Debats Hadopi 090429 2

De La Quadrature du Net
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Compte rendu initial

M. Philippe Gosselin

Après quarante-deux heures de débat en séance publique, sans compter les heures passées en commission, ni celles de cet après-midi, le projet de loi dit HADOPI revient en discussion après un lever de rideau fracassant le 9 avril dernier.

Tout a déjà été dit, mais la pédagogie est l'art de la répétition. Revenons donc sur un certain nombre de points.

En 2009, il serait anachronique de vouloir empêcher le piratage, c'est-à-dire une forme de spoliation, d'atteinte à la propriété intellectuelle. Cette affreuse droite ringarde qui n'a rien compris en voudrait encore aux jeunes ! Les libertés seraient menacées dans une Europe vigilante qui sera contre la France. Un peu de sérieux, chers collègues, il s'agit seulement d'être pédagogues et de faire de la prévention.

Internet est un formidable outil de liberté et je souscris parfaitement, madame Billard, à vos propos, mais je constate que vous n'écoutez pas.

Quelle est la situation aujourd'hui ? Nous avons une loi sur la contrefaçon qui n'est pas applicable en raison de sa lourdeur : 300 000 euros d'amende, trois ans d'emprisonnement. Il faudra sans doute la réserver au gros piratage à but lucratif. Il n'est pas question d'adopter des mesures à l'aveugle, mais de proposer une réponse graduée, progressive. Il s'agit de faire comprendre que la création doit être respectée, ce respect étant le gage de la liberté.

Contrairement à ce que certains tentent de faire croire, ce texte ne tombe pas du ciel.

Ce texte est issu des travaux d'une commission, mais cela vous dérange. Je pourrais citer le témoignage de Serge Lagauche pour qui les accords de l'Élysée sont un compromis équilibré permettant de répondre à une situation d'urgence. Certes, il s'agit d'un sénateur socialiste et il semblerait que vous ayez des rapports un peu difficiles avec vos collègues socialistes du Sénat !

Il est vrai aussi qu'il est soutenu par des milliers d'artistes, de créateurs, de producteurs et de compositeurs. On peut comprendre que cela vous dérange !

Quelles sont nos propositions ? Nous proposons un dispositif administratif adapté à la situation, assorti de sanctions graduées. Pour vous, cela serait antidémocratique et constituerait une atteinte intolérable aux libertés. L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme s'appliquera bien évidemment à cette autorité indépendante comme à toute autorité indépendante. Le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, pourra effectuer un contrôle. Le recours suspensif sera possible si le juge le précise. Ce texte ne présente aucune difficulté majeure, dès lors que l'on en fait une lecture honnête.

Que n'avons-nous entendu à propos du droit communautaire ! L'amendement n° 138 a été adopté ? La belle affaire ! Il n'y a, en effet, aucune incompatibilité entre le droit communautaire qui pourrait être intégré dans le paquet « télécom » – tel n'est pas encore le cas – et d'autres droits fondamentaux. Toutes les jurisprudences de la Cour de justice des Communautés européennes, celles du Conseil d'État, de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel ont répété à l'envi que les droits fondamentaux devaient pouvoir être conciliables.

Ce projet représente des avancées notables pour les utilisateurs avec la fin des DRM. En outre, les professionnels se sont engagés à raccourcir les délais pour un certain nombre de services. De plus, parallèlement à ce projet de loi, Nathalie Kosciusko-Morizet travaille au développement de l'offre légale en ligne.

Nous souhaitons également une baisse des prix : nous ne sommes pas contre la gratuité, mais contre la spoliation. Et dès lors que les artistes et les créateurs ont clairement exprimé leur volonté de mettre à disposition gratuitement leur offre, fût-ce avec de la publicité, il n'y aucun problème.

Nous disposons aujourd'hui d'un texte équilibré. Évidemment, chacun restera dans sa posture politique.

Je le répète, ce texte est le plus approprié à la situation actuelle, même si nous n'avons pas la prétention de le graver définitivement dans le marbre parce que la technique et notre société évoluent. Nous essayons de nous adapter : ce texte en est la preuve !

[...]

Renvoi en commission ! Renvoi en commission ! On a envie de sauter sur sa chaise comme un cabri. Après le coup du rideau, voilà tout ce qu'on nous propose ! Après tant d'heures passées en commission et plus de quarante-deux en séance publique, comment croire que le débat n'a pas encore commencé ? Pour qui nous prend-on ? Pensez-vous vraiment que les gens puissent vous prendre au sérieux ?

Une fois de plus, monsieur Brard, vous nous avez servi votre rhétorique bien connue des petits contre les gros, du pot de terre contre le pot de fer ou de la gentry contre les roturiers. La vérité est qu'il n'y a pas de liberté sans responsabilité. Ce qui vous gêne, c'est que le texte soit la traduction d'un accord à quarante-sept qui a regroupé l'ensemble des fournisseurs et du monde artistique. Nous n'en sommes pas, comme certains, à débaucher quelques artistes ; plus de 10 000 nous soutiennent ! Je ne donnerai pas de nom, car je ne veux instrumentaliser personne : le débat mérite mieux.

Soyons sérieux : vous prenez les gens en otages. Et j'ose le dire même si cela peut faire sourire : vous n'avez pas le monopole de la culture. Pour toutes ces raisons, notre groupe ne votera évidemment pas le renvoi en commission.

M. François Brottes

La sagesse nous appelle à cesser le feu ou à arrêter le crêpage de chignon, comme le dirait mieux que moi Mme Marland-Militello. Les temps ont changé, Internet est là. Il y a longtemps déjà, Bob Dylan chantait que les temps changent, et encore auparavant, le philosophe Alain disait avec tellement de pertinence : « Le principe du vrai courage, c'est le doute. »

Douter, c'est examiner, démontrer et remonter les idées comme des rouages, sans préventions ni précipitation. D'ailleurs, M. le président de l'Assemblée a jugé hier qu'il eût été préférable de prendre quelques semaines de délai avant de réinscrire le texte. Mais le Président de la République a décidé qu'il valait mieux passer en force que perdre la face. Pourtant, avec ce projet de loi de tous les excès qui ne propose aucune vraie solution, tous les innocents pourront être pris pour des coupables, et tous les artistes seront les dindons de la farce.

M. Brard a raison : une seule solution, le renvoi en commission ! Oui, il faut renouer le fil du dialogue et de l'intelligence collective, qui existe ; oui, il faut retrouver la voie d'une économie durable de l'accès à la culture et trouver celle d'une création sereine, ouverte et justement rémunérée. Malheureusement, cette loi « Hadopire » ne résoudra rien ; et le pire, c'est que vous le savez. Elle ne sera pas conforme à la Constitution, notamment parce qu'elle ne le sera pas au droit communautaire. Ne serait-ce que pour cette seule raison, notre main de législateur doit trembler. « Le doute est le sel de l'esprit ; sans la pointe de doute, toutes les connaissances sont bientôt pourries » : le philosophe avait raison. Vous, vous préférez la petite cuisine législative sans sel pour un avenir culturel pourri d'avance.

Bien sûr, pour les marchands du temple de la culture, il est urgent de sauver les meubles. Mais c'est bien à nous qu'il revient de faire la différence entre l'ébéniste qui crée le meuble et le brocanteur qui en tire profit. La question est trop grave pour le respect des droits fondamentaux et la défense sincère de la liberté de créer. Il ne suffit pas de mettre les artistes sur le devant de la scène, ce qui est bien sûr leur métier et souvent leur talent ; nous, députés, sommes là pour leur dire qu'ils sont otages d'une mauvaise solution et d'un cauchemar annoncé. Nous faisons ici la loi qui s'impose à tous, et qui a des conséquences pour tous. La loi n'est ni le pacte d'un soir ni la pétition du petit matin. Le présent texte est à réécrire ; nos propositions sont responsables et réalistes, et c'est pour cela qu'elles vous gênent ; c'est pour cela qu'elles gênent ceux qui préfèrent les coups de menton ou les coups de bâton. Oui, mes chers collègues, pour être honnête et sérieux, pour cesser de faire n'importe quoi n'importe comment, il n'y a qu'une solution : le renvoi en commission.

Mme Muriel Marland-Militello

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, rapporteure pour avis en première lecture au nom de la commission des affaires culturelles, j'ai déjà eu le plaisir d'exprimer les nombreux motifs qui m'ont conduite à soutenir avec conviction votre projet de loi, madame la ministre.

Je ne vais pas y revenir dans le détail mais je tiens à saluer votre calme détermination à passer outre aux manœuvres insoupçonnables et donc imprévisibles, qui n'auront finalement servi qu'à retarder l'application d'un texte tant attendu par l'ensemble du monde culturel, national et international, qui nous soutient et dont il a fallu calmer les inquiétudes.

Mme Ségolène Royal ne devrait-elle pas demander pardon aux artistes au nom du groupe socialiste ?

Je suis heureuse d'appartenir à une formation politique, l'UMP, qui résiste à toute démagogie du court terme pour protéger à long terme les intérêts communs bien compris des internautes et des créateurs.

Nous refusons de nous laisser intoxiquer par des internautes, qui ne constituent que la pointe émergée de l'iceberg et s'agitent soit parce qu'ils sont déterminés à spolier les droits des auteurs dont ils téléchargent illégalement les œuvres, soit parce qu'ils sont mal informés sur le contenu de ce projet de loi et sur les conséquences que tout cela implique pour eux-mêmes.

L'avenir jugera sévèrement les caricatures et la désinformation qui sont véhiculées intentionnellement sur ce projet de loi. Nous savons que l'immense majorité silencieuse des internautes s'en souviendra. Pour elle comme pour nous, agir illégalement ne constitue pas une liberté, sur Internet comme ailleurs. Ces nombreux internautes nous seront très reconnaissants d'avoir voulu substituer au tout-répressif une alternative pédagogique et démocratique.

