladeur, contourner les mesures techniques installées par la maison de disques. Ce faisant, je m'expose aux peines prévues par la loi.

Jusqu'à trois ans de prison, en effet, et 300 000 euros d'amende.

Poursuivons ce « voyage au bout de l'enfer ».

Monsieur le ministre, vous vouliez donner à ce rendez-vous législatif un caractère historique ; pour la troisième fois en moins de dix minutes, votre parole vous échappe !

En guise de remède, les vendeurs du plus grand distributeur français et européen de disques et de livres, lequel diffuse aussi de la musique sur sa plateforme en ligne, avec des fichiers protégés par le format et les mesures de protection de Microsoft que ce baladeur ne peut pas lire, recommandent aujourd'hui à leurs clients de graver sur un CD vierge le titre qu'ils ont acheté sur cette plateforme de musique en ligne pour pouvoir le lire dans ce format, alors que celui-ci n'est pas compatible !

En fait, le vendeur recommande de contourner la mesure technique de protection.

N'est-ce pas « lamentable », monsieur le ministre ? Si la loi est votée en l'état et que ce distributeur continue de recommander à ses clients de contourner la mesure technique que vous allez sanctuariser par la loi, il les expose aux peines prévues par la loi !

Avec ce baladeur, la seule option légale qui m'est ouverte, si je veux acheter de la musique en ligne, c'est de me rendre sur une grande plateforme internationale, celle d'Apple. Le but de ce projet de loi est-il de conforter le monopole d'Apple, qui contrôle aujourd'hui le plus grand parc mondial de baladeurs numériques ?

Je peux aussi acheter un autre baladeur, qui sache lire les formats Microsoft, pour pouvoir lire les titres que j'achète sur les plateformes qui ne sont pas celles d'Apple.

Le but de ce projet de loi - cette question n'est pas hors de propos : elle correspond à l'expérience de milliers de Français - est-il de renforcer le monopole de Microsoft sur les systèmes d'exploitation ?

C'est d'ailleurs pour avoir lié système d'exploitation et format de diffusion de la musique et des films que Microsoft a été condamné pour abus de position dominante par la Commission européenne.

Certes, si j'ai un baladeur, je peux lire de la musique en format MP3. Mais aucune des grandes plateformes de musique en ligne commerciales ne propose à la vente des titres en format MP3.

J'ai voulu, mes chers collègues, vous proposer ce voyage dans l'univers numérique, pour que nous prenions ensemble la mesure de ce que représente d'ores et déjà, avant même le vote de la loi - et ce sera pire encore si vous l'adoptez - le risque en matière d'interopérabilité, notion qui peut être définie comme l'ensemble des conditions nécessaires pour pouvoir rendre deux systèmes quelconques compatibles.

Il faut en effet, monsieur le rapporteur, savoir s'affranchir de la technique. Mais quand on légifère sur elle, mieux vaut ne pas l'oublier totalement. L'interopérabilité, en pratique, c'est la possibilité pour un consommateur de copier un morceau de musique d'un CD vers son baladeur ; c'est la capacité d'utiliser n'importe quel baladeur pour stocker la musique achetée sur n'importe quel site. Nous en sommes loin et nous en serons plus loin encore si cette loi est adoptée. C'est, en résumé, une simplicité d'utilisation pour le consommateur, simplicité nécessaire, monsieur le ministre, à la réussite des systèmes de vente en ligne que vous défendez à juste titre.

L'absence d'interopérabilité, c'est en revanche l'obligation d'utiliser un baladeur donné pour écouter une musique donnée ; c'est l'obligation de racheter toutes les œuvres lorsque l'on change de baladeur. Pour prendre une image, c'est l'obligation d'acheter les lunettes d'un certain opticien pour pouvoir lire les livres de certains éditeurs.

L'interopérabilité, c'est également la possibilité pour tout industriel de développer un système compatible. C'est la capacité pour lui de créer, d'entrer en compétition, de proposer ses produits sur le marché. Votre gouvernement déclare se préoccuper d'intelligence économique. Mais aujourd'hui, la plupart des fournisseurs de mesures techniques sont américains ou japonais. Vous devez préserver un cadre favorable à notre industrie dans cette véritable guerre économique, où les seuls gagnants de cette pénalisation du contournement des mesures techniques de protection seront ces grands groupes extra-européens.