Pédagogique, c'est la mission première et essentielle de l'HADOPI : rappel du respect de la liberté de l'artiste d'offrir ou non ses oeuvres gratuitement sur Internet, rappel du droit de chacun d'entre nous, artiste ou pas, d'être équitablement rémunéré pour son travail, rappel enfin du fait que, dans un État de droit, chacun bénéficie de droits mais doit aussi respecter les obligations légales votées par la majorité des représentants de la nation. Nous voulons être une force de dissuasion contre le piratage généralisé tel qu'il se pratique actuellement.

Tout est donc mis en place pour éviter l'affrontement judiciaire entre artistes et internautes, je pense en particulier à la mise en œuvre d'informations et de recommandations préalablement à toute suspension.

Tout est mis en place pour que l'HADOPI puisse adapter ses missions aux évolutions technologiques, notamment grâce à l'adoption de ma proposition de veille technologique.

Ce caractère pédagogique se manifeste encore à travers l'adoption de mon amendement qui prévoit d'instaurer, dans le cadre des enseignements artistiques, une sensibilisation des enfants aux dangers du piratage pour la création et la diversité artistique sur Internet.

Notre alternative se veut aussi non discriminatoire. C'est ce qui nous a conduits à rejeter l'amende en cas de téléchargement illégal répété car cette dernière est soit inopérante si elle est peu élevée, soit discriminatoire entre les internautes si elle est élevée, en ce qu'elle favorise les riches. La suspension, quant à elle, est la même pour tous à faute égale.

Notre alternative au tout-répressif favorise enfin la démocratisation culturelle. Nous voulons offrir un égal accès à toutes les cultures, où que l'on soit, quelle que soit sa place dans la société. Notre projet met d'abord l'accent sur le développement d'une offre légale variée et de qualité et instaure sa sécurisation grâce à la labellisation par l'HADOPI.

Notre projet prévoit également de raccourcir la chronologie des médias pour que, le plus rapidement possible, chacun d'entre nous puisse profiter chez soi des dernières créations sur Internet.

Pour conclure je tiens à dire de cette tribune qu'il n'y a pas d'avenir pour la culture sans création, qu'il n'y a pas de création sans artistes rémunérés individuellement et soutenus par des apports financiers. Je suis fière de le redire. Sans ces artistes, il n'y a pas d'avenir possible pour le libre choix des internautes entre des programmes culturels multiples.

Enfin, plus gravement, le fait que nous exprimions une reconnaissance du droit d'auteur sur Internet est intimement lié à la conception française de l'exception culturelle que nous voulons sauvegarder. La culture n'est pas une marchandise comme une autre. La création est fragile, aléatoire, elle doit être doublement protégée parce qu'elle est dramatiquement menacée sur Internet. Cette protection individualisée, nous la devons aux artistes. Lutter contre le piratage n'est pas simplement une question morale, c'est aussi une question de civilisation.

Mme Françoise de Panafieu

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, de quoi s'agit-il aujourd'hui ? Nous devons montrer que nous sommes une assemblée responsable. Nous ne pouvons laisser grandir un déséquilibre qui porte atteinte à toute la chaîne de la création, dont les entreprises, contrairement à ce que l'on pense, sont souvent petites et fragiles. Nous travaillons aussi pour le public d'aujourd'hui et de demain, parce que le respect du droit d'auteur n'est pas qu'une forme de solidarité, c'est surtout la clé de l'avenir et une chance pour que de nouveaux talents continuent d'exister.

Nous devons ici prendre notamment en compte le phénomène du téléchargement illégal, qui s'est tout simplement emballé ces dernières années, devenant à la fois massif et total. Et, nous, les députés, nous faisons notre travail, nous écoutons les uns et les autres.

Nous savons que ceux qui téléchargent sont majoritairement des adultes ou des jeunes responsables, avertis, qui savent que les comportements sont complexes, car une même personne est tantôt un pirate qui refuse de payer, tantôt un consommateur qui accepte d'acheter un CD ou un DVD.

Nous sommes conscients que le Net est un espace continu d'expérimentations et qu'il est peut-être complémentaire d'un mode de diffusion classique.

Mais quand on en vient au fond des choses, c'est toute la chaîne d'une économie qui est en jeu. L'économie du droit d'auteur est concernée, car la création n'est pas gratuite. Ce n'est pas parce que l'on est un créateur que l'on doit vivre d'amour et d'eau fraîche. Mais il ne faut pas oublier tous les artisans, les professionnels des arts et de la culture, les maisons de production, de distribution, les salles, les vidéoclubs et tous les salariés qui y sont attachés. Beaucoup de monde contribue ainsi à l'existence du bien culturel utile et apprécié.

Nous, les députés, nous trouvons donc dans la situation d'un arbitrage lors d'un conseil de famille. Nous ne voulons pas opposer les internautes et les auteurs, mais nous voulons trouver des solutions et amener chacun à faire un pas. La mission n'est pas aisée car il nous revient de concilier les droits des internautes et ceux des créateurs. Nous devons préserver l'espace de liberté qu'est Internet tout en rendant possible une offre nouvelle de diffusion des œuvres d'artistes et des idées.

Soyons clairs, madame la ministre, si cette loi n'était pas votée, nous devrions faire face à un double paradoxe : d'une part, seule la voie répressive existerait, puisqu'il faut le rappeler, les poursuites délictuelles pour téléchargement illégal seraient la règle, d'autre part, ne pas punir le pillage du droit d'auteur nous amènerait, dans un souci de cohérence, à libéraliser le vol à l'étalage !

Pourquoi punir les uns et pas les autres ? C'est de cela qu'il s'agit ! Ce n'est pas parce qu'il s'agit d'Internet, donc que l'on se situe dans le domaine virtuel, que l'on a subitement tous les droits !

Notre assemblée est responsable. Elle ne peut laisser grandir ce déséquilibre. C'est la raison pour laquelle je voterai sans états d'âme ce projet de loi.

Mme Martine Billard

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, le 9 avril, notre assemblée rejetait le texte provenant de la commission mixte paritaire. Depuis, dans une précipitation faisant fi du bon travail parlementaire, le groupe majoritaire UMP a mis à bas les dispositions censées revaloriser la place du Parlement issues de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Compte tenu de la façon dont débute la séance, on peut penser que les députés UMP feront des entrées et des sorties, selon le moment des votes.

Lundi dernier, lors de la réunion de la commission des lois, ont été réintroduites les modifications scélérates et non satisfaisantes passées par la CMP. Ainsi l'Assemblée nationale avait voté à l'unanimité en première lecture, avec le soutien de la commission des lois et du rapporteur, le non-paiement de l'abonnement en cas de coupure de la connexion Internet.

Pourtant, le rapporteur et le président de la commission ont défendu lundi la position contraire, qui est dérogatoire au code de la consommation !

Je voudrais répondre à certains propos concernant le vote de rejet du 9 avril.

Pour certaines sociétés d'auteurs, il s'agirait d'une « stratégie de coup d'État »  Pas moins ! Je trouve surprenant qu'une société privée ose dire cela à des parlementaires qui n'ont fait qu'exercer leur droit de vote.

De façon scandaleuse, le président du groupe UMP a déclaré hier en séance que le vote de rejet avait créé dans le pays une vague d'antiparlementarisme ! Il serait préférable de se poser des questions sur les raisons du rejet et du faible nombre de députés en séance.

Que je sache, nous sommes encore en démocratie ! La représentation nationale – et en tout cas les députés de l'opposition qui viennent en séance – ont encore le droit de voter « contre » sans se faire taxer de « faire une manœuvre d'obstruction ». Ce n'est pas à l'opposition d'éviter d'être présente pour pallier l'absence de députés de votre majorité. Sinon, autant dire que le Parlement n'a aucun rôle à jouer dans nos institutions et qu'il peut s'auto- dissoudre !

Mais faisons attention à ne pas laisser penser que le régime politique de notre pays n'est qu'une sorte d'oligarchie people sortie des dîners au Fouquet's, gravitant autour d'un monarque élu pour cinq ans et qui peut décider de tout, notamment de tous les passages en force possibles, en ridiculisant le Parlement avec des députés qui se déjugent d'une semaine sur l'autre.

Les députés Verts et leurs collègues du groupe de la Gauche démocrate et républicaine rejettent particulièrement plusieurs propositions de ce texte.

Ils dénoncent l'absence de revenus supplémentaires pour les auteurs – nous en avons déjà parlé tout à l'heure. Ils rejettent les sanctions décidées sans l'intervention de l'autorité judiciaire, les bases techniques d'incrimination incertaines comme l'adresse IP, le mouchard obligatoire, la double peine, la coupure de la connexion Internet et le paiement de l'abonnement alors que celui-ci est suspendu.

Nous rejetons pour la partie concernant les journalistes la dénaturation des accords professionnels du « Blanc », signés lors des États généraux de la presse avec des engagements du Président de la République qui sont remis en cause aujourd'hui et qui mettent le feu à la profession.

Je voudrais m'arrêter quelques instants sur l'article 6, qui fait obligation à tous les citoyens de notre pays d'installer un « dispositif de sécurisation de la connexion ». Il s'agira, comme Mme la ministre l'a confirmé lors de l'examen de l'article 6 en première lecture, d'un logiciel espion-mouchard sans intervention de l'autorité judiciaire ! Pire, la commission des lois, lundi dernier, a adopté un amendement du rapporteur précisant que le mouchard devra surveiller non seulement la connexion à la toile mais aussi les communications électroniques.

La commission des lois, réunie selon la procédure de l'article 88, a certes supprimé un certain nombre de ces dispositions, mais pas sur l'ensemble des articles. Il subsiste, pour le moment encore, l'obligation de sécuriser sa messagerie Internet. Si cette obligation est maintenue, cela permettra l'espionnage des correspondances privées, comme les e-mails ou l'utilisation du skype pour les communications téléphoniques. Aujourd'hui, des représentants des fournisseurs d'accès s'en sont émus et ont annoncé qu'ils soutiendraient l'amendement que nous avons déposé avec M. Jean-Pierre Brard, au nom du groupe GDR.