Parmi les industriels français et européens, remarquons ceux qui développent du logiciel libre. Vous les avez certes mentionnés. Mais savez-vous que le premier éditeur mondial de distribution de systèmes Linux destinés aux particuliers est une société française, dynamique et créatrice d'emplois ? Si l'on empêche le contournement à des fins d'interopérabilité, on empêchera cette société - et ce n'est qu'un exemple parmi beaucoup d'autres - d'intégrer dans son offre des logiciels libres pour la lecture des DVD. Les seuls gagnants seront encore Apple et Microsoft.

Préserver le logiciel libre n'est d'ailleurs pas dans le seul intérêt de ses développeurs et de ses utilisateurs. Le logiciel libre est en effet devenu un socle, un bien commun informationnel indispensable au développement et au fonctionnement de nouveaux systèmes d'information. Son existence est dans l'intérêt de tous les acteurs innovants des industries de l'informatique et de l'électronique : vous devez le reconnaître.

L'interopérabilité nous permet, en résumé, d'utiliser les systèmes de notre choix pour accéder aux contenus. Elle nous permet de ne pas nous voir imposer l'utilisation de certains logiciels ou matériels, dont les détails de fonctionnement ne nous sont pas connus. C'est un point particulièrement important dès qu'il s'agit de gérer des informations sensibles. Comment pourrait-on par exemple imaginer que des systèmes utilisés par la défense nationale ou pour stocker les plans d'une invention révolutionnaire aient des brèches de sécurité exploitables par une puissance hostile ou étrangère ? Lorsque ces questions sont évoquées, vous criez souvent à la théorie du complot. Je voudrais seulement vous rappeler que certains logiciels d'IBM ou des systèmes d'exploitation de Microsoft ont été épinglés sur ce point par les juridictions. Plus récemment, votre gouvernement a interdit, à juste titre, l'utilisation d'un logiciel de téléphonie internet dans la recherche publique. C'est à cette réalité et à cet enjeu stratégique que nous sommes aujourd'hui confrontés.

L'interopérabilité, enfin, c'est la république dans le numérique. C'est offrir à chacun une capacité de communication universelle, contre les baronnies et le clanisme informationnels. C'est la langue commune qu'il nous faut sans cesse préserver parce qu'elle est la condition de la liberté et de l'égalité.

Je déplore que certains amendements, issus d'une partie de votre majorité, viennent durcir ces risques répressifs. L'un d'entre eux, qui circule curieusement dans les couloirs de notre assemblée sous le nom d'amendement « Vivendi Universal » - je me demande bien pourquoi - vise à pénaliser le développement de tout logiciel n'intégrant pas de système de contrôle des actes de son utilisateur. Disons-le tout net : cet amendement est une arme anti-logiciel libre. Son adoption serait en totale contradiction avec la politique que la France prétend poursuivre en particulier dans les administrations publiques. C'est pourquoi nous le combattrons énergiquement.

J'aimerais surtout voir les amendements du Gouvernement ! Vous nous avez parlé tout à l'heure, monsieur le ministre, de la « riposte graduée ». Depuis que vous êtes installé rue de Valois, j'ai plutôt vu des représailles massives contre les internautes ! Nous attendons cette « riposte graduée » avec curiosité. Il doit s'agir d'un objet juridique intéressant. Mais, à moins que Mme la présidente ne me contredise, cet amendement n'a pas été déposé.

J'en ai eu connaissance ce matin, sur un plateau de radio, par un représentant de l'une des professions concernées. Faut-il aller à la radio, monsieur le ministre, pour connaître les amendements du Gouvernement ?

Je ne doute pas que vous répariez immédiatement cet oubli, afin que les députés de l'opposition, nombreux malgré l'heure tardive, reçoivent ces amendements.

Ce texte vient à contretemps. Il arrive trop tard, monsieur le ministre. C'est un projet terriblement daté. Il veut transposer une directive européenne de 2001, qui résulte elle-même du traité de l'OMPI de 1996, quand les premiers logiciels peer to peer apparaissaient à peine. On me dit même que la Commission européenne réfléchit ces temps-ci à une modification de cette directive. Nous allons donc la transposer en droit français au moment même où Bruxelles s'apprête à en faire une nouvelle rédaction !

Je crois hélas que ce texte arrive aussi trop tôt. Prisonnier du dogme de la « chasse au pirate », vous n'avez pas procédé aux concertations nécessaires, ni à l'étude précise des alternatives possibles, contrairement à ce que fit Jack Lang en 1985, à l'occasion de la dernière grande loi consacrée au droit d'auteur et aux droits voisins.

Écrire une nouvelle règle du jeu réclamait dialogue et créativité. On a laissé s'installer une confrontation brutale. Je crois, monsieur le ministre, que le Gouvernement a mal travaillé sur ce texte. Les certitudes paresseuses des uns se sont additionnées aux tabous irréductibles des autres pour refuser toute avancée. On a même refusé la mission d'information parlementaire que j'avais demandée il y a un an avec Patrick Bloche, Didier Mathus et le groupe socialiste.

Vous pouvez, madame la présidente, en faire part au président de l'Assemblée nationale. Nous aurions pu pendant un an affronter les vrais problèmes, au lieu de laisser le rapporteur tout seul. Il est vrai qu'il a déjà remis sa copie depuis près d'un an et demi...

Veillons à ne pas infliger à l'internet des péages, des verrous, des clôtures qui, au demeurant, céderont plus vite que vous ne l'imaginez. Car ce texte qui vient à contretemps est aussi inefficace. Que penser de la politique du tout répressif ou, pour être politiquement correct, de la « riposte graduée » proposée aujourd'hui ? L'exemple des États-Unis est à cet égard fort instructif. Ce pays a transposé dès 1998 le traité OMPI de 1996 en adoptant le fameux Digital Millenium Copyright Act qui, à l'instar de votre texte, interdit le contournement des mesures techniques de protection. Cette législation a d'ailleurs posé, et pose encore, de nombreux problèmes. Elle a notamment été invoquée pour empêcher la concurrence ou la recherche scientifique, en cryptographie par exemple. Cette contre-offensive législative réactionnaire a été doublée en France d'une véritable croisade de certains acteurs économiques contre les utilisateurs de systèmes d'échange, les assignant par centaines en justice, en rançonnant véritablement certains d'entre eux pour n'avoir échangé que quelques dizaines de morceaux. Force est de constater aujourd'hui l'échec complet de cette politique aux États-Unis. Un article du Wall Street Journal - publication qui ne passe pas pour être éditée par des adversaires du capitalisme mondialisé - daté du 16 décembre dernier nous apprend en effet que les ventes de disques y ont chuté de 40 %. Et ce après des années de politique répressive !

Pourtant, aux États-Unis, contrairement à la France, il existe une offre dite légale. On ferait mieux d'ailleurs de parler d'offre commerciale tant la légalité de certains sites de vente en ligne reste sujette à caution, notamment en ce qui concerne les reversements aux auteurs et aux artistes. Mais ces sites existent. Les consommateurs américains ont la possibilité d'y trouver leurs morceaux préférés et de les télécharger sur leurs baladeurs.

Monsieur le ministre, en marchant dans les pas des Américains, vous vous apprêtez à conduire notre industrie culturelle vers les mêmes difficultés, tout en empêchant l'émergence de nouvelles manières de créer et d'accéder à la culture. Vous auriez pu emboîter le pas au gouvernement Jospin qui avait su, lui, avec la redevance sur copie privée, trouver une solution garantissant de nouveaux revenus aux créateurs.

Enfin, ce texte apparaît tragiquement lacunaire - nous y reviendrons, si le débat s'engage, dans nos amendements - car il fait l'impasse sur quelques questions essentielles, qu'il traite de manière superficielle ou qu'il ne traite pas du tout. Pour les bibliothèques, par exemple, il n'affirme pas une véritable exception. Pour l'enseignement et la recherche, il faudra renforcer, en effet, les utilisations pédagogiques et le droit de citation des images, des sons et des textes. Et pour les personnes en situation de handicap, je considère que ce qui est proposé est totalement insuffisant. Pour les non-voyants, en particulier, notre responsabilité - je le dis avec gravité, monsieur le ministre - est immense. S'il fallait hiérarchiser les enjeux, celui qui concerne les non-voyants, et plus généralement les personnes en situation de handicap, figure pour moi au premier rang. Le dépôt légal de fichiers numériques ouverts permettrait de reproduire les livres en braille à des coûts non prohibitifs, ou de permettre leur découverte à l'aide de logiciels de reconnaissance vocale.