Par ailleurs, un amendement du rapporteur, voté en première lecture, officialise les expérimentations de filtrage du Net. Chers collègues, je vous invite à chercher sur Wikipedia la page « filtrage du Net ». Elle vous explique les techniques limitant l'accès à certains sites normalement accessibles sur le réseau Internet. Cette page vous donnera aussi le lien vers celle « censure de l'Internet » quant à l'utilisation faite de ces méthodes de filtrage dans un certain nombre de pays de la planète.

Ce n'est, semble-t-il, qu'un début, puisque l'article 6 de la future loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure prévoit d'enterrer la neutralité d'Internet qui en est pourtant son essence même, via « la captation de données numériques à distance ». Il prévoit d'ordonner aux fournisseurs d'accès Internet de censurer l'accès à des sites listés par arrêté du ministère de l'intérieur, sans intervention de la justice ! Dans le même temps, le projet de loi sur l'ouverture à la concurrence des jeux d'argent et de hasard en ligne prévoit de confier à une autorité de régulation des jeux en ligne – une haute autorité de plus, un démantèlement supplémentaire de la justice ! – le pouvoir de saisir le juge des référés pour obtenir le filtrage des sites de paris non agréés. Nous réclamons depuis le début pour Hadopi que la justice soit saisie pour la coupure d'Internet. Ce n'est malheureusement pas le cas.

En fait, en rapprochant ces trois projets de loi, on comprend mieux votre obstination à contrôler Internet avec cette loi Hadopi. Il s'agit bien d'une politique d'État cohérente.

Un mur d'incompréhension s'est dressé entre certains artistes, partisans de cette loi, et les internautes qui s'y sont opposés. Mais autant on peut trouver des artistes qui sont « pour », comme d'autres qui sont « contre » la loi Hadopi, autant on ne trouvera pas d'internautes qui sont « pour » cette loi. Ce n'est pas un hasard ! Et ce n'est pas parce que tous les internautes téléchargent sans respecter les droits d'auteurs.

Aujourd'hui, vous ne pouvez nier que des cinéastes s'engagent désormais contre votre loi, que des producteurs de disques indépendants s'engagent aussi contre celle-ci, ainsi que des responsables de salles de cinéma indépendantes.

Chacun – auteurs ou internautes – a tendance à accuser l'autre de ne penser qu'à ses propres intérêts. Pourtant, il est indispensable que chacun écoute l'autre, afin de trouver ensemble des solutions applicables qui ne remettent en cause ni le droit d'auteur, ni la neutralité du réseau.

De la même manière que culture ne rime pas avec censure, Internet ne rime pas avec malhonnête.

La diffusion sur Internet bouleverse profondément le modèle culturel jusqu'ici en vigueur. Avec le « Web 2.0 » qui pose tant de problèmes à notre collègue Frédéric Lefebvre, l'Internet n'est plus statique ou seulement dynamique. Il est devenu interactif. Les interfaces permettent aux internautes d'interagir à la fois avec le contenu des pages, mais aussi entre eux. Le partage n'est-il pas en lui-même le fondement de toute approche « culturelle » des relations sociales ?

Qui n'a pas rêvé de voir ses oeuvres accessibles au plus grand nombre, non seulement dans son pays mais à l'échelle de la planète ? Internet permet ces formidables échanges culturels qui se jouent ainsi des frontières, des barrières culturelles, des interdits nationaux. Oui ! Internet est un outil merveilleux de diffusion, d'échanges, de productions, d'informations. Alors, aujourd'hui, certains sont pris de vertige, devant cette liberté et ne veulent plus qu'une chose : vite refermer cette fenêtre qui s'est ouverte sur la connaissance et surveiller, contrôler, corseter.

Certes, Internet peut aussi véhiculer des idéologies nauséabondes, permettre des activités criminelles nouvelles, des escroqueries, la vente de produits de contrefaçon, y compris avec les risques que cela peut comporter pour la santé.

La meilleure façon de prévenir n'est pas d'essayer de dresser des murs, de mettre tout Internet sous contrôle, ce qui n'est pas possible. La meilleure façon c'est d'éduquer. De la même façon qu'on apprend aux enfants à sortir dans la rue en prenant des précautions, il faut enseigner à utiliser Internet. Grâce à cette éducation, nous réduirons les risques encourus et le respect sera enseigné.

Comme l'ensemble des acteurs de l'informatique se dressent contre ce monstre que vous êtes en train de créer, vous nous expliquez qu'il s'agit d'une loi « pour faire peur ». Certains artistes, comprenant qu'ils se sont embarqués dans une croisade qui n'est pas la leur et qui les oppose à leur propre public, parlent de « loi symbolique ». Mais une loi n'est là ni pour le « symbole », ni pour « faire peur ». Elle est là pour dire que ce qui n'est pas autorisé et prévoir les sanctions en cas de non-respect de la loi.

Peut-être faudrait-il se poser la question des raisons de la non-efficacité de la loi DADVSI. Mais pour cela il nous faudrait une véritable étude d'impact, comme le réclame l'Union des consommateurs UFC-Que Choisir. Vous avez refusé cette étude. Vous n'avez fait aucun effort pour déposer le rapport de bilan de la loi DADVSI.

Autant télécharger sans respecter les droits d'auteurs n'est pas acceptable, autant il est abusif et réducteur d'en tirer la conclusion que cela fait autant de revenus en moins pour les auteurs. Il est fort vraisemblable que nombre d'œuvres téléchargées sans payer ne le seraient pas si cela devenait coûteux, le pouvoir d'achat n'étant pas extensible. Les utilisateurs seraient amenés à procéder à des choix entre diverses œuvres culturelles.

Il faudrait aussi se poser des questions sur la contradiction entre réprimer le téléchargement et continuer à laisser sur le marché des matériels ayant des capacités de stockage toujours plus importantes. Un Iphone par exemple a une capacité de 16 Go, ce qui permet de charger environ 4 500 morceaux de musique, soit 6 000 euros d'achats sur Itunes.

Pourquoi encourager la vente de tels matériels surtout de la part de sociétés qui sont à la fois constructeurs de lecteurs et producteurs et distributeurs de musique et de films ? Il faudrait aussi étudier ces questions. Vous n'avez pas cherché à le faire, car cette loi est pensée par quelques-uns pour quelques-uns : principalement les majors de la production et les artistes qui leur sont liés.

La meilleure preuve est que vous n'avez à aucun moment envisagé la question des droits d'auteurs des photographes, des infographistes, des comédiens du théâtre vivant, etc.

Madame la ministre, vous êtes bien mal placée pour accuser l'opposition de fragiliser la culture alors que le budget de votre ministère est en régression avec notamment l'absence de dégel de la ligne 131 consacrée à la création pour les lieux de musiques actuelles. Nous entrons en fait dans une nouvelle ère de la culture, version Nicolas Sarkozy. Culture d'État, artistes d'État, Internet d'État.

Aussi, madame la ministre, les députés du groupe GDR se félicitent-ils d'avoir demandé un vote solennel qui permettra à chaque Français de connaître le vote émis par son député et de pouvoir ensuite en discuter en toute transparence.

En conséquence, les députés du groupe GDR voteront contre ce texte.

M. Bernard Gérard

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, même si cela n'était pas prévu, nous voici de nouveau réunis pour discuter du projet de loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet après déjà un long débat.

Je ne reviendrai pas sur le vote intervenu dans cet hémicycle le 9 avril dernier. Sans fustiger les uns ou les autres, reconnaissons que cette issue n'illustre en aucune manière le caractère extrêmement constructif des débats qui ont eu lieu entre nous et qui ont permis d'améliorer encore le texte voté massivement par le Sénat, soutenu par plusieurs anciens ministres de la culture, dont Mme Catherine Tasca et M. Jack Lang, de nombreux auteurs, créateurs, artistes, familles et jeunes qui comprennent que le téléchargement illégal ne peut durer indéfiniment.

Ce projet de loi qui revient aujourd'hui sur le métier anime les passions, alimente le débat, mais n'oublions pas qu'il se base sur un accord issu des travaux menés par des professionnels du secteur. Nous ne partons pas de rien : nous partons d'une négociation professionnelle menée par quarante partenaires qui se sont entendus et sont venus vers l'Assemblée nationale pour attendre une loi.

Sa finalité est simple : il s'agit de lutter contre le téléchargement illégal tout en favorisant le développement d'une offre légale conséquente, massive, sur Internet. Insistant sur l'effet dissuasif plutôt que sur la dimension répressive – je rappelle que la loi actuelle prévoit des amendes de 300 000 euros, et une peine de trois ans de prison –, privilégiant constamment la discussion, nous débattons d'un texte nécessaire pour notre industrie culturelle, pour ses emplois ainsi que pour un développement d'usages plus responsables de l'Internet en matière notamment de biens culturels. Il est essentiel, je le répète, d'appeler à une régulation des comportements.

Il s'agit également d'un texte symbolique dans la mesure où il traduit la volonté des pouvoirs publics de trouver un équilibre entre les différents droits en présence pour qu'Internet dans ce domaine ne soit pas un espace de non- droit, un no man's land juridique. La liberté ne signifie en aucune façon l'anarchie. Elle en est même l'exact opposé. L'objectif, contrairement à ce que certains peuvent dire, n'est pas d'aller à contre-courant de la technique, mais de permettre un respect effectif des droits d'auteurs aujourd'hui si malmenés au nom d'une gratuité illégale et illusoire qu'aucun ici ne peut ni ne veut cautionner.

Par ailleurs, nous savons tous ici combien le téléchargement illégal a pu nuire à l'activité des artistes ou des maisons de disques, notamment les plus petites d'entre elles, qui sont souvent les plus innovantes et les plus originales et ont besoin qu'on les aide et les écoute.

Même si le développement du téléchargement illégal n'est pas seul responsable de la diminution du marché du disque, qui a enregistré une baisse de 50 % en cinq ans, conduisant à une baisse de 30 % des effectifs des maisons de production, ignorer la corrélation entre les deux revient à nier une partie de la réalité.

Les œuvres pouvant être téléchargées sur Internet sont le produit d'activités humaines multiples, qui sont autant d'activités économiques, représentant autant de salariés divers qui ont droit à notre respect. Donner à croire qu'elles peuvent néanmoins s'acquérir de façon totalement gratuite serait un message funeste à l'encontre de tous ceux qui vont sur la toile, à commencer par les plus jeunes.

Certains esprits chagrins ont alors dit que ce texte serait inapplicable pour des raisons techniques. Couper Internet à celui qui télécharge illégalement serait liberticide, impossible.

Au fait, mes chers collègues, que fait-on lorsqu'un usager ne paie pas son téléphone ?

Que fait-on lorsqu'il ne paie pas son abonnement Internet, si ce n'est interrompre son abonnement ? Un débat a-t-il eu lieu un jour pour considérer qu'il y avait là quelque chose de techniquement impossible, juridiquement anormal ?

Il faut remettre les choses à l'endroit et non pas continuer dans la caricature, comme cela a été trop facilement fait.

Mes chers collègues, je souhaiterais, pour conclure, former un vœu. Nous avons longuement débattu : pendant plus de quarante heures. Des précisions très riches ont été apportées sur tous les bancs de cette assemblée. Je pense que nous ne sommes pas toujours si loin les uns des autres. J'aimerais en conséquence que nous reprenions nos débats avec davantage de sérénité. Ne donnons pas l'image de personnes qui s'entre-déchirent. Même si les modalités peuvent être discutées, ce débat est tout à fait nécessaire et utile. Nous sommes tous plus ou moins en accord sur les objectifs à poursuivre.

J'entendais tout à l'heure Jean Dionis du Séjour, qui n'était pas si éloigné de nous.

Il est donc responsable pour moi de soutenir ce projet de loi, première étape en vue de l'élaboration d'une politique culturelle audacieuse sur Internet qui place les auteurs au cœur de nos préoccupations.

M. Didier Mathus

Monsieur le président, madame la ministre de la culture et de la communication, mes chers collègues, nous voilà donc à nouveau saisis du projet HADOPI, que certains appellent, sur les blogs, le projet « FNAC, Pathé, Universal Music ».

Et nous en sommes saisis sous la contrainte d'une procédure qui n'avait pas été employée depuis vingt-cinq ans dans cet hémicycle. Voilà qui est révélateur de la considération que porte le Président de la République à la souveraineté de l'Assemblée nationale et à l'indépendance des députés de sa propre majorité.

L'Élysée l'a en effet signifié après une réunion organisée par une jeune sociétaire de la SACEM, Mme Carla Bruni-Sarkozy, avec quelques artistes nécessiteux de la variété française, le 22 avril dernier : le Président ne tolérera pas de nouveaux revers. Vous êtes invités, mesdames, messieurs de la majorité, à vous exécuter.

Voilà donc revenu, après les trémolos sur la « coproduction législative » et la révision constitutionnelle, le temps de la mise au pas, du caporalisme ou, pour parler comme autrefois, le bienheureux temps des godillots. Le président de l'Assemblée est prié de s'asseoir séance tenante sur les nouvelles dispositions du règlement – la semaine d'initiative parlementaire – et de fixer un ordre du jour conforme aux vœux du Président, de son épouse et de ses amis.

Curieuse procédure, car l'Assemblée, souveraine, s'est prononcée le 9 avril. Et vous savez bien que si nous avons été majoritaires, ce n'est pas en raison de circonstances « rocambolesques », madame la ministre.

C'est tout simplement que vous n'étiez pas là, chers collègues de la majorité. Vous n'étiez pas là parce que beaucoup d'entre vous, et cela les honore plutôt, ne souhaitaient pas associer leur nom à ce projet calamiteux, liberticide et archaïque.

Et comme l'Assemblée a dit non, on la somme de recommencer, de délibérer à nouveau, de se déjuger, pour qu'enfin elle dise oui ! À quoi sert donc le Parlement dans ces conditions ? Dans la République de M. Sarkozy, les députés n'ont qu'un droit, celui de dire oui. D'ailleurs, le président de votre groupe vous l'a écrit, chers collègues de l'UMP : « Ce n'est désormais plus la teneur de ce texte qui est en cause. » Voilà au moins qui est clair : renoncez à penser, obéissez et taisez-vous ! Au moment même où, pour sa campagne d'autopromotion, M. Copé publie un livre, qu'il a, de façon inénarrable, intitulé Un député, ça compte énormément , voilà qui est effectivement cocasse.

Mais les quelques semaines qui se sont écoulées n'ont pas été inutiles. La prise de conscience des dangers et de l'inutilité de cette loi a progressé. Comme l'écrivait un journaliste, ce texte n'est ni de droite ni de gauche, il est simplement à côté de la plaque.

Vous avez engagé la France dans une aventure sans issue, à contretemps de notre époque, et qui n'aboutira qu'à aviver une rupture stupide entre les créateurs et leur public, principalement celui qui est né avec le numérique.

Comme le temps m'est compté, je veux insister sur trois points seulement.

L'adoption par le Parlement européen de l'amendement n° 138, avec une majorité massive, qui interdit toute coupure d'accès à Internet sans décision préalable de l'autorité judiciaire, rend déjà votre projet obsolète, quelles que soient les batailles de retardement que vous ne manquerez pas de mener.

Deuxième observation : techniquement, il est de plus en plus avéré que la lourde machine policière privée que vous voulez mettre en place pour chasser les adolescents pirates est d'ores et déjà dépassée par de multiples évolutions technologiques. Mais il en restera la légitimation d'une surveillance généralisée des échanges sur le net, qui est une atteinte grave aux libertés essentielles.

Je voudrais citer deux témoignages, que vous ne pourrez pas réfuter, ni récuser, cher collègue Herbillon, puisqu'il s'agit de dirigeants de sociétés qui sont justement engagées dans ces missions de poursuite des internautes.

Que nous dit M. Aidouni, auteur du logiciel de traçage Log-P2P ? « En ce qui concerne la loi HADOPI, globalement, elle est vouée à l'échec. Ils vont prendre des gens au début, et dans six mois, les systèmes de téléchargement seront blindés. » C'est un spécialiste qui parle, puisqu'il sera notamment chargé, justement, d'exercer les poursuites pour le compte des sociétés de répartition de droits.

De même, M. Michenaud, de CoPeerRight Agency, qui sera lui aussi l'un des opérateurs de ces sociétés, nous dit que le résultat, ce sera « une licence globale de fait » qui va s'instaurer. « Les gens ont pris des habitudes, ils ne vont pas en changer, poursuit-il. Le législateur et l'industrie de la culture ne veulent pas se rendre compte de ce qu'est l'adaptation humaine. »

Voilà l'avis de spécialistes qui seront eux-mêmes chargés de mettre en application les poursuites sur le net.

Mais le plus grave, c'est l'enrôlement par le lobby de l'industrie du loisir, et par votre gouvernement, d'une partie du monde de la création dans cette croisade contre son propre public. Voilà en effet un projet qui n'apporte pas un centime à la création, et à la question posée par l'émergence du nouveau monde numérique, fabuleux accélérateur d'échanges culturels, vous ne répondez que par la trique. Vous pensez d'une certaine façon comme les moines copistes ; qui voyaient le diable dans l'imprimerie.

Je vais conclure.

Nous sommes face au même aveuglement que pour la loi DADVSI en 2005, morte au champ d'honneur de la stupidité législative.

À trop confondre la culture avec les lobbies de l'industrie du divertissement, vous passez à côté de notre temps.

À trop vouloir protéger les rentes de quelques-uns, vous faites perdre des années précieuses à l'innovation, à la création, à l'imagination, aux internautes et aux artistes.

Mardi après-midi, vous serez vraisemblablement numériquement majoritaires. Mais vous avez d'ores et déjà perdu au regard de l'histoire.

M. Patrick Roy

C'est agréable de se sentir attendu !

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes ici pour discuter d'un texte qui, à l'évidence, est mauvais.

Demandez à la gauche : elle vous le dira !

Et c'est bien la première fois depuis 2002 qu'un texte de la majorité a été rejeté dans des conditions tout à fait démocratiques.

C'est un mauvais texte technique puisqu'il sera inapplicable.

Ce texte est surtout le fruit d'une commande élyséenne. Quand on est ministre de ce président, on doit obéir aux ordres, même si l'on n'est pas d'accord.

À l'évidence, sur ce texte, la majorité est mauvaise perdante. En effet, à la suite d'un débat excellemment présidé par Alain Néri qui a été d'une totale impartialité – c'est un grand président de séance, comme d'ailleurs le président de l'Assemblée nationale et chaque vice-président – a eu lieu un vote dont on connaît le résultat.

Qu'avons-nous entendu depuis le 9 avril ? Qu'il y aurait eu une manœuvre, une mise en scène, un côté théâtral !

Mes chers collègues de la majorité, ce n'est pas à l'opposition quand elle est majoritaire en nombre de demander à ses députés de sortir de l'hémicycle dans la mesure où les députés UMP ne répondent pas présents.

Comme l'a dit Patrick Bloche, c'est un mauvais texte perdant-perdant, perdant à l'évidence pour les internautes – je n'en connais pas un qui soit pour le texte – mais aussi pour les artistes car quand ceux qui croient encore à vos chimères se réveilleront ils se rendront compte que pas un seul euro ne leur sera destiné.

Les seuls gagnants sont les artistes du Fouquet's, ce repas qui a tout figé dans le marbre, qui a marqué la politique du mandat présidentiel.

Pour illustrer mon propos, je prendrai un exemple précis d'artistes et de culture.

Madame la ministre, le mois dernier, je vous ai présenté le magazine Rock hard, qui traite de musique métal. Je suppose que vous avez lu le nouveau numéro que j'ai sous les yeux où Iron Maiden est en couverture. Cette musique métal existe aujourd'hui essentiellement grâce à Internet et non grâce à vous, car vous faites tout ce que vous pouvez pour ne pas les aider alors que ces musiciens sont parmi les plus créatifs de la sphère musicale en France et dans le monde. Vous ne les aidez pas pour trouver des concerts ni des salles de répétition – du reste, j'aimerais que vous m'en parliez un jour. Plus grave : alors que vous en auriez les moyens, vous ne les aidez pas non plus pour qu'ils soient diffusés dans les médias, à la radio, la télévision.