Nous aurons aussi l'occasion de revenir sur ce point, pourvu que la discussion s'engage. Car, mes chers collègues, toutes ces raisons - et même une seule d'entre elles - justifieraient que nous n'allions pas jusqu'à l'examen de ce projet de loi. Mais parce que je pressens votre obstination, je voudrais achever mon propos en vous disant que, si nous engageons le débat, nous devons prendre au préalable toute la mesure du passage à la civilisation numérique.

Le durcissement des lois sur la propriété intellectuelle s'est généralisé, même si la résistance à cette tentation s'est heureusement manifestée de façon éclatante au Parlement européen, en juillet dernier, lorsque la directive favorable aux brevets de logiciels a été écartée. Nous devons, vous devez écouter les voix qui s'élèvent pour proposer des solutions nouvelles, pragmatiques, respectueuses des droits en présence, dans un esprit de responsabilité.

Ces solutions existent, mais elles ne sont pas, hélas, dans votre texte. La méthode que nous proposons est au fond assez proche de celle utilisée il y a dix ans pour la photocopie. Nous aurions aimé que vous suiviez cette inspiration. Permettez-moi, du reste, de vous lire cette citation, où il suffit de remplacer photocopie par échange de fichiers numériques : « Il s'agit en fait d'un projet de loi simple. Il vient compléter un dispositif qui existe déjà, mais qui n'est pas respecté, alors que les sanctions pénales sont prévues pour réprimer le " photocopillage ". » Remplacez ce dernier mot par « peer to peer » et poursuivons : « Ce projet de loi vise, tout simplement, à faire disparaître ce délit. La prolifération des photocopies s'explique par des raisons techniques et culturelles - simplicité, développement du parc des appareils de reproduction, plus large diffusion des œuvres protégées. Les effets négatifs de la photocopie, vous en connaissez l'importance. [...] Quant aux responsables, ce sont les utilisateurs, nous tous qui photocopions à tour de bras. » Remplacez « photocopions » par « piratons » et achevons : « Qui n'est pas aujourd'hui contrefacteur et justiciable comme tel des tribunaux correctionnels ? Il convient d'assurer un équilibre entre, d'une part, la nécessité de ne pas dessaisir les auteurs et, d'autre part, le souci de faciliter aux usagers le respect de leurs obligations légales en leur garantissant une parfaite sécurité juridique. »

Si je vous ai imposé cette trop longue citation, c'est qu'elle n'émane pas d'un apôtre zélé du photocopillage ou du piratage, mais de Jacques Toubon, ministre de la culture défendant, en 1994, une loi visant à adapter notre droit à cette nouvelle technique qu'était alors la photocopie.

Vous auriez pu, monsieur le ministre, agir de même, et des solutions auraient été trouvées parce qu'en 2005 des solutions réalistes sont accessibles. C'est la défense de la copie privée et la création d'une licence globale. Sur ces deux fondements, le législateur peut élaborer dès maintenant, pour la musique, une réponse concrète et un nouveau système de rémunération des artistes. C'est la position que défendra demain le groupe socialiste dans le débat d'amendements.

Le téléchargement est d'ores et déjà considéré, dans nombre de cas, comme un acte de copie privée. C'est le droit positif. La rémunération pour copie privée existe et nous devons simplement l'adapter. La mise à disposition peut donner lieu à une gestion collective des droits. On n'a pas répugné, il y a dix ans, à y recourir, dans un contexte plus ancien, celui de la reprographie.

Les internautes sont disposés à s'acquitter de quelques euros par mois pour accéder à la musique du monde. Toutes les études d'opinion l'attestent : ils plébiscitent la solution que nous défendons, et qui a le soutien sans équivoque des organisations de consommateurs, des associations familiales et de nombreuses sociétés de gestion des droits des artistes. J'ajoute, et nous le démontrerons s'il le faut, que cette proposition ne heurte pas, comme certains feignent de le croire, les engagements internationaux de la France. Ce choix n'impose aucune limite ou exception aux droits exclusifs. Il est une adaptation technique aux réalités des échanges numériques, pour le téléchargement comme pour la mise à disposition des œuvres.

Monsieur le ministre, si l'Assemblée nationale choisit, malgré cette question préalable, d'engager le débat, nous vous demanderons d'agir pour la légalisation de l'échange des œuvres musicales sur internet et pour la légalisation du peer to peer. C'est un nouveau contrat culturel que nous proposerons pour la France, pour l'accès plus libre à la culture et le soutien à la création. Mais, vous l'aurez compris, ce texte, en l'état, est à nos yeux un acte inacceptable de répression et de régression.