Il en existe quand même un sur lequel vous ne faites pas grand-chose : Internet, qui permet à tous ces groupes d'exister et d'avoir une vraie scène. Or, c'est ce moyen d'accès que vous voulez museler aujourd'hui, contrôler, censurer.

Savez-vous que dans quelques jours le principal groupe de métal français, Gojira , partira en tournée américaine ? C'est le premier groupe depuis cinquante ans qui va faire une tournée américaine en tête d'affiche devant un public américain. Et tout cela grâce à Internet, mais pas à vous.

Mais nous espérons que vous aurez des remords et que vous les aiderez !

Tous ces groupes qui existent aujourd'hui et sans lesquels la musique ne pourrait pas évoluer veulent pouvoir continuer à vivre et à exister sur Internet. Je pense à Opeth, Adagio, Demians, Devianz, Angher, Apocalyptica ou Gojira.

Je viens d'entendre un député du groupe UMP dire qu'il n'avait rien compris. Bien évidemment, vous n'écoutez pas de la bonne musique, vous n'écoutez pas Internet et c'est bien dommage. Cela prouve que vous ne connaissez pas le sujet !

M. Christian Paul

Pourquoi tant d'excitation, mes chers collègues de la majorité ? Je vais dire à M. Copé ce qui s'est passé en commission des lois , et je suis ravi que l'un des principaux témoins de cette scène, le président de la commission, nous rejoigne enfin dans cet hémicycle. Mais ce que je vais dire n'exonère en rien le président de l'Assemblée de l'obligation d'accorder la suspension de séance qu'a demandée Jean-Marc Ayrault au nom du groupe socialiste, parce qu'elle est de droit.

Que s'est-il passé en commission des lois tout à l'heure ? Il est très important que tous ceux qui nous regardent ce soir, et ils sont nombreux parce que ce débat passionne, sachent qu'en commission près de 200 amendements ont été passés en rafale en moins de vingt minutes, selon une procédure d'abattage indigne de l'Assemblée nationale.

Un certain nombre de députés, et j'en étais, se sont alors manifestés, non pas pour filmer la séance – même s'il aurait été très intéressant de la retrouver, sans droits d'auteur, sur YouTube ou sur DailyMotion – mais pour indiquer à nos collègues de la majorité qu'au moment où la réforme constitutionnelle et celle du règlement de notre assemblée sont censées transférer aux commissions une bonne partie du travail parlementaire, il s'y déroule de véritables mascarades.

Mesdames, messieurs les députés de la majorité, de telles conditions de travail en commission, s'ajoutant à la manière dont le débat s'est déroulé le 9 avril, devant une majorité qui avait déserté créent une situation déplorable. Si voulez renforcer l'anti-parlementarisme, continuez de la sorte !

M. Jean-Louis Gagnaire

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, malgré la déclaration d'urgence et après le vote intervenu le 9 avril dans cet hémicycle, nous voici réunis pour une nouvelle lecture de la loi « création et Internet ». Grâce à ce bug législatif, les Français ont découvert la vraie nature de ce texte et ses risques de dérive.

Vous savez tous que le rejet de ce projet de loi controversé n'a pas procédé d'artifices de dernière minute, mais bien de la volonté du plus grand nombre de ne pas voter un texte qui va à l'encontre de l'opinion de millions d'internautes, défavorables à ce projet – ils seraient 60 % selon l'IFOP.

Dans ces conditions, comment ne pas dénoncer l'attitude du chef de l'État, qui rejette le vote de l'Assemblée nationale d'un revers de main, avant de réunir une soixantaine de représentants du show-business, dont certains sont des amis proches, pour leur confirmer son engagement personnel sur ce sujet ?

À l'évidence, madame la ministre, cela n'a rien à voir avec votre argumentation purement rhétorique sur la défense des artistes indépendants.

Sur le fond, je partage l'appréciation d'artistes de plus en plus nombreux, comme Victoria Abril ou Catherine Deneuve, qui ont compris que votre loi était « démagogique, techniquement inapplicable, bêtement ignorante des nouveaux procédés de téléchargement et purement répressive », et impuissante à rapporter un euro de plus aux artistes, ajouterai-je.

Je ne comprends pas votre entêtement à défendre une loi aussi absurde que décalée. Au cours de la précédente discussion, j'ai eu l'occasion de dire, de façon sans doute un peu trop lapidaire, que le débat ne reposait pas sur un clivage droite-gauche mais opposait ceux qui étaient dans le coup et ceux qui étaient has been.

Je crois aujourd'hui que votre conservatisme sur ce texte témoigne d'abord de votre ressentiment face à l'espace de liberté que représente Internet. Au-delà de la question de la rémunération des ayants droit, c'est la peur devant la modernité d'Internet qui vous tient. Ce qui vous gêne vraiment, ce n'est pas la prétendue menace que ferait courir Internet à la création, qui n'a jamais été aussi riche et diverse, mais le penchant naturel d'Internet pour le débat, l'échange, et son peu de goût pour la marchandisation que certains voudraient encore étendre.

Pour expliquer la baisse continue des ventes, vous devriez vous interroger sur les erreurs stratégiques des majors et leur désintérêt pour Internet au moment où ce média s'imposait. J'en veux pour preuve la faiblesse de l'offre légale. Les majors ont choisi la standardisation et la normalisation culturelle au moment même où Internet et la technologie ont donné naissance à une prolifération culturelle et à une diversité nouvelle.

En réaction à cette frilosité et dans un souci de meilleure diffusion, on constate que beaucoup de musiciens mettent délibérément une partie de leurs œuvres à la disposition des internautes. De nombreux artistes choisissent de plus en plus fréquemment l'autoproduction et la vente en ligne pour échapper aux circuits de distribution traditionnels. On constate également que les plus gros consommateurs de morceaux écoutés gratuitement sont aussi les plus grands acheteurs de musique. Ils constituent aussi le premier public des concerts.

Alors, qui se sent réellement menacé par Internet ? Uniquement les majors et les distributeurs qui n'ont pas su développer un nouveau modèle économique.

En fait, tous ceux que vous avez décidé d'associer trop directement à l'élaboration de cette loi conçue pour des intérêts privés au détriment de millions d'internautes et de la plupart des artistes. C'est au fond ce qui expliquera son inévitable échec.

Votre décision de présenter à nouveau le texte adopté par la CMP semble montrer que vous n'avez rien appris des discussions de l'Assemblée nationale en première lecture. Votre discours s'est malheureusement réduit à ce que l'on nomme la périssologie, figure de style consistant à répéter sans fin la même idée, sans autres ajouts que des détails inutiles n'apportant rien au débat.

En réalité, votre position est l'expression d'une méconnaissance profonde des enjeux du numérique alors que l'accès à Internet est devenu un droit fondamental que le Parlement européen vient encore de confirmer. Elle procède toujours de la même volonté de faire la leçon aux autres et à l'Europe entière en imaginant que le système de riposte graduée à la française constitue la réponse aux difficultés structurelles de l'industrie du disque.

Votre dogmatisme nous aura fait perdre un temps précieux au détriment de l'amélioration réelle de la rémunération des artistes. N'aurait-il pas été préférable de s'engager sur des propositions plus réalistes comme la contribution créative ou la baisse de la TVA ciblée sur les téléchargements légaux ? N'aurait-il pas été plus raisonnable de consacrer ces 70 à 100 millions d'euros à la création ou à la diffusion plutôt qu'à la mise en place de moyens techniques pour filtrer Internet ?

Pour terminer, la mise en oeuvre de la loi HADOPI peut aboutir à ce que certains considèrent comme un cheval de Troie visant à établir un contrôle général de l'Internet. Au moment du vote final, mes chers collègues, chacun d'entre nous devra avoir conscience que la traque et la répression des téléchargements par une entité administrative hors de tout contrôle du juge ne sont réellement possibles qu'au prix de l'atteinte aux libertés publiques.

Pour conclure, je voudrais affirmer la nécessité d'adapter notre législation dans le souci de concilier les intérêts des artistes et des consommateurs en considérant Internet d'abord comme une opportunité formidable pour la création et pour la culture.

M. Jean-Pierre Brard

Autrefois, dans les ex-pays socialistes, il était de coutume pour le 1er  mai de distinguer les honnêtes travailleurs et de leur remettre une médaille.

Je pense que, cette année, c'est Jean-François Copé qui l'aurait gagnée parce qu'il a réussi à mobiliser en grand nombre des collègues de l'UMP qui viennent pour la première fois en séance.

Il aurait été utile, madame la ministre, que vous donniez des explications plus détaillées pour nos collègues qui viennent pour la première fois parce qu'ils ont peur de déplaire à sa majesté impériale. Ils ont eu le courage de ne pas venir le 9 avril mais, maintenant, ils ont peur de déplaire et ils tremblent.

Vous avez réuni, monsieur Copé, toutes ces sentinelles, qui se taisent pendant le débat et ne savent que produire des onomatopées quand M. Ayrault s'exprime, même s'il y a des sentinelles de luxe. Je vois deux présidents de commission ; je vois même, il me permettra cette remarque amicale, un garde suisse : M. de Charette.

Vous devez en effet être sûr que le Président de la République pourra tenir la promesse qu'il a faite à ses amies majors de déférer à leurs exigences, car c'est là qu'est le fond de l'affaire.

Monsieur le président, je ne veux pas allonger mon propos, nous aurons l'occasion de débattre tout à l'heure, même s'il y a eu des moments plaisants ce soir, par exemple l'intervention de Mme Marland-Militello, qui a proclamé son amour pour les internautes. C'est parce qu'elle les aime tendrement qu'elle a décliné la badine, la trique, le gourdin, le baston, et même le knout et la schlague. Je demande aux internautes de ne pas oublier, lorsqu'ils devront voter dans les élections à venir, les instruments qu'on veut utiliser pour les bâillonner.

[...]

Mes chers collègues, je vous remercie d'être venus si nombreux pour m'écouter même si l'expérience montre que la loi du nombre ne remplace pas la force de conviction ni la qualité des arguments. Notre histoire a en effet suffisamment montré qu'on peut être minoritaire et avoir raison.

« Ce n'est désormais plus la teneur du texte qui est en cause. Ce qui importe, c'est le problème politique créé par son rejet surprise et par le comportement absurde de l'opposition. » Vous avez bien compris que ce n'est pas moi qui parle. « Nous avons offert à la gauche une triste victoire politique dont personne au sein de notre groupe ne peut se réjouir. » Et Jean-François Copé ajoute : « J'ai personnellement endossé la responsabilité du rejet de ce texte, même si, le mardi précédent, en réunion de groupe, j'avais appelé chacun à une plus grande vigilance. Je ne pensais avoir raison si tôt.

« Ce jeudi-là, soixante-dix députés de notre groupe étaient de permanence ; à peine plus d'une quinzaine sont venus en séance. Pour autant, les absents de ce jour ne sont pas plus fautifs que tous ceux qui ne tiennent pas leur permanence les autres jours. » Sur ce point, il faut souligner que Jean-François Copé a raison. « Dès lors que l'opposition a choisi une stratégie de pure manœuvre, nous devons nous y adapter en changeant nos méthodes. »

Je vous passe le reste, mes chers collègues, mais c'est dire le désarroi de l'UMP : ce n'est pas le président du groupe qui préside, mais les députés sont sommés d'obéir pour complaire au Président de la République qui se mêle de tout et surtout de ce qui ne le regarde pas.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous conviendrez avec moi que tout ceci donne une impression désagréable de déjà-vu. D'autant plus désagréable que, malgré tous les arguments que nous avons exposés, la loi que vous présentez est toujours aussi inopportune. Elle a même été encore durcie en commission, ce qui fait écho au durcissement en CMP.

Mes chers collègues, une partie d'entre vous n'ayant pas l'habitude de siéger, je vous informe que ce n'est pas dans l'hémicycle que l'on bavarde, mais dans les couloirs ! Dans l'hémicycle, par respect des orateurs, on essaie d'écouter, ce qui permet d'être informé.

Monsieur Soisson, vous avez raison : vous n'avez pas de leçon à recevoir et surtout pas à donner, particulièrement à cette heure tardive !

Si je pouvais parler dans un relatif silence, monsieur le président, cela rendrait l'exposé plus agréable.

Madame la ministre, nous avons rejeté votre projet de loi, avec l'assentiment silencieux des députés UMP et le soutien actif de quelques députés de la majorité, car il est tout simplement mauvais.

Vous avez refusé d'entendre nos arguments sur l'obsolescence de ce texte. Considérer ceux qui téléchargent en peer to peer comme des voleurs – pour reprendre la formule de Mme de Panafieu – ou des criminels coupables de trafic de contrefaçon est une aberration. Et je ne parlerai pas des problèmes que votre loi posera aux utilisateurs et aux créateurs de logiciels libres. Laissons cela de côté. Ce sont peut-être les majors ou les conseillers du Président qui vous ont mal informée en omettant de vous parler de cette pratique.

Votre loi est rétrograde et va à contresens de l'histoire ; la plupart d'entre vous en êtes d'ailleurs convaincus.

Elle est comparable à l'attitude des moines copistes, hostiles à l'imprimerie, mais écoutez bien cette citation d'un grand intellectuel : « La différence entre l'ère ancienne et l'ère nouvelle, c'est que le fouet commence à se croire génial. » C'est Karl Marx qui s'exprimait ainsi. Je sens que j'ai déjà comblé une lacune dans votre culture, qui ressemble à un morceau de gruyère tellement il y a de trous !

En outre, et ce n'est pas le plus anodin, la mise en place de la Haute autorité et son mode de fonctionnement sont contraires aux dispositions du droit français, qui proclame la présomption d'innocence et interdit la peine collective. Le déni de cette institution indépendante, l'autorité judiciaire, pour mieux servir les intérêts financiers privés, ne peut être cautionné par notre assemblée. Tout cela aussi nous l'avons dit et répété.

Dans le nouveau texte de la commission, nous avons eu la mauvaise surprise de découvrir que les internautes devraient également sécuriser leur messagerie électronique. Ce que vous prévoyez là, c'est, grâce à des mouchards, la surveillance généralisée de la vie privée. Pourquoi ne pas obliger les citoyens à mettre aussi des caméras dans leurs boîtes aux lettres, équipées de scanners et directement reliées au ministère de l'intérieur ? Vous savez bien qu'il y a des partisans de Fouché parmi vous, des adeptes du cabinet noir, et même des praticiens !

Il est vrai que certains artistes se sont positionnés en faveur ce projet de loi, souvent d'ailleurs poussés par leur maison de production. Il est normal qu'ils s'inquiètent de l'avenir de la création et veuillent protéger l'héritage historique du droit d'auteur. Mais, comme disait André Malraux, « le plus difficile n'est pas d'être avec ses amis quand ils ont raison mais quand ils ont tort ». Je pense qu'ils ont tort de défendre une loi qui subordonne les libertés publiques et les fondements du droit français au respect du droit d'auteur. Une loi qui ne permet même pas aux artistes indépendants de bénéficier de cette protection.

De plus, s'ils vous soutiennent réellement, madame la ministre, il est de notre devoir de leur rappeler qu'en vous cachant sans cesse derrière l'étendard de la défense de la création et en vous appuyant sur une liste de 10 000 artistes, interprètes et producteurs qui, aux dernières nouvelles, serait tout à fait discutable car beaucoup de signataires sont des salariés de majors , vous êtes en fait, j'ai le regret de le dire, la continuatrice de la politique du bâillon de M. Sarkozy. Après s'être assuré le contrôle des sociétés publiques de l'audiovisuel, c'est Internet qu'il veut contrôler ! Comme son collègue M. Hu Jintao, peut-être ?

Le prétexte pour le faire, ce sont les artistes, eux qui se posent légitimement la question de leur avenir et plus largement la question de l'avenir de la création et de la diffusion des œuvres en France.

Cependant, et même si nous l'avons dit à maintes reprises, je crois utile de répéter que l'application de cette loi ne leur apportera pas un centime. C'est bien dommage car ce sont eux qu'il faut promouvoir et rémunérer, et non pas les majors dont vous servez les intérêts. Madame la ministre, comme le disait Hegel : « Écoutez la forêt qui pousse plutôt que l'arbre qui tombe ! »

Alors j'aimerais que nous abordions sérieusement ensemble ce sujet qui aurait dû être la colonne vertébrale de ce texte. Comment pouvons-nous créer de nouvelles sources de rémunération pour les artistes et la création, et comment promouvoir de nouvelles formes de diffusion, en s'appuyant sur les formidables potentialités qu'offrent Internet et les réseaux d'échanges qui s'y sont constitués ?

Vous vous fondez d'abord sur un postulat qui est faux : le téléchargement ne réduit pas la consommation de biens culturels, il la diversifie.

De plus, l'outil Internet permet à des créateurs méconnus, refusés par les majors frileuses, de diffuser leurs œuvres, de les faire connaître et de pouvoir ensuite vivre des revenus tirés de leur travail.

Il y a également des groupes de musique mondialement connus, comme Radiohead, qui utilisent Internet pour avoir un rapport plus direct avec leur public et pour contourner les grandes maisons de production. Dans ces conditions, pourquoi ne pas se saisir de cette question et en débattre ici, dans le cadre d'un projet de loi paradoxalement intitulé « Internet et création » ?

Nous qui nous réclamons de la dialectique marxiste, savons tirer le meilleur de la contradiction qui vous effraie tant ! Pour nous, elle est un levier excitant pour la réflexion et la créativité intellectuelle qui vous fait tellement peur que vous lui tournez le dos !

Oh oui, si nous laissions les dérives autoritaires du régime sarkozien s'installer, effectivement nous pourrions avoir peur de l'avenir, mais le peuple français ne le permettra pas !

Monsieur le président, heureusement que vous me protégez contre les agressions de nos collègues de l'UMP !

Il est urgent de trouver de nouveaux moyens de financement pour la création, en tirant parti des possibilités qu'offre Internet. Nous pouvons nous appuyer sur le consentement à payer des internautes qui, contrairement à ce que vous dites, ne sont pas des voleurs. Pour la plupart, ils sont prêts à contribuer à ce financement.

Il est aussi envisageable de faire participer les fournisseurs d'accès à Internet en taxant une petite partie de leurs recettes publicitaires, comme vous l'avez fait pour la télévision publique. Pourquoi ne pas taxer aussi les recettes publicitaires de TF1, même si Martin Bouygues est un ami de sa majesté impériale ?

Le plus délicat est maintenant de se mettre d'accord sur les modalités de redistribution, de réfléchir ensemble aux moyens d'adapter ces propositions au monde du cinéma. Vous avez refusé en bloc la discussion sur les propositions de création d'une sorte de licence globale ou de contribution créative, prétextant l'inégalité de traitement entre ceux qui téléchargent et ceux qui ne téléchargent pas, ou invoquant des difficultés techniques comme la mesure de la répartition des téléchargements. Mais ce que vous vous apprêtez à faire voter est injuste et inapplicable. C'est une usine à gaz qui coûtera bien plus cher et sera bien plus difficile à réaliser qu'une étude prospective sérieuse sur la licence globale.

Hier matin, madame la ministre, à l'appel des signataires de la lettre aux spectateurs citoyens et d'associations du secteur Internet – ceux que vous qualifiez de « cinq gus dans un garage » – nous étions réunis, artistes, associations et parlementaires, afin d'affirmer collectivement, et pour des raisons différentes, notre opposition à ce monstre législatif qu'est l'HADOPI. En est ressortie l'idée de convoquer à la rentrée les assises d'Internet et de la création.

Dans ce cadre, tous ceux qui souhaitent s'exprimer sur cette question et avancer des propositions pourront le faire dans une démarche de dialogue et de construction commune. Je ne voudrais pas vous donner de leçons, madame la ministre, sur la façon d'alimenter les débats au Parlement, mais c'est comme cela que l'on doit, à notre avis, avancer sur un sujet aussi complexe qui traite à la fois de la création et des libertés publiques : en proposant un débat public, serein et pluraliste. Ce n'est pas en écrivant un texte sur mesure pour des industriels aux intérêts biens connus et qui vendent leurs produits à des prix prohibitifs, en organisant un passage en force à l'Assemblée, en utilisant la procédure d'urgence, et en dédaignant la voix des internautes, des artistes et des parlementaires qui ne s'alignent pas sur vos positions.

Votre rôle est de proposer des lois en phase avec le réel et permettant d'encadrer les pratiques nouvelles qui se sont développées avec l'évolution des nouvelles technologies. Pour votre projet, vous auriez dû vous inspirer, là encore, de Hegel qui écrivait : « L'esprit est pensant : il prend pour objet ce qui est, le pense tel qu'il est et comme il est. »

Madame la ministre, vous voyez que nous sommes tournés vers le futur. Contrairement à ce que disait Jean-François Copé, qui ne sait pas faire la différence entre une caméra et un téléphone portable, nous n'en sommes ni à la lampe à huile, ni à lampe à pétrole, ni à la marine à voile. Avec les créateurs, avec les artistes, avec les internautes, nous voulons construire le futur et libérer notre jeunesse de la loi du bâillon que vous voulez imposer ! Ce texte doit être renvoyé en commission.

M. Jean-Paul Lecoq

Jean Dionis du Séjour a posé les vraies questions. Nous sommes face à une nouvelle technologie, un nouvel outil d'accès à la culture, le plus extraordinaire, peut-être, que nous ayons connu depuis le siècle des Lumières ; en tout cas cet outil est, à l'heure actuelle, celui qui permet l'accès de tous à la culture, sans la barrière de l'argent. Même s'il faut défendre les droits d'auteur, ce qui est aussi notre préoccupation, les créateurs ont besoin d'un public.

Martine Billard, tout à l'heure, a beaucoup employé le verbe « éduquer », et c'est bien d'éducation qu'il s'agit avec ces nouvelles technologies. Jean Dionis du Séjour proposait d'éduquer les députés ; je pense pour ma part qu'il faut éduquer l'ensemble du peuple. L'utilisation de l'Internet dans les écoles est à cet égard intéressant. Je crois par ailleurs nécessaire d'œuvrer afin que les créateurs rencontrent leur public. Or, depuis deux ans, madame la ministre, vous n'avez proposé aucun texte pour accélérer l'accès à la culture dans les écoles ou multiplier les moyens financiers qui permettraient aux artistes d'être rémunérés et de rencontrer des publics ; point de texte pour développer les théâtres destinés aux jeunes publics et ainsi ouvrir de nouvelles salles ; point de texte, surtout, pour permettre à chacun, quels que soient ses moyens, d'accéder à la culture.

Ce projet de loi est obsolète, et il est nécessaire de le renvoyer en commission afin de remettre à plat le débat sur la conciliation entre nouvelles technologies et accès de tous à la culture.

M. Jean Dionis du Séjour

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous voici à nouveau rassemblés pour une nouvelle lecture du texte « Diffusion et protection de la création sur Internet » après le rejet du texte issu de la CMP du 9 avril.

Un tel rejet est rare dans l'histoire parlementaire. Pour être possible, un tel événement a forcément des causes diverses, tactiques et plus fondamentales, quant à la nature complexe et sensible du sujet à traiter.

Quant à nous, députés centristes, nous ne perdrons pas de temps en exégèse sur le poids relatif de ces différentes explications.

Pour la première fois depuis la dernière révision constitutionnelle, nous examinerons le texte issu des travaux de la commission des lois le lundi 27 avril. En abordant cette nouvelle lecture, le Gouvernement avait un choix simple. Soit il revenait au texte issu de la première lecture de l'Assemblée nationale, notamment en ce qui concerne la double peine, dont la suppression avait été votée à l'unanimité dans cette enceinte ; soit il en restait au texte de la CMP du 7 avril, en privilégiant la mobilisation politique de la majorité présidentielle.

C'est visiblement l'option du retour au texte de la CMP qui a été retenue et, à titre personnel, je le regrette.

Nos travaux parlementaires ont permis de faire émerger trois réponses politiques à la question de la rémunération de la création sur Internet.

Celle du Gouvernement, d'abord : cette offre se structure par la mise en œuvre de la riposte graduée, de la suspension de l'accès à Internet comme sanction finale de la riposte graduée et de la « double peine », c'est-à-dire la coupure de l'accès à Internet et le maintien du paiement de l'abonnement pendant la durée de la suspension.

Celle des deux groupes de l'opposition ensuite qui sont restés cohérents par rapport à leur position lors des débats sur la loi DADVSI, en refusant de sanctionner le téléchargement illégal et en proposant la « contribution créative », qui est la fille légitime de la licence globale.

Enfin, les députés centristes vous ont, dès la première lecture, proposé une troisième voie, plus équilibrée et surtout plus efficace : nous sommes unanimes quant à l'exigence d'avoir immédiatement un volet répressif dans la lutte contre le téléchargement illégal et, à ce titre, nous sommes favorables – nous le répétons – au concept de riposte graduée. Ce concept est pédagogique, progressif et responsabilisant, c'est pourquoi nous le soutenons. En revanche, nous avons considéré que la meilleure sanction est l'amende et nous sommes opposés à la double peine.

Aujourd'hui, le Gouvernement a tranché et a choisi de revenir sur sa ligne initiale en abandonnant les amendements majeurs adoptés par notre assemblée. Nous avons bien conscience, madame la ministre, que votre choix est irréversible et qu'il est motivé par des raisons politiques plus que par une analyse comparée objective des solutions proposées.

Cela dit, puisque nous sommes amenés, par votre logique politique, à nous situer par rapport à vos arbitrages sur ce texte – riposte graduée, choix de la coupure de l'accès à Internet comme sanction, double peine – une majorité du groupe Nouveau Centre, et en premier lieu son président, François Sauvadet, tiennent à vous faire part du soutien qu'ils apportent à votre texte.

Ils vous soutiennent car ils pensent qu'en dépit de nos réserves il est urgent d'agir pour endiguer la destruction de valeur dans l'industrie culturelle.

Ils vous soutiennent car ils mettent leur attachement aux principes de la riposte graduée pour répondre au défi du téléchargement illégal au-dessus de leurs doutes sur la coupure de l'accès à Internet et de leur rejet de la « double peine ».

Ils vous soutiennent car cette affaire est aussi symbolique et qu'ils estiment qu'il est important de donner, maintenant, un signal fort en direction des artistes et du monde de la culture dans son ensemble.

Pour toutes ces raisons, au moment du vote solennel, puisqu'il y en aura enfin un, la majorité du groupe votera en faveur de ce texte et, en tant que porte-parole de notre famille politique, je me devais d'être l'expression de ses convictions.

Pour ma part – et je salue les pratiques démocratiques de notre famille politique qui me permet de m'exprimer longuement alors que je suis minoritaire dans mon groupe –, je continue à penser que cette loi, dont nous approuvons les principes fondateurs, est condamnée à l'échec pour trois raisons. Premièrement, l'absence de mesures fortes en faveur d'une offre légale attractive constitue une lacune grave. Deuxièmement, la coupure de l'accès à Internet plutôt que l'amende est un mauvais choix. Troisièmement, le rétablissement de la double peine est une provocation.

S'agissant du premier point, force est de constater qu'il n'y a pas grand-chose dans ce texte pour faire émerger l'offre légale, notamment les nouveaux modèles économiques d'avenir qui permettront de rémunérer justement les artistes sur Internet. Nathalie Kosciusko- Morizet, qui rappelons-le, est déjà dans « l'après-HADOPI », mène en ce moment même une importante réflexion sur les moyens de développer l'offre légale en ligne, ce dont nous nous réjouissons.

Nous aurions préféré que cette réflexion se situe dans l'« avant-HADOPI », ce qui nous aurait permis de débattre d'un texte avec deux jambes : un volet répressif pour lutter contre le téléchargement illégal et un volet incitatif permettant de développer l'offre légale, car nous sommes convaincus que seules ces deux approches combinées permettront de résoudre durablement les enjeux de la rémunération des œuvres culturelles sur Internet.

Deuxièmement, j'en viens à votre mauvais choix, celui d'avoir préféré la coupure de l'accès à Internet plutôt que l'amende.

Roma locuta est, causa finita est . Rome – ou l'Élysée – a parlé, la cause est entendue ! La cause est-elle entendue ? La messe est-elle dite ? Au Parlement sans doute, mais ailleurs, madame la ministre ? Vous avez décidé de ne pas écouter les nombreuses voix de la majorité qui vous demandent d'abandonner cette fausse bonne idée de couper la connexion à Internet des contrevenants.

Alain Juppé, ancien Premier ministre, homme de culture, que je respecte profondément, a déclaré qu'« un système d'amendes serait toutefois plus compréhensible et plus facile à gérer ». Or vous avez décidé de ne plus entendre. Vous avez décidé de politiser de manière manichéenne le débat. Eh bien, nous refusons la tournure que prennent nos débats dans cette dernière ligne droite. Permettez à des députés de la majorité présidentielle – j'en suis – de s'adresser prioritairement à leurs collègues de la majorité. On a dû vous dire ces derniers jours, mes chers collègues : « Ce sera eux contre nous. Ce sera la gauche contre la droite. Ce sera la culture contre les pirates et leurs alliés. » Eh bien non !

Jusqu'au bout, je veux me prononcer en député libre, avec comme seule exigence de savoir si ce texte sert l'intérêt général de la nation , c'est-à-dire la famille qui réunit artistes, interprètes, producteurs et internautes.

Certains d'entre vous – et je les respecte – pensent qu'ils rendent service au Président de la République et à la majorité présidentielle en votant ce texte malgré tout. Nous sommes un certain nombre à penser que, pour atteindre cet objectif, il faut avoir le courage de dire que ce projet est aujourd'hui dans une impasse.

Alors, je vais encore une fois vous rappeler les sept péchés capitaux de la coupure de l'accès à Internet :

Premièrement, cette coupure sera vécue comme une agression symbolique contre l'art de vivre ensemble de notre époque.

Deuxièmement, elle sera longue à mettre en œuvre : pas de déploiement du dispositif avant début 2011.

Troisièmement, elle sera coûteuse à mettre en place – 70 millions d'euros –, contrairement à l'amende qui, elle, ne coûte rien

Quatrièmement, elle ne rapportera rien aux créateurs et aux artistes, contrairement à l'amende qui, elle, pourrait rapporter 8 millions par an.

Cinquièmement, elle sera une source de graves problèmes de sécurité – systèmes d'alerte publique, télé-médecine – concernant les biens et les personnes, car elle exige la coupure simultanée de la messagerie.

Sixièmement, elle impose la constitution d'une liste noire d'internautes accessibles à tous les opérateurs, condamnée par la CNIL et l'ARCEP.

Septièmement, et c'est le plus grave, elle isole juridiquement la France.

Madame la ministre, que vous le vouliez ou non, ce texte s'est invité dans la campagne pour les élections européennes.

Dans ce contexte, repousser d'un revers de main la décision du Parlement européen, votée par 90 % du PPE, de ne pas suspendre l'accès d'un internaute sans l'intervention d'une autorité judiciaire a quelque chose de choquant pour les européens convaincus que nous sommes.

Sept péchés capitaux, cela fait beaucoup de mauvais choix !

Enfin, j'en viens au rétablissement de la double peine, qui s'apparente à une provocation. En faisant le choix de la coupure de l'accès à Internet comme sanction de la riposte graduée, vous vous condamniez à boire le calice jusqu'à la lie. Ce choix contenait en germe la double peine : en allant au bout de votre logique punitive d'implication des fournisseurs d'accès à Internet dans la lutte contre le téléchargement illégal, non contente de leur causer une dépense inutile de 70 millions d'euros – du reste qui va payer ? –, vous n'avez plus les moyens de leur compenser les coupures des connexions à Internet pour les internautes que vous leur ordonnez de mettre en œuvre. Ce faisant, vous légiférez en créant un dispositif d'exception par rapport à l'article 121-84 du code de la consommation.

Madame la ministre, depuis le début de nos débats, je ne sais pourquoi, l'image du Titanic s'est imposée à moi en pensant à l'HADOPI. Vous allez faire voter votre loi. Vous construirez à coup de millions ce paquebot législatif. Vous lui imposerez quoi qu'il arrive la route de l'Atlantique-Nord, et ce malgré le coup de semonce imprévisible du 9 avril. Mais que d'icebergs sur votre route : le Conseil constitutionnel, le Parlement européen, les contentieux, la jurisprudence et, en bout de course, la vraie vie, les jeunes. Aujourd'hui, sur ordre, l'orchestre s'est remis à jouer, mais qu'en sera-t-il demain ? Demain, si la loi est le catalyseur d'un nouvel équilibre plus respectueux des droits d'auteur, j'en serai heureux et je reconnaîtrai sans aucune difficulté que je me suis trompé.

Mais si, comme je le crois en conscience, cette loi se révèle un échec, j'aurai comme seule satisfaction celle du devoir accompli, à savoir d'avoir porté une parole libre pour vous prévenir des difficultés que vous allez rencontrer.

Ce jour-là, peut-être, la majorité présidentielle sera heureuse de trouver des hommes de dialogue.

Pour ma part, je considère les débats qui vont suivre comme un témoignage, une contribution pour les projets de loi qui viendront prochainement, immanquablement. L'après-HADOPI commence aujourd'hui.

[...]

M. Brard pose une question simple : faut-il retourner en commission ?

Tous les problèmes posés par les principes et la mise en œuvre du texte ont-ils été résolus ? Non. De quels logiciels de sécurisation des millions de Français devront-ils s'équiper ? Avec quel algorithme vont-ils travailler ? Comment faire fonctionner le système pour les millions de bornes Wi-Fi et les entreprises ? Comment appliquer la coupure de l'accès à l'Internet pour les abonnés triple play desservis par un seul accès ? Toutes ces questions sont devant nous.

Nos travaux nous ont fait toucher du doigt les limites de la démocratie représentative pour des textes complexes, notamment ceux qui ont une forte composante technologique. Disons-le honnêtement : notre assemblée n'est pas forcément à l'aise avec les adresses IP ou les problèmes de coupure de l'accès à l'Internet. Le même malaise a été constaté avec les OGM ou les antennes. Voilà le vrai défi pour notre démocratie représentative, et il n'est pas simple. Comment faire de nouvelles propositions, comment travailler en profondeur sur de tels sujets ? Pourquoi pas une université permanente pour les députés en matière de technologie ?

Pourquoi ne pas généraliser les Grenelle, c'est-à-dire les conférences des parties prenantes, sur les problèmes complexes ?

Le problème est de savoir comment faire du neuf sur les sujets technologiques ; le renvoi en commission, lui, revient à faire du vieux avec du vieux. Le débat a eu lieu, avec nos propres limites ; dans l'état actuel de nos pratiques, il ne servirait donc à rien de le recommencer. C'est pourquoi le groupe Nouveau Centre ne votera pas le renvoi en commission.

M. Nicolas Dupont-Aignan

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, j'ai envie de dire à Mme Marland que j'aime les artistes autant qu'elle.

J'aime autant qu'elle la création. Je suis absolument convaincu que si l'on veut vraiment les défendre, il ne faut pas les mettre dans une impasse mais prendre acte de la révolution numérique pour asseoir leur mode de rémunération sur la réalité du monde d'aujourd'hui, celle du XXI e  siècle et non pas celle des années quatre-vingt.

C'est pourquoi, madame la ministre, je suis au regret de vous dire que je combats vote projet de loi.

Vous n'avez pas voulu entendre les députés de tous bords, y compris ceux issus de la majorité qui n'ont pas droit à la parole ce soir, qui vous ont mis en garde contre le caractère inapplicable de votre projet : il sera bien évidemment contourné par quantité de procédés déjà au point comme le simple échange de clefs USB.

La réalité de la révolution numérique l'emportera et nous devrons nous réunir une troisième fois, j'en prends le pari ici, pour examiner la vraie question de la rémunération des auteurs et des créateurs dans le monde d'aujourd'hui.

Vous n'avez pas voulu non plus entendre ceux qui sont attachés à un certain État de droit mais, là aussi, les faits vous donneront tort. Le Conseil constitutionnel, j'en prends encore le pari, rappellera que la justice n'est pas encore privatisable.

Vous n'avez pas davantage voulu entendre les fournisseurs d'accès qui vous ont alertée sur le coût exorbitant d'un système de contrôle portant sur des millions de connexions et des milliards d'échanges. Cela représentera un coût de 10 millions d'euros au minimum pour les FAI, qui sera bien évidemment répercuté sur les usagers alors que cette somme aurait été plus utile si elle avait été consacrée à la fameuse création que vous prétendez défendre.

Vous n'avez pas voulu entendre les millions de Français internautes qui se demandent sincèrement comment un gouvernement peut être aussi aveugle sur l'opportunité historique que représente cette révolution numérique pour la diffusion culturelle.

Vous aviez la chance de pouvoir offrir à chaque foyer une médiathèque universelle, d'inventer un système de rémunération des auteurs, des artistes, des créateurs digne de notre époque et digne de cet atout. Mais vous avez préféré, par esprit de cour, pour plaire et complaire, suivre quelques vedettes vieillissantes qui ne veulent pas s'adapter au monde d'aujourd'hui.

Vous n'avez pas non plus voulu entendre les artistes, ceux qui ne sont pas manipulés par les majors qui inspirent votre texte, car il n'y a pas d'un côté, contrairement à ce que vous avaient dit certains, les méchants pirates, et de l'autre les gentilles vedettes du spectacle. Il y a différentes catégories d'artistes, et il y en a beaucoup – ils sont de plus en plus nombreux et vous le savez très bien au fond de vous-même, madame la ministre – qui ont compris cette révolution, qui savent qu'il faut inventer ce nouveau modèle de rémunération et que le système dont veulent les rendre prisonniers les majors est et sera condamné par les faits.

Faute de prendre acte de ce changement technologique maintenant, faute d'inventer maintenant ce système adapté de rémunération, vous condamnez les artistes dans leur ensemble à subir de plein fouet le changement de fonctionnement. Vous croyez les défendre et vous les entraînez dans une impasse.

D'ailleurs, et c'est là le grand paradoxe mes chers collègues, ceux que vous servez vous ont déjà condamnés. Jacques Attali, qui est lucide sur ce dossier, même si je ne suis pas du tout d'accord avec lui sur nombre d'autres sujets, a écrit à nouveau un texte remarquable et je ne résiste pas au plaisir de vous le lire, si Mme la ministre veut bien m'écouter.

« Les majors qui ont déjà compris que la loi HADOPI ne marchera pas sont en train de mettre en place la licence globale à leur seul profit en se préparant à offrir des abonnements spécifiques sur Internet qui permettront d'avoir accès à la totalité de leur catalogue pour un prix forfaitaire sans que chacun paie pour la chanson ou le film qu'il télécharge. »

« C'est exactement la licence globale qu'ils font semblant de refuser par ailleurs. Les artistes en seront écartés s'ils ne sont pas dans ces catalogues et même s'ils en sont ils n'en auront que les miettes ».

J'ai regardé ce matin quels étaient les films disponibles sur le portail de Free, deuxième fournisseur d'accès national. Madame la ministre, il n'y a pas un seul film français : que des films américains ! C'est cela que vous nous proposez pour l'avenir de la création française ?

Je vous le dis, votre projet ne répond qu'à une seule logique : fort avec les faibles, faible avec les forts. Vous osez qualifier cela de régulation alors que vous déléguez la vie culturelle du pays à quelques majors qui sont condamnés par l'histoire. Nous nous retrouverons pour débattre du futur troisième projet de loi sur la rémunération des auteurs.

Première séance 29 04 2009 - Première séance 04 05 2